Nous avons récemment trouvé une correspondance (de 1897 à 1904) d’un certain Monteil, receveur des finances à Saint-Flour (Cantal), à son fils Pierre, alors élève de première année à Saint-Cyr. Y sont présentes de nombreuses considérations sur l’Affaire, tout à fait intéressantes et qui permettent d’avoir un éclairage sur la manière dont elle put être vécue par un anonyme qui de sa province voyait se dérouler les événements parisiens. Citons-en les extraits se rapportant à l’Affaire.
10 Xbre 1897. Je pense qu’à Saint-Cyr il ne vous est pas possible de voir les journaux et l’affaire Dreyfus ne doit pas vous passionner comme elle a passionné tout le monde, ici les membres du Cercle [militaire] ont résolu d’exécuter Le Figaro, en renvoyant le journal, comme antipatriotique et antifrançais, – c’est une manifestation un peu enfantine, puisque l’abonnement est payé d’avance, – mais entre deux apéritifs on a bien quelques accès de patriotisme, – s’il fallait à la caserne on ne serait pas si pressé.
21 Janvier 1898. Je suis profondément attristé de tout ce qui se passe à propos de l’affaire Dreyfus. – Je ne sais si tu as eu connaissance de la lettre d’Émile Duclaux à Scheurer-Kestner, – En écrivant à Louis je lui disais l’étonnement que m’avait causé cette lettre que je blâmais et que je blâme encore fortement, – Louis me répondit que c’est plutôt un acte de courage, « et de raison. Ce qui se passe en ce moment est si abominable et si dangereux que j’estime que tout homme de cœur a le devoir de dire son opinion, surtout quand cette opinion a une juste autorité. Ma femme, ma belle-mère n’ont eu qu’à lire l’acte d’accusation et les lettres de Dreyfus à sa femme pour être convaincus. Pense à ce que serait un pays où un accusé peut-être condamné sans qu’on lui communique la pièce sur laquelle on l’accuse et dis-toi qu’en écrivant sa lettre, Émile à défendu tout honnête homme, demain peut-être tes fils. »
Eh ! bien en ce qui me concerne je déclare hautement que je ne comprends pas qu’on puisse sans aucune espèce de preuves mettre en doute une condamnation rendue à trois reprises différentes par 21 officiers supérieurs, – 1er Conseil de guerre, conseil de révision, 2e Conseil de guerre (Esterhazy).
Demain à la Chambre, il est à craindre que Cavaignac ne renouvelle son interpellation et que le Ministère ne succombe, ce qui serait, selon moi, un grand malheur. –4 février 1898 2hres du soir [lettre de sa mère]. Il continue à y avoir des articles de Mr Duclaux dans certains journaux, notamment le Temps, toujours dans le même sens, et papa et moi comme bien d’autres continuons à trouver qu’il a tort. On ne comprend pas son insistance qui ne peut avoir que de fâcheuses conséquences.
25 février 1898. J’ai appris avec peine le duel des 2 anciens, il est fort triste de voir qu’on ne puisse pas s’entendre entre camarades, tu ne me dis pas la cause du duel, – Je désire que ce ne soit pas à cause de l’affaire Zola. – C’est hier que nous avons appris la condamnation avec un grand plaisir, on lui a donné le maximum, mais c’est peu de choses – 1 an de prison, 3 mille francs d’amende, – quant aux intellectuels je n’en parle pas, – mais c’est avec beaucoup de peine que j’ai vu Émile Duclaux s’embarquer là-dedans.
8 Juin 99 10h. du matin. […] Je lis les journaux qui avec l’incident d’Auteuil, la comparution probable de Mercier devant la hte Cour sont intéressants mais bien tristes à lire. La Séance du Lundi à la Chambre a été très mouvementée. Cavaignac a été très dur, très violent, – un député de l’extrême-droite Largentaye a été exclu de la Chambre, – Lundi. On a bien raison de ne pas vous permettre de faire de la politique.