Merci, Madame la Ministre de la justice, Tzipi Livni, qui avez en charge une des valeurs les plus précieuses d’Israël : la Justice.
Merci, Monsieur l’Ambassadeur Patrick Maisonnave, vous êtes la présence de la France aux côtés d’Israël, défenseur de la Démocratie, des Droits de l’Homme.
Merci à toi, Charles Dreyfus, petit fils d’Alfred Dreyfus, désireux comme moi de préserver la mémoire d’Alfred Dreyfus, qui pour nous incarne avant tout la dignité et l’intégrité,
Merci Martine Le Blond Zola, chère Amie, Arrière petite fille d’Emile ZOLA, Vice Présidente de la Maison ZOLA, Musée Dreyfus, qui dans ton travail de mémoire aspire a préserver la leçon de courage d’Emile Zola,
Merci chers amis, chers cousins, de Paris et de Jérusalem, je suis très touchée de votre présence ici ce soir et je vous en remercie.
Il y a environ un an, j’ai eu le plaisir de rencontrer le Dr.Orit Shasham Gover, Conservatrice en chef du Musée de Beit Hatfutsot. Je souhaitais présenter une exposition sur l’Affaire Dreyfus à TEL AVIV, dans un but pédagogique, celui d’y amener les nouvelles générations d’étudiants et les jeunes appelés de l’armée israélienne, pour les amener à réfléchir et mieux comprendre les enjeux de cette affaire, et rétablir l’image parfois déformée de mon arrière grand père.
Cette « Affaire », comme on a l’habitude de l’appeler, fait aujourd’hui partie de notre mémoire collective, elle nous enjoint de nous souvenir.
Elle incite chacun de nous à réfléchir aux sujets qu’elle aborde :
le racisme, l’antisémitisme, l’injustice, les droits de l’homme, le rôle que peut jouer la presse, la fragilité de la démocratie, le courage de certains qui peut changer l’irréparable etc.…
Orit a tout de suite été enthousiasmée par l’idée de cette exposition, et je la remercie d’avoir rendu possible ce projet. Je remercie également Dan Tadmor, Directeur General du Musée, Simona di Nepi, commissaire de l’exposition et toute l’équipe.. Depuis, nous avons travaille ensemble sur ce projet, qui je dois le dire m’a passionnée…
Quelle émotion d’aller a la Bibliothèque Nationale de France, aux Archives Nationales, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, et d’ avoir entre les mains des documents plus que centenaires, des documents que je ne connaissais pas, et qui m’ont encore plus éclairée sur le calvaire vécu par mon arrière grand père…
Ma grand mère Jeanne Levy Dreyfus, lors d’un voyage en Israël en compagnie de mon oncle le Dr.Jean Louis Levy en 1975, a fait don de documents à la Bibliothèque Nationale d’Israël. Je me suis donc rendue également à Jérusalem pour voir ces documents et demander si nous pourrions les présenter dans l’exposition.
J’ai été très émue de voir ces documents, et sensible a l’accueil de la National Library, qui a souhaite non seulement nous prêter ces documents mais également participer a notre projet en tant que coorganisateurs de l’exposition.
Je remercie la Bibliothèque Nationale d’Israël, son directeur académique, le Pr. Haggai Ben Shammai également président du comité académique de l’exposition, les Pr Robert Wistrich, Denis Charbit, et Betty Halpern, qui ont réalisé le catalogue.
Je remercie également chaleureusement les généreux donateurs, la Fondation David Hadida, la Fondation Marc RICH, l’Ambassade de France et l’Institut Français, le Ministère des Affaires Etrangères Israélien, la Bibliothèque Nationale de Jérusalem, les amis de Beit Hatfutsot, la Fondation Wilheim Rosenstein , ‘’ Radio Tel Aviv 102FM, sans lesquels l’exposition aurait pu ne pas avoir lieu..
Cette affaire nous incite également à réfléchir au sens d’un engagement, car de l’Affaire DREYFUS va émerger un courant : celui de « l’intellectuel engagé »
Et pour moi, toute manifestation sur la mémoire de l’Affaire Dreyfus se doit d’associer Emile Zola.
Ma reconnaissance ne sera jamais assez grande envers cet homme exceptionnel, qui, en pleine gloire, osa s’engager pour faire éclater la vérité…Il est fort probable que d’avoir défendu DREYFUS lui coûta la vie..
et c’est pour souligner également cet aspect que j’ai tenu, d’abord à inviter son arrière petite fille, Martine Le Blond Zola, et à associer à cette exposition un colloque , qui se tiendra demain à l’Université de TEL AVIV, le Musée étant situé dans le campus de l’Université.
Je remercie mon amie, la Professeur Michèle BOKOBZA KAHAN , Directrice du Département d’Etudes Françaises de l’Université de Tel Aviv, et la Professeur Dina Porat, Directrice du Centre de recherche KANTOR sur le judaïsme européen contemporain, de l’Université de TEL AVIV, d’avoir rendu possible ce colloque, et d’y avoir associé la Sorbonne de Paris. J’y vois un événement essentiel : La rencontre entre des professeurs israéliens et français pour débattre de cette interrogation, à savoir Quelles sont les leçons à retenir de l’Affaire Dreyfus, aujourd’hui, ici en Israël.
Je devais avoir environ 11 ou 12 ans, lorsque, probablement à l occasion d une réédition, ma mère m’a offert le livre ‘’ 5 Années de ma vie’’ dans lequel Alfred Dreyfus raconte, comme il le dit lui-même, les cinq années qu’il a passées « retranché du monde des vivants »..
J’ai été bouleversée par ce livre, qui m’a fait comprendre concrètement jusqu’ou pouvait aller le rejet, l’exclusion d’une personne, uniquement a cause de ses origines…J’étais encore une enfant, vivant dans un milieu protégé, et je n’avais jusque la, jamais pris conscience de ce qu’était vraiment l’antisémitisme.
Ce fut pour moi une période assez difficile..Je me posais beaucoup de questions, je pensais constamment au calvaire vécu par mon arrière grand père, à sa souffrance, a son courage d’avoir pu survivre a de telles conditions avec cette volonté farouche de survivre pour l’honneur de son nom et celui de sa famille…
Les descendants d’Alfred Dreyfus sont aujourd’hui nombreux. Je suis la cinquième des 6 enfants de Simone Perl, l’ainée des petits enfants d’Alfred et de Lucie Dreyfus.
J’en profite pour rendre ici hommage à ma mère, décédée il y a 10 ans, et qui aurait certainement été très heureuse d’être avec nous ce soir.
Elle avait 18 ans en 1935, lorsqu’Alfred Dreyfus est mort. Elle a très bien connu ses grands parents et elle les adorait.
Lorsque j’avais à peu prés 16 ans, en pleine adolescence, mon père m’envoya pour la première fois en Israël, et c’est à l’occasion de ce voyage que je pris conscience de l’importance de L’Affaire Dreyfus en Israël, de l’impact qu’elle avait eue sur le sionisme politique de Théodore Herzl. C’est au cours de ce voyage que se forma ma volonté militante..
Comment cet officier intègre, ce patriote, qui voua sa vie à l’Armée et ce, depuis le jour où, enfant, voyant de son balcon l’entrée des prussiens dans Mulhouse, il se jura alors de venger la France.. Comment cet officier juif et patriote a-t-il pu être accusé pour un crime qu’il n’avait pas commis uniquement parce qu’il était né juif ?
En visitant l’exposition, vous pourrez au fil de votre parcours, revivre les grandes étapes de la vie d’Alfred Dreyfus son enfance, son cursus d’études, son mariage, jusqu’au moment ou sa vie va basculer, en ce terrible mois d’octobre 1894.
Arrêté pour un crime qu’il n’avait pas commis, placé au secret, il hurle son innocence, se frappe en vain la tête contre les murs, il n’est pas entendu. De douleur, il frôle la folie, Le Commandant FORZINETTI, Directeur de la Prison du Cherche Midi craint qu’il ne mette fin à ses jours. Très vite convaincu de son innocence, Il sera son premier soutien.
En 1894, l’antisémitisme est bien une réalité, particulièrement aggravé au sein de l’Armée, par la décision prise en 1890 par le Général de Miribel , le Chef de l’Etat Major. Cette décision permettait aux douze premiers de l’Ecole de Guerre de chaque promotion d’intégrer l’Etat Major en tant que stagiaires, ce qui annulait ainsi le vieux système de cooptation, et ouvrait la porte, au mérite, à des étudiants de toutes origines sociales ou religieuses.
Alfred Dreyfus est juif et ne le cache pas mais il reconnait dans la laïcité républicaine la meilleure garantie contre l’antisémitisme.
Lorsqu’ il est incarcéré à la Prison du Cherche Midi, il demande à voir le Grand Rabbin Zadok Khan, ce qui lui est refusé.
Alfred Dreyfus est parfaitement conscient lorsqu’on l’accuse d’avoir trahi son pays, que dans ce contexte, son unique crime est d’être né juif, c’est la première chose qu’il dira.
Mais il se raisonnera très vite, et ne parlera plus jamais d’antisémitisme..
Il ne peut pas croire que dans sa France, sa république, son armée, cette France qui avait émancipé les juifs une centaine d’années auparavant, cette France pour laquelle il avait tout donné, on en arrive à condamner un homme pour cette unique raison qu’il est juif. Mais surtout, il ne veut pas le croire..
Il existe à l’Ecole de Guerre, une note d’aptitude au service d’Etat Major, qui en réalité est une sorte de « côte d’amour » Alfred Dreyfus qui a brillamment réussi ses examens, se voie attribuer un 5 immérité, par le Général de Bonnefond au motif qu’on « ne veut pas de juifs à l’Etat Major ».
Cette note le fait rétrograder de la cinquième à la neuvième place, mais ne l’empêche pas d’entrer à l’Etat Major, étant toujours parmi les 12 premiers.
Cependant, Dreyfus ira quand même voir le Général de Dionne pour lui signaler son mécontentement. Il écrira : « Je lui ai dit que je ne venais nullement protester contre mon numéro de sortie, estimant que mes camarades valaient autant que moi, mais pour lui demander si un officier juif n’était pas capable de servir son pays aussi bien qu’un autre ».
Je voudrais insister sur « une famille admirable », comme on l’a souvent dit , qui est restée unie, dans le malheur qui frappait Alfred . Elle se dévoua à sa défense corps et âme…Son frère Mathieu fait de sa réhabilitation son unique activité… Il est seul contre tous, dans le même temps il doit soutenir Lucie et la famille, effondrées.
Il tente tout, même l’impossible comme le lui a demandé Alfred..
Comme le souligne Philippe Oriol dans le magnifique tome 1 de « l’Histoire de l’Affaire Dreyfus » dont le tome suivant doit paraitre en septembre prochain, la famille Dreyfus était seule, « Le vide s’était fait autour de nous, écrira Mathieu. Le silence, un silence de mort planait sur nous. Il nous semblait que nous n’étions plus des êtres comme les autres, que nous étions comme retranchés du monde des vivants, frappés au cœur par un mal mortel » et les rares amis qui venaient nous voir et nous porter des paroles consolatrices nous donnaient l’impression je cite toujours « de gens qui croyaient la lutte impossible, l’affaire définitivement classée »
La personnalité de mes arrière grands parents m’a beaucoup marquée, ils m’ont transmis un héritage exceptionnel, mais aussi, lourd du poids de l’histoire. Un héritage qui appelle au sens du devoir et des responsabilités.
Beaucoup de choses ont été dites, parfois de manière déformée, sur Alfred Dreyfus. S’il avait du mal à extérioriser ses sentiments, il était très loin d’être cet officier froid et hautain qu’on a parfois voulu décrire.
Je m’attacherai à restituer ici l’intense amour qui liait Alfred à Lucie, et le patriotisme sans faille d’Alfred Dreyfus, à travers quelques extraits de leurs premières lettres : Cet amour profond, sincère, plein de respect et d’admiration mutuelle a très certainement aidé Alfred à surmonter héroïquement ce calvaire
Très vite un pacte sacré va s’instaurer entre eux, Dreyfus est condamné à survivre, comme il l’écrira.. Lucie est jeune, mais elle est subtile, intelligente, et elle fait dépendre sa propre existence de celle de son mari.. Elle veut qu’il tienne le coup, qu’il survive pour l’honneur du nom que portent ses enfants, c’est ainsi qu’une correspondance va s’instaurer entre eux, qui permettra à Alfred DREYFUS de surmonter l’inhumanité de sa condition.
Je vais vous lire un extrait de cette correspondance. Il n’a pas été très facile de faire une sélection parmi toutes ces lettres si bouleversantes.
De la Prison du Cherche Midi le 6 décembre 1894, il écrie à Lucie :
« Tu es mon espoir, tu es ma consolation. Autrement la vie me serait à charge »..
Le 23 décembre Lucie écrit:
Mon pauvre, pauvre Fred chéri,
Quel malheur ! Quelle ignominie. Nous en sommes tous terrifiés, anéantis.
Je sais comme tu es courageux. Tu es un malheureux martyr. Je t’en supplie mon pauvre Fred, supporte encore vaillamment ces nouvelles tortures. Notre vie, notre fortune à tous sera sacrifiée à la recherche du coupable ; nous le trouverons..
Alfred lui écrit le même jour :
Ma Chérie, je souffre beaucoup, mais je te plains encore plus que moi. Je sais combien tu m’aimes ; ton cœur doit saigner. De mon côté, mon adorée, ma pensée a toujours été vers toi, nuit et jour..
Le samedi 5 janvier, Alfred est dégradé dans la grande cour de l’Ecole Militaire aux cris de « Mort au Juif »
Il écrit à sa femme : « continue à me soutenir de ton profond amour, aide moi dans cette lutte épouvantable pour mon honneur, que je sente ta belle âme vibrer près de la mienne »
Le 7 janvier, Alfred lui répète :
Ma chérie, J’ai supporté pour toi, mon adorée, pour le nom que portent mes chers enfants, le plus épouvantable des calvaires pour un cœur pur et honnête, je ferai tout pour vivre, pour résister.. Jusqu’au moment suprême où l’on me rendra l’honneur de mon nom, je trouverai dans tes yeux le courage nécessaire au martyre..
Lucie répondra : « ma ligne est toute tracée, je ne t’abandonnerai jamais, je ne veux et ne peux vivre que pour toi…
Lucie et Alfred échangeront une riche correspondance pendant les 5 années passées à l’Ile du Diable.. Alfred n’aura pas droit au secret du courrier, droit fondamental du prisonnier. L’administration pénitentiaire ouvrira toutes ses lettres, les lira, les expurgera et décidera de les lui remettre ou non selon son bon vouloir..
Pire encore, à l’époque de la graphologie triomphante, sous l’inspiration de Bertillon, soupçonnant un quelconque message codé entre les époux, les lettres seront transcrites…les époux ne recevront que des copies, sans savoir même si le contenu est bien conforme à l’original..
Alfred Dreyfus restera marqué toute sa vie par ce drame. Il se réveillera en hurlant la nuit, victime de cauchemars insupportables.
Jamais il ne se plaindra. Pourtant, sa réintégration dans l’armée n’as été que partielle. Ses années de détention ne lui ont pas été comptées pour l’évolution de sa carrière et il a donc perdu toute chance de terminer général, comme cela aurait pu être, si sa carrière n’avait pas été détruite par ce drame.
Déçu, certainement meurtri, Il demande sa mise a la retraite en 1907.
En grand patriote Il se réengagera dans l’armée lors de la Guerre de 14/18 à l’âge de 55 ans. Il finira au grade de Lieutenant Colonel.
En visitant l’exposition, vous allez revivre ces grands moments de l’Affaire Dreyfus que j’ai rapidement évoqués ici, vous allez prendre connaissance d’éléments de sa vie privée, en particulier des lettres, des photos de famille, des objets personnels, autant de témoignages intimes qui vous permettront de mieux percevoir et comprendre l’homme public.
Vous découvrirez notamment une lettre qu’il écrivit à son fils Pierre, lorsqu’ils étaient tous les deux au front pendant la guerre de 14/18 où l’on comprend qu’il est encore marqué par l’antisémitisme : il lui écrit :
« Es-tu proposé pour être Capitaine ? Il est certain que l’antisémitisme demeure latent et qu’il nous faut rendre dix fois plus de services que les autres pour obtenir la même récompense. Tu fais bien d’être philosophe et d’en sourire »
C’est encore à lui que je veux donner la parole pour conclure, avec cette petite phrase tellement parlante sur l’homme Dreyfus.
Il dira après son « Affaire » :
« Je ne suis qu’un officier d’artillerie qu’une tragique erreur a empêché de suivre son chemin.. »
C’est toute la grandeur d’Alfred Dreyfus.
Je vous remercie..
Je suis professeur émérite d’université et dans mes recherches sur Samuel Pozzi médecin et ami d’Alfred Dreyfus) , je me suis intéressée, indignée et émue de l’affaire Dreyfus. Merci de m’adresser les articles sur Dreyfus qui vont paraître et/ou des conférences qui sont en visio. J’ai vu ce matin à la commémoration du 11 novembre Madame Yael Perl Ruy discuter avec le Président, j’ai apprécié son attitude. Merci de faire vivre la mémoire de ce militaire qui n’avait qu’un tort, être juif !