Publié il y a peu dans Le Figaro cette tribune signée de Pierre Moscovici, ancien ministre, Frédéric Salat-Baroux, avocat, et Louis Gautier, président de maison Zola-Musée Dreyfus :
Tribune
Dreyfus
Il y a cent trente ans, presque jour pour jour, dégradé, humilié mais pas brisé, le capitaine Dreyfus était débarqué à l’Ile du Diable. Plus inhumaine que le bagne, une tombe-prison dans la moiteur et l’étouffement des tropiques.
Il y restera plus de quatre ans, mille cinq cents jours, à l’isolement, coupé même de la vue de la mer par une haute palissade, lavant les tissus moisis qui lui servaient de vêtements et qui ne séchaient jamais, cuisant et mangeant une nourriture infecte sur de la tôle rouillée. Et le soir, mis au martyre des doubles fers qui enserraient ses chevilles jusqu’au sang.
S’il a tenu, enduré, survécu, c’est qu’au plus profond de son être, il croyait en la France, en sa justice. Il imaginait ses chefs – en réalité ses accusateurs, ces criminels – se démultipliant pour prouver son innocence.
Dreyfus avant d’être le symbole du combat universel pour lajustice est d’abord celui de ce mot fané et pourtant si beau de la langue française : patriotisme.
Si les historiens y travaillent encore, on a déjà tant dit sur l’affaire Dreyfus. Sur les destins, la voute étoilée où sont installés à jamais les justes, les héros : Lucie et Mathieu, l’épouse et le frère admirables, Bernard Lazare, le prophète, Scheurer-Kestner, Picquart, Herr, Jaurès, Zola bien sûr, tant et tant d’autres. Aux abysses de l’âme française, des figures de l’Etat-major, le général Mercier, des intellectuels dévoyés, Maurras, Daudet ou Barrès, des activistes à la plume trempée dans la haine, Drumont en tête, des politiciens, infectés d’antisémitisme ou de lâcheté. Des imbéciles aussi, toujours prêts au coup de force et qui portent en triomphe Esterhazy, le coupable, lors de son acquittement par le conseil de guerre, alors que tout l’accuse.
Mais l’affaire Dreyfus est avant tout la ligne de partage des eaux de notre histoire politique contemporaine. Au terme de près de douze ans d’empoignades, la France va choisir le camp de l’Homme et de la justice plutôt que celui de la raison d’Etat et des préjugés.
C’est l’acte de naissance de la gauche moderne qui va cesser, à l’instar de Jaurès mais aussi d’Allemane et de Guesde, de juger, de classer uniquement les hommes en fonction de leur appartenance à une classe sociale et va les considérer désormais dans leur réalité, pour ce qu’ils portent d’universalité et d’humanité.
Par le déchaînement d’un antisémitisme nouveau et implacable l’affaire Dreyfus, comme l’a compris Hannah Arendt, annoncent les jours d’effroi des années 1930-40.Théodor Herzl, correspondant à Paris d’un grand journal autrichien, comprit que l’heure du sionisme était venue pour offrir aux juifs en danger un sanctuaire, une solution.
Par un arrêt historique, du 12 juillet 1906, la Cour de Cassation fit tomber sur les mensonges, le reniement des serments et les trahisons, la guillotine de la raison : « de l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout », jugea-t-elle.
Par deux lois du 13 juillet 1906, publiées, comme un éclat de lumière, le 14 juillet au journal officiel de la République, le lieutenant-colonel Picquart et le capitaine Dreyfus sont réintégrés dans les cadres de l’Armée et promus respectivement général de Brigade et chef d’escadron, soit commandant.
Derrière l’apparente symétrie, Picquart se voyait attribuer un grade au moins aligné sur celui des officiers d’une ancienneté égale à la sienne alors que Dreyfus était promu commandant à la date de la loi, c’est-à-dire au même niveau que des officiers ayant cinq ans d’ancienneté de moins que lui. Huit officiers de la même ancienneté que la sienne étaient ainsi déjà lieutenant-colonel ou inscrits au tableau d’avancement de ce grade.
Erreur ou « nouvelle injustice volontairement commise », son avancement était retardé de cinq ans, un peu plus que la durée de sa détention à l’Ile du diable…
Ni Clemenceau, président du conseil, qui n’avait jamais pardonné à Dreyfus d’avoir accepté la grâce présidentielle après sa seconde condamnation par le conseil de guerre en 1899, ni le général Picquart, devenu ministre de la guerre, ne voulurent accepter de porter une nouvelle loi pour réparer cette injustice.
Madame Zola écrit : « qu’Alfred Dreyfus reste victime, après la preuve de son innocence (…) demeure un crime à l’actif (de la France) qui sera la stupéfaction dans les temps futurs. Comment parmi nos amis n’est-il pas un qui crie cela de toutes ses forces (…) Il n’y avait décidemment que mon mari capable de bravoure ».
Une semaine plus tard, le 26 juin 1907, Dreyfus démissionnera de l’Armée, le cœur battant de sa vie. Il y reviendra, en grand français, pendant la Première guerre mondiale. En 1918, il est nommé lieutenant-colonel.
S’il avait eu la carrière promise à un polytechnicien, sorti, comme lui, bien classé de l’Ecole de guerre, il aurait été certainement général de brigade. Cette justice- là ne lui a pas été rendue.
Pourquoi, tant d’années après, rouvrir ce débat alors que le monde est en ébullition et les Français sont aux prises avec tant de difficultés du quotidien ?Pour lui, pour ce héros français, pour la Justice.
Parce que l’antidreyfusisme demeure gravé là sous nos yeux. Rien qu’à Paris, Déroulède a son avenue et une statue, Jules Lemaître et François Coppée, les fondateurs de la ligue de la patrie française, leurs rues, tout comme Henri Rochefort. Et que dire de Maurice Barrès, omniprésent et présenté comme « poète et académicien » sur les plaques des avenues qui l’honorent, lui qui prononça la plus terrible des phrases antisémites : « que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race ». Personne n’ose non plus installer la statue de Dreyfus à l’école militaire où il fut dégradé et son sabre brisé. Elle est posée dans un square discret du VIème arrondissement de Paris.
Parce qu’à travers Dreyfus, on peut mesurer que l’antisémitisme n’est pas l’affaire des Juifs et des antisémites, mais qu’il pose la question des valeurs fondamentales sur lesquelles notre Nation est bâtie : la justice, ce que c’est d’être français, l’aspiration à l’unité et le poison des divisions.
Parce qu’une partie de la gauche, à son extrême, opère un terrible retour en arrière. Tournant le dos aux enseignements de ses hautes figures et aux leçons qu’elles avaient tirées de l’affaire Dreyfus, elle nourrit et se nourrit d’un nouvel antisémitisme.
Parce que, perdus, en mal de repères, nous avons besoin de nous retrouver autour des valeurs de justice et de patriotisme. Celles que symbolise le raide capitaine, enserré dans son uniforme, comme dans sa retenue mais qui, quand l’on criait Vive Dreyfus, répondait « Non ! Vive la France ! ».
Il faut faire complétement justice à Dreyfus. Pour lui mais surtout pour nous. Ce n’est en aucun cas porter atteinte à l’Armée. Elle ne peut que sortir grandie de l’hommage à l’un de ses plus magnifiques officiers.
On a aussi mis en avant des obstacles juridiques pour s’opposer aux initiatives passées ou aux récents projets de résolutions parlementaires. Bien sûr, le pouvoir réglementaire, c’est-à-dire le Président de la République ou le gouvernement, ne pourraient pas y procéder par décret. Mais la loi peut souverainement le faire. Quel principe constitutionnel s’y opposerait ?
Une telle loi en appellerait d’autres, soutient-on. Lesquelles ? Y-a-t-il d’autres affaires Dreyfus ?
Nous en appelons à ce qu’un ou plusieurs groupes parlementaires, et pourquoi pas la représentation nationale toute entière, s’empare maintenant de ce combat pour la justice et pour la France et inscrive dans une proposition de loi, pour laquelle ils ont la maîtrise de l’ordre du jour, un article unique : « La Nation française, éprise de justice et qui n’oublie pas, élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade ».Pierre Moscovici, ancien ministre,
Frédéric Salat-Baroux, avocat,
Louis Gautier, président de la Maison Zola-Musée Dreyfus.
Excellente initiative.
De même, le capitaine Dreyfus a sa place au Panthéon. Son combat et sa détermination, dans un contexte où l’antisémitisme connaît une recrudescence que l’on doit éradiquer, serait un exemple pour notre République: celui des valeurs universelles aujourd’hui menacées.
Comment peut on relayer cet appel?
Je ne sais… Relayons sur les réseaux sociaux….
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