Le Musée des Horreurs….

Ici nous regrouperons, sous ce titre de « Musée des Horreurs » (des erreurs ? des errances ?), les petites hallucinations de quelques complotistes très dérisoires.

Après Makow (que nous donnions ici), voici Josh, qui le jour où sera décerné le prix de l’absolu n’importe quoi devra être classé hors-concours, personne ne pouvant lui ravir sa place. Erreurs à chaque date, inventions ahurissantes (la citation qui n’a jamais existé de Cinq années de ma vie), citations truquées (l’histoire du 45° : Dreyfus n’écrit pas « plus de » mais « au moins », ce qui change tout), ignorance crasse (le 2e bureau, la loi de 1848 qui est de 1850 et la confusion entre loi et constitution, l’ignorance des retouches photos si courantes à l’époque et bien visibles avec les moyens dont on disposait alors), assertions hallucinées (la déportation à l’île du Diable serait une invention et n’aurait jamais eu lieu !!!), démonstrations exaltées, etc.
Donnons à la suite ce long délire, tellement énorme qu’il pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un canular ou d’une expérience d’écriture sous peyotl, assez souvent inquiétant mais qui pourra agrémenter un soir d’ennui :

L’affaire Dreyfus revue et corrigée

Depuis 120 ans, l’affaire Dreyfus a fait l’objet d’un nombre incalculable de compte-rendus. Des dizaines de livres et des centaines d’articles académiques ont été écrits sur le sujet. Cette bibliographie exhaustive  répertorie plus de 5000 articles écrits depuis la fin de l’affaire. Si on devait estimer le nombre d’articles de journaux publiés uniquement à l’époque de l’affaire, il se chiffrerait à une centaine de mille. Comme les journaux imprimaient de multiples éditions quotidiennes pour tenir les gens informés des nouveaux développements, l’affaire Dreyfus reçut au 19ème siècle l’équivalent d’une couverture de 24 heures non-stop. Ce fut vraiment le procès d’OJ Simpson de son époque.[Simpson est un joueur de football américain accusé d’un double meurtre, celui de son ancienne femme et de l’ami de celle-ci. Miles révèle que le meurtre et le procès étaient bidon] Comme l’a noté Adam Gopnik dans son article du New Yorker en 2009 sur l’affaire Dreyfus :

« Le mélodrame typique des médias modernes nécessite une salle d’audience: de Scopes à JO, l’avant-scène dramatique d’un procès donne une structure au spectacle de la vie moderne. L’affaire Dreyfus, le premier à certains égards de ces drames, a tenu la France envoûtée… »

Ceux parmi vous qui ont lu les papiers de Miles Mathis sur le procès de la famille Manson, celui de Patty Hearst, de Scopes, des sorcières de Salem et de JO, pourront réaliser que Gopnik nous dit la vérité, déguisée en métaphore. Ces procès sont des drames, dans le sens où ils sont écrits à l’avance. Et ils structurent réellement la vie moderne, car ils servent à construire et consacrer notre réalité fabriquée, ainsi qu’à manipuler nos peurs et nos passions de manière à servir les intérêts de ceux qui nous gouvernent. Et l’affaire Dreyfus fut l’un des premiers, l’un des plus élaborés et des plus réussis de ces drames de salle d’audience fabriqués. En fait, il a comporté plusieurs affaires judiciaires réparties sur une douzaine d’années, ainsi que d’innombrables rebondissements et intrigues, ce qui a fait dire à un chercheur qu' »Un romancier ou un auteur dramatique qui écrirait une telle histoire serait taxé d’exagération. »
L’incessante apparition de livres, documents, films et mini-séries, émissions spéciales TV et sites web, tous dédiés à reprendre l’affaire Dreyfus et à la solenniser, a recouvert au fil des ans les événements d’un canevas complexe de plusieurs couches superposées. (Je suppose que ce qu’ils disent est vrai, car si vous répétez un mensonge assez souvent, il devient la vérité.) Mon but ici est de démêler et dérouler les fils de ce canevas pour vous montrer que la chose n’était autre qu’un canular fabriqué. On pourrait penser avec ces événements ressassés et critiqués des milliers de fois que quelqu’un d’autre aurait pu déduire cette possibilité. Mais en dehors d’une exception notable [Markow], il n’y a personne. La crédulité des humains est sans limite. Je ne peux vraiment pas les en blâmer, malgré tout. Jusqu’à une date récente, je n’aurais pas remis en question non plus cet événement. Mais aujourd’hui après une étude en profondeur, je peux vous assurer que ce fut un canular géant. Dreyfusards et anti-Dreyfusards jouaient tous dans la même équipe, ils faisaient tous partie de la conspiration. Dreyfus compris. Il n’a jamais passé une seule journée sur l’île du Diable. Cela peut paraître absurde. Je vous suggère de lire les articles de Miles Mathis dont j’ai posté les liens ci-dessus. Vous serez alors en mesure de bien mieux juger ma thèse.
Avant d’exposer mes éléments de preuve et mon argumentation, permettez-moi de vous dire comment je me suis intéressé à ce sujet : quand Miles a publié mon article sur Gandhi, j’ai reçu des messages de quelques-uns de ses lecteurs. L’ un d’eux écrivait: « S’il y a une chose que j’ai apprise en 62 ans, c’est que les BANKSTERS, l’élite dirigeante … comme vous voudrez les nommer … les BANKSTERS, contrôlent TOUJOURS les deux côtés, et créent TOUJOURS leur propre opposition ! » Pour finir, j’avais récemment lu l’article Saturday Night live de Kevin, où Miles dit à propos d’Arthur Miller: « On m’a dit que Miller fulminait contre les Juifs, mais nous avons découvert dans mes récents articles que c’est un thème récurrent. Ça s’appelle ‘créer sa propre opposition’ pour remplacer la véritable opposition et la véritable critique. » J’avais donc en tête cette idée de l’antisémitisme comme étant une opposition contrôlée en lisant les fondements du sionisme politique moderne à la fin du 19 e siècle, en réponse à la montée de l’antisémitisme européen, comme en témoigne l’affaire Dreyfus. Cela a déclenché une sonnette d’alarme, et j’ai pensé, « Hum … l’affaire Dreyfus. C’était donc ça aussi ? » Alors je suis allé sur Wikipédia pour me rafraîchir les idées et bingo ! Je vais donc vous rapporter maintenant ce que j’ai trouvé.
Je vais commencer en faisant un bref rappel de l’affaire. Si vous êtes comme moi, vous en avez probablement besoin. Nous passerons ensuite en détail à l’essentiel, je démontrerai la fraude en démasquant quelques-uns des acteurs-clé, et finirai par une discussion sur le contexte de l’affaire en vous disant ce qu’il en était vraiment selon moi.
Pour vous rafraîchir la mémoire, permettez-moi de vous présenter une longue citation de Wikipédia [la version anglo-saxonne, bien entendu, de Wiki, qui montre comme à l’accoutumée des différences notables avec la version française] :

Le scandale démarra en décembre 1894, avec la condamnation pour trahison du capitaine Alfred Dreyfus, un jeune officier d’artillerie française d’origine alsacienne et juif. Condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir prétendument communiqué des secrets militaires concernant la France à l’ambassade d’ Allemagne à Paris, Dreyfus fut emprisonné sur l’île du Diable en Guyane française, où il passa près de cinq ans.
C’est en 1896, principalement grâce à une enquête initiée par Georges Picquart, chef du contre-espionnage, que la preuve fut faite du vrai coupable, un officier de l’armée française nommé Ferdinand Walsin Esterhazy. Après la suppression de la récente preuve par des officiers de haut rang, le tribunal militaire acquitta à l’unanimité Esterhazy après deux jours de procès. L’armée accusa alors Dreyfus de nouvelles charges sur la base de documents falsifiés. Une rumeur faisant état d’un coup monté contre Dreyfus par le tribunal militaire et d’une tentative de camouflage commença à se répandre, surtout grâce au « J’accuse », une véhémente lettre ouverte du célèbre écrivain Émile Zola, publiée dans un journal parisien en Janvier 1898. Les défenseurs de Dreyfus firent pression sur le gouvernement pour une réouverture du dossier. 
En 1899, Dreyfus fut ramené en France pour un autre procès. Le scandale politique et judiciaire intense qui s’ensuivit divisa la société française en deux camps : ceux qui soutenaient Dreyfus (appelés aujourd’hui « dreyfusards »), parmi lesquels Sarah Bernhardt, Anatole France, Henri Poincaré et Georges Clémenceau et ceux qui le condamnaient (« anti-dreyfusards »), tels que Drumont, directeur et éditeur du journal antisémite La Libre Parole. Le nouveau procès donna lieu à une autre condamnation et à une peine de 10 ans, mais Dreyfus obtint un pardon et fut remis en liberté.
Toutes les accusations portées contre Dreyfus furent finalement démontrées comme sans fondement. En 1906, Dreyfus fut innocenté et rétabli en tant qu’officier de l’armée française. Il servit pendant toute la première guerre mondiale en terminant avec le grade de lieutenant-colonel. Il mourut en 1935.
Entre 1894 et 1906, l’affaire divisa profondément et durablement la France en deux camps opposés: les « anti-dreyfusards » pro-armée, pour la plupart catholiques et les « dreyfusards » pro-républicains et anticléricaux. Ce qui aigrit la politique française et encouragea une radicalisation.

ALFRED DREYFUS
Commençons par le début: Alfred Dreyfus. La toute première chose que vous entendrez toujours dire de lui, c’est qu’il était officier d’artillerie. C’est important pour eux de le marteler pour être sûr que vous ne le contestiez pas. La raison est que la lettre, nommée « le bordereau », trouvée dans une corbeille à papier à l’ambassade d’Allemagne et utilisée comme preuve contre Dreyfus, offrait de vendre une information à laquelle un officier d’artillerie aurait eu accès. Et il est vrai qu’il avait gravi les échelons dans un régiment d’artillerie, étant nommé capitaine et ayant stationné dans un arsenal d’artillerie. C’était en 1889. Mais en 1891, il entra à l’école militaire de Saint-Cyr. Il en sortit diplômé en 1893 et rejoignit l’état-major.
L’armée avait été réorganisée après la défaite de la France dans la guerre franco-prussienne. La réorganisation de l’armée impliquait la création d’un état-major avec quatre départements: le deuxième (connu sous le nom de ‘Deuxième Bureau’) était le Renseignement militaire, qui, au moment de l’affaire se composait de 20 ou 30 officiers, dont la tâche était la centralisation et l’analyse pour le Renseignement.
A l’intérieur du Deuxième Bureau existait une petite unité responsable du contre-espionnage, à qui on avait donné le nom trompeusement anodin de Section Statistique, comprenant 3-4 officiers. L’une des caractéristiques notables de cette section était qu’elle se situait en dehors de la chaîne de commandement militaire: le chef de la section faisait ses rapports au ministre de la guerre, dont il prenait aussi les ordres, et non au chef du Deuxième Bureau. La Section Statistique était ainsi sous contrôle civil direct, ce qui en faisait une sorte de taupe politique souterraine dans l’armée française.
Selon Wikipédia, « le chef de la Section Statistique était en 1894 le lieutenant-colonel [notez le rang] Jean Sandherr : diplômé de Saint-Cyr, cet alsacien de Mulhouse était un anti-sémite convaincu. Sa mission militaire était claire: récupérer des informations sur de potentiels ennemis de la France et les abreuver d’informations fausses. » Devinez qui d’autre était alsacien ? Dreyfus. Oh, et si vous ne le saviez pas, ils étaient tous deux de la même ville: Mulhouse. Serait-ce un hasard ? Nous verrons que la plupart des acteurs étaient originaires d’Alsace et certains d’entre eux de Mulhouse. Mais je suppose que si Wikipédia nous dit que Sandherr était anti-sémite, ils n’auraient pu jouer dans la même équipe, n’est-ce pas ?
Voici un assez récent article de Tablet sur l’affaire Dreyfus :

« Fondée en 1871, après la désastreuse défaite de la France dans la guerre franco-prussienne, l’agence de contre-espionnage français… était un groupe cinglé d’assassins, d’espions, et de clairvoyants bons à falsifier documents et preuves en cour martiale et autres auditions juridiques. Rappelant les anciens agents de la CIA du président Richard Nixon spécialistes des coups tordus, ils étaient les plombiers de leur époque. Après qu’on ait surpris les plombiers à pénétrer dans le quartier général des adversaires démocrates de Nixon, l’hôtel Watergate, le président fut contraint de démissionner et ses agents furent condamnés pour leurs crimes. Mais imaginez un scénario différent. Et si les plombiers avaient réussi leurs sales combines? Et si l’armée américaine s’était alignée derrière eux et si les tribunaux avaient commencé à condamner les gens sur de fausses preuves, en les envoyant en prison pour la vie? Et si les plombiers avaient pendant douze ans fait régner la terreur contre les Juifs et autres personnes inscrites sur la « liste des ennemis » de Nixon ? Lorsque le pays a finalement réalisé ce qui se passait et tenté de se remettre de ce traumatisme, les gens ont senti que quelque chose avait terriblement mal tourné avec le système judiciaire et que le gouvernement avait échoué à les protéger. Tel fut l’effet de l’affaire Dreyfus. »

Pris pour argent comptant, comme le récit officiel nous y invite, rien de tout ceci ne semble délibéré. Mais tout comme nous ne pouvons plus prendre les plombiers pour argent comptant, nous ne pouvons pas plus prendre l’affaire Dreyfus pour argent comptant. Le fait que certaines voix, valeurs, coalitions et centres de pouvoir soient sortis de l’affaire discrédités, délégitimés, dispersés et désemparés n’était pas le fruit du hasard.
Revenons à Dreyfus. Voici quelques dates-clés: il a été nommé à l’état-major le 1er janvier 1893. Le ‘bordereau’ fut intercepté en septembre 1894 (certains récits parlent de l’été). On a dit qu’il a été trouvé déchiré dans une corbeille à l’ambassade d’Allemagne par une femme de chambre française (une alsacienne), instrument du contre-espionnage français. Le 5 octobre, le major Armand du Paty de Clam, qui avait été chargé de l’enquête, en est venu à soupçonner Dreyfus. Le 13 octobre, Dreyfus reçut un avis à comparaître au bureau des officiers. Il fut arrêté le 15 octobre, et la nouvelle de son arrestation fut divulguée le 31 octobre. Son procès (à huis clos) débuta le 19 décembre, se termina le 22, et condamna Dreyfus à l’exil permanent, à être dépouillé de son grade, et à une cérémonie de dégradation militaire. Celle-ci eut lieu le 1er janvier 1895, date inscrite sur la photo signalétique de Dreyfus ci-dessus. (La France, en passant, est à l’origine des photos anthropométriques.)
Les personnes nommées par l’état-major passaient leurs deux premières années par roulement dans chacun des quatre départements – 6 mois dans chaque – avant d’obtenir leur première affectation « réelle ». Ce site dit, selon l’historien Vincent Duclert, qui a écrit une étude faisant autorité sur l’affaire, que les « nominations successives de Dreyfus inclurent le premier bureau pour la rédaction de l’ordre de bataille des armées, le quatrième bureau pour le service ferroviaire permettant la concentration des troupes, le deuxième bureau pour l’étude de l’artillerie allemande, et enfin le troisième bureau pour la signature des registres d’approvisionnement des troupes de couverture. »
Ainsi selon Duclert, Dreyfus travaillait dans le 3ème bureau au moment de son arrestation. Je n’ai pas lu le travail de Duclert, et je ne sais pas quelles sont ses sources. Mais j’ai une bonne source qui le contredit : Alfred Dreyfus. Ses mémoires de prison, qui couvrent les années 1894 à 1899 et intitulées à juste titre Cinq années de ma vie, furent publiées en 1901 en français et en anglais. Nous parlons donc ici d’une source primitive directe, publiée très peu de temps après l’affaire.

Dans ses mémoires, Dreyfus écrit qu’il a travaillé pour le Renseignement militaire (Deuxième Bureau) pendant tout le temps passé à l’état-major. Vous avez bien compris: Dreyfus n’était pas officier d’artillerie. Il appartenait au Renseignement militaire . Vous ne trouverez nulle part cette petite pépite de vérité sous les masses de conneries écrites sur l’affaire, même si elle est juste sous les yeux des historiens depuis 1901.
Il se trouve que le 1er octobre 1895 – deux semaines avant son arrestation – Dreyfus a été réaffecté et qu’il s’est retrouvé en poste avec un régiment d’infanterie à Paris. (Voyons voir, qui d’autre avons-nous vu quitter le Renseignement deux semaines avant de reparaître dans une énorme PSYOP ? Hum… ah d’accord, le père de Sharon Tate.) Rappelons qu’ils ont commencé à soupçonner Dreyfus le 5 octobre (nous dit-on). Ce qui est absurde pour de nombreuses raisons, car le Bordereau, découvert en septembre, parlait de secrets d’artillerie militaire. On dit que le soupçon est tombé sur lui puisqu’il était officier d’artillerie. Mais cela n’a pas de sens parce qu’il n’était plus dans l’artillerie depuis 1890 en entrant à Saint-Cyr et, qu’après son diplôme, il est entré dans le Renseignement militaire en 1893. Vous pourriez me dire que son rôle dans le régiment d’infanterie impliquait probablement l’artillerie, mais il n’était pas à ce poste lorsque le bordereau fut découvert, et il n’y était que depuis quelques jours quand il fut soupçonné. Le bordereau précise que l’auteur de la lettre n’a eu le manuel d’artillerie de campagne en sa possession que pendant quelques jours quand il était « en manœuvre ». Il dit qu’il « part en manœuvre. » Mais rappelons que lorsque la note a été écrite, Dreyfus travaillait au Deuxième Bureau, il ne serait donc pas parti en manœuvre d’artillerie.
Maintenant, si c’était l’histoire officielle, on pourrait dire que tout ceci est une preuve supplémentaire que Dreyfus a été mis en place par de méchants revanchistes antisémites de l’armée, comme le capitaine (puis lieutenant-colonel) du Paty de Clam et son infâme homme de main, le capitaine (puis lieutenant-colonel) Henry. Mais non. Ces contradictions flagrantes sont à mon avis le signe que cette affaire a été fabriquée, dautant plus que ces faits auraient été connus de ceux qui l’ont accusé et condamné – qu’ils aient ou non pensé à faire concorder l’écriture de Dreyfus et celle du Bordereau.
Voici une autre incohérence flagrante : on peut lire dans le journal de Dreyfus en prison sa note du 4 novembre 1895 : « Chaleur terrible, plus de 45° ». Comment aurait-il pu connaître la température? Lui a-t-on donné un thermomètre sur l’île du Diable ? Pourquoi pas aussi un baromètre, pour qu’il puisse installer sa petite station météo personnelle ? À l’époque bien sûr, les gens ne savaient pas grand-chose du climat en Guyane et n’avaient pas vraiment les moyens de le découvrir. Mais ils savaient qu’il y fait chaud, et 45° est sacrément chaud. Pauvre homme! Mais de nos jours, nous avons une petite chose appelée Internet, et des « faits » de ce genre peuvent être vérifiés. Selon Weather Underground, la température la plus élevée en Guyane française a été enregistrée le 3 novembre 2015. Il y a fait 37.9°. C’est 7° en dessous de ce qu’a rapporté Dreyfus. On ne sait pas depuis combien de temps existe l’enregistrement des températures, mais si nous sommes censés croire au réchauffement climatique, il est supposé faire plus chaud aujourd’hui qu’à l’époque. Le climat de Guyane française est tropical avec une faible variation saisonnière de la température. La température maximale moyenne est de 29° et la minimale moyenne de 23°, alors qu’en juin la moyenne maximum est de 31° avec un minimum de 23°. Alors, non, Alfred, je suis désolé, mais il n’a jamais fait 45° sur votre petite île. Je suppose que votre thermomètre était cassé. Ou… peut-être avez-vous tout inventé ?
Certains récits nous disent qu’il a passé ses 5 ans enfermé dans une cellule et qu’ils ont construit un mur pour qu’il ne soit pas en mesure de voir la mer. Mais dans ces mémoires, il peut sortir de sa cellule et se promener à l’extérieur. Les journaux sont écrits dans le style mièvre du « pauvre de moi! » qui parait saugrenu. Comme Albert Lindemann l’écrit dans Le Juif accusé, « Celui qui lit les mémoires de Dreyfus ou les lettres à sa femme ne peut guère éviter le sentiment de lire un mauvais roman, rempli de mièvreries et d’autosatisfaction. » Oui, il se lit comme un mauvais roman. Une grande partie est du remplissage où il ne fait qu’écrire pour se plaindre de l’attente du courrier. Si Samuel Beckett avait écrit une pièce de théâtre sur les années de Dreyfus en prison, il l’aurait appelée En attendant le courrier [parodiant la pièce, En attendant Godot].
Vous pourriez vous demander comment un officier de l’armée accusé de haute trahison et passé en cour martiale a pu échapper à la peine de mort. Selon Wikipédia, ce fut un tollé général à ce sujet: « Jean Jaurès [homme politique « socialiste »] regrettait la mansuétude de la peine dans une adresse à la Chambre et il écrivit: « Un soldat a été condamné à mort et exécuté pour avoir jeté un bouton au visage de son caporal. Alors pourquoi laisser en vie ce misérable traître ? » Oui, pourquoi en effet? Tout ce que nous avons, c’est un tas de diversions où on l’accuse de crime politique et l’abolition de la peine de mort pour de tels crimes en 1848. Je n’ai pu trouver cette loi de 1848 [exact, l’Assemblée de 1848 écarte la peine de mort en matière politique mais les partisans de l’abolition totale, conduits par Victor Hugo, ne pourront faire triompher leurs vues], ni une source claire à ce sujet. Il y a eu une loi adoptée en 1886 définissant l’espionnage comme un crime politique mais qui interdisait la peine de mort. Il aurait été condamné en vertu de cette loi. Le problème est que le maximum de peine pour espionnage en vertu de cette loi était de 5 ans de prison. Mais Dreyfus a été condamné à la prison à vie en exil. S’ils n’avaient pas été obligés de se conformer à la loi sur l’espionnage, ils auraient pu le condamner à mort, comme ils le faisaient apparemment régulièrement pour des crimes moins graves. Bien entendu, ils ne pouvaient pas le faire disparaître pour de bon à ce moment-là, puisque sa réhabilitation finale faisait partie du plan. Il fallait juste le cacher pendant quelques années. Pas difficile.
Une autre incohérence concerne l’idée que le capitaine du Paty de Clam (chef de l’enquête) « a tenté de suggérer un suicide en plaçant un revolver devant Dreyfus, mais que ce dernier a refusé de mettre fin à sa vie en disant qu’il ‘voulait vivre pour établir son innocence.' » Mais dans ses mémoires, Dreyfus dit qu’après le test de l’écriture, « du Paty se leva, et en posant sa main sur mon épaule, cria d’une voix forte: « Au nom de la loi, je vous arrête; vous êtes accusé du crime de haute trahison. » Parce que c’est apparemment la façon dont les gens parlaient à l’époque. On pourrait penser que si Du Paty avait mis un revolver devant lui en l’encourageant à se suicider, Dreyfus l’aurait mentionné. Rappelez-vous que ce livre a été publié alors que Dreyfus essayait de prouver son innocence, car un nuage de suspicion s’accrochait encore à lui, ayant été reconnu coupable lors de son second procès, mais gracié par le Président. Il ne fut totalement innocenté que quelques années plus tard.
Je vous encourage à prendre un moment pour regarder le court-métrage réalisé par Georges Méliès sur l’affaire Dreyfus, qui est sorti peu après le nouveau procès de Dreyfus à Rennes en 1899. Vous y verrez que le moment dramatique avec le revolver est inclus dans le scénario. Je suppose qu’ils avaient un autre comité de ‘nègres’ pour écrire les mémoires. Une autre société cinématographique de l’époque, Biograph (concurrent de la société de films Edison), a filmé Dreyfus sortant de sa cellule de prison à Rennes pour prendre de l’exercice, mais il remarque « soudain » la caméra et retourne à l’intérieur. On veut nous faire croire que c’est pris sur le vif, mais ce n’est que du théâtre. Dans les années 1890, les caméras étaient énormes, bruyantes et pesaient une demi-tonne. Il n’y avait pas moyen de mettre en place secrètement ou discrètement une caméra comme le font les paparazzi aujourd’hui. Voilà encore une autre indication que Dreyfus jouait une scène. D’ailleurs un film réalisé par la même compagnie, qui montre le célèbre duel entre Émile Zola et Henri Rochefort, est présenté comme la reconstitution d’un événement réel. Mais il est aujourd’hui admis que le duel n’a pas réellement eu lieu, ce qui fournit encore un autre exemple d’une fiction qu’on fait passer pour un fait historique grâce à la magie du cinéma.
Une dernière incohérence (parmi beaucoup d’autres) que je tiens à souligner dans les mémoires de Dreyfus est ce qu’écrit l’éditeur du livre dans la préface : que le bordereau a été trouvé par la femme de chambre dans la poche du manteau de l’attaché militaire allemand (autrement dit le chef du bureau du Renseignement), le comte (et colonel) Maximilien von Schwartzkoppen. On peut aussi trouver cette version des événements dans le film de Méliès dont lien donné plus haut. Mais les récits suivants vont vous dire que le bordereau a été trouvé déchiré dans la corbeille à papier de von Schwartzkoppen. Détail mineur, mais la contradiction est révélatrice. Comme nous l’avons vu dans de nombreux autres cas, cela signe un canular.
La correspondance entre von Schwartzkoppen et l’attaché italien de l’époque, Panizzardi, a été divulguée plus tard et montre que tous deux poursuivaient une relation homosexuelle. Les courriers étaient censés faire partie du « dossier secret » de preuves présenté aux juges, mais pas à l’avocat de la défense (pour des raisons de sécurité nationale, naturellement). Il est maintenant reconnu que la plupart des documents du dossier secret étaient des « faux » ajoutés au dossier après le premier procès de Dreyfus, et on ne sait pas quels documents ont été vus par ces juges. Bien sûr, dire que quelques-uns des documents étaient des faux implique que certains étaient authentiques, mais gardez à l’ esprit que s’ils ont falsifié certains documents, ils ont pu tous les falsifier.

2e partie :

(…) Maintenant, que serait un canular fabriqué sans photos truquées ? Voici quelques photos de la famille Dreyfus :

Les deux premières sont de Getty, la troisième vient de Wikipédia. La première et la troisième photo sont des montages et elles ont été fortement retouchées à la main. La deuxième ressemble à une photographie réelle, bien qu’on puisse facilement dire que Dreyfus et son fils y ont été collés (ils font penser à des découpages en carton et l’éclairage est tout à fait différent). Le fond (bizarre) y a également été collé. Question : Si une photo réelle existe (la numéro 2), alors pourquoi auraient-ils eu besoin de retoucher sur la photo de Wikipédia sa femme et sa fille avec tant d’insistance qu’on les dirait presque dessinées à la main? Voici mon idée: la photo de Wikipédia est datée de 1905. Dans ses mémoires, Dreyfus dit que le jour de son arrestation, son fils Pierre avait 3 ans et demi. C’était en 1894. Sa fille Jeanne est née le 22 février 1893. Elle est donc censée avoir 10 ans sur la photo. Elle n’a pas 10 ans sur la photo Getty (n° 2). Elle ressemble plus à une enfant de 7 ou 8 ans. Peut-être l’ont-ils fortement retouchée sur d’autres photos pour la rendre plus âgée et ainsi la faire coller à la chronologie ?
Voici une photo datée de 1900 lors d’une réunion de famille dans la propriété de la sœur de Dreyfus à Carpentras. (Dreyfus venait d’une famille fortunée d’industriels du textile, bien sûr, et il épousa la fille d’un riche marchand de diamants :

Le gars du milieu semble ajouté à en juger par la ligne blanche autour de lui. La femme de Dreyfus et son fils sont un peu plus flous que le reste, mais c’est peut-être parce qu’ils ont bougé pendant la prise. Mais c’est un peu bizarre de faire une réunion de famille en l’honneur d’Alfred sans le pauvre Alfred, ne pensez-vous pas ? Voici une « réunion de famille » où Dreyfus a été rajouté, ainsi que beaucoup d’autres choses étranges :

Il semble tout à fait réjoui d’être de retour dans sa famille, non ? Il est difficile de savoir par où commencer avec cette photo-ci. La première chose qui saute aux yeux, c’est le gros pâté de peinture (?) blanche sur son visage, qui recouvre même une partie de sa moustache. Je suppose qu’ils ont essayé d’éclaircir son visage. Regardez aussi les ombres sous son menton. Elles sont juste un peu plus sombres que les ombres sous le menton des autres. Sa tête semble collée à son corps. La mise au point n’est pas non plus la même que celle des autres, ce qui est difficile à remarquer sans faire de zoom. Et remarquez comme sa tête est petite et mince. Ils lui ont écrasé le visage. Peut-être pour faire penser qu’il était en train de mourir de faim sur une petite île d’Amérique du Sud. Ou pour faire correspondre la tête ajoutée au corps. Je ne sais pas. Son chapeau semble ajouté aussi, et on peut se demander pourquoi il ne projette pas une ombre beaucoup plus grande sur son visage, car la lumière vient d’en haut. Et c’est quoi ce chapeau ridicule ? Serait-ce un souvenir ramené de l’île du Diable? Pourquoi ne pas le montrer avec un sombrero, une sarape [cape mexicaine] et quelques maracas pendant qu’on y est ?
Mais Dreyfus n’est pas la seule chose bizarre dans cette photo : regardez par exemple son beau-frère à droite, qui semble avoir été collé devant la personne dont il cache la vue (ou bien ils ont embauché un très mauvais photographe). Son visage est de plusieurs tons plus sombre celui des autres, et celui de la fille d’Alfred à ses côtés est un poil plus sombre que celui des autres, mais quand même plus clair que le sien. Et remarquez la mystérieuse femme qui a passé son bras autour de Pierre, le fils d’Alfred. Soit son bras est très court soit elle l’a passé d’une manière non naturelle et inconfortable. En fait, plus je regarde cette photo, plus je me demande s’il existe un seul élément qui ne soit pas du collage.
Une autre chose bizarre sur la première photo de famille, c’est l’homme debout au milieu à l’arrière, étiqueté comme Mathieu Dreyfus, le frère aîné d’Alfred. Mais voici une autre photo d’Alfred et de Mathieu ensemble, datée de fin 1899-début 1900, donnée comme au même endroit que sur les photos du regroupement familial. C’est l’une des rares photos de Dreyfus que j’ai pu trouver qui m’apparaisse non retouchée.

Mathieu est à gauche. Il a l’air beaucoup plus vieux que dans la photo ci-dessus, d’accord ? Ce qui est logique puisqu’il est le frère aîné d’Alfred. Notez également qu’Alfred semble un peu plus « gros » sur cette photo. Voici une autre photo d’Alfred lors de cette même « réunion »:

Un autre collage manifeste (photomontage). Il suffit de zoomer et de regarder la zone au-dessus de sa tête. Ils ne se sont vraiment pas foulés. Toute cette drôle d’histoire de photo est tout simplement déconcertante. Si Dreyfus était une vraie personne avec une vraie famille, quel besoin de tous ces collages et retouches ? Dreyfus n’était-il qu’un personnage inventé qu’on a inséré dans ce drame? Quelle part de sa vie est-elle réelle et quelle part est-elle une fiction? Nous ne le saurons peut-être jamais. Et qu’en est-il des autres comédiens ?

FERDINAND WALSIN-ESTERHAZY

Sa tête de profil est assez plate et se rétrécit vers le nez en grand bec de vautour. Sa moustache est épaisse et effilée à ses extrémités. Ses yeux sont ronds et protubérants : non naturels, ceux d’un fou, comme des billes de verre enfoncées dans le crâne d’un squelette d’une école de médecine.
Robert Harris, Officier et espion

Esterhazy est l’un des personnages les plus colorés de ce ridicule mélodrame. Un ignoble méchant qui a le don du spectaculaire. Ce n’est pas pour rien que Joseph Reinach, le premier « historien » de l’affaire (qui y joue un rôle-clé), a écrit que « la frénésie communicative de cet étonnant cabotin exerçait une fascination sans fin. » Un cabotin, en effet. Eszterhazy est le gars qu’on a finalement dénoncé comme l’auteur du bordereau.Autrement dit, c’est lui le supposé véritable traître qui a échappé aux soupçons au départ pendant qu’on condamnait Dreyfus pour un crime qu’il n’avait pas commis. Grâce à une série de coïncidences fortuites et à l’admirable courage de l’honorable nouveau chef de la Section Statistique, le colonel Piquart, Esterhazy fut finalement soupçonné.
On nous dit qu’Esterhazy a exigé d’être entendu en cour martiale pour prouver son innocence. Est-ce ainsi que les choses fonctionnent ? Je ne savais pas qu’un passage en cour martiale se faisait à la demande. « Le passage en cour martiale d’Esterhazy fut précédé d’un dédale d’intrigues qui évoquait pour moitié un roman de Gaboriau et pour moitié un opéra burlesque » (extrait de La tragédie de Dreyfus). Plutôt que de se laisser entraîner dans les tenants et aboutissants de ces multiples diversions, examinons plutôt quelques petites choses que nous ne sommes pas invités à remarquer concernant Walsin-Esterhazy.
Tout d’abord, son nom de famille: Esterhazy. Les Esterhazy étaient une famille de la noblesse incroyablement riche, originaire d’Autriche et de Hongrie. Esterhazy était-il lui-même juif ? On dit que la lignée Esterhazy descend du clan du roi Salomon de Hongrie qui n’aurait pas eu d’héritiers et aurait été détrôné par son oncle et ses neveux. Il épousa Judith. Le roi Salomon et la reine Judith pourraient-ils paraître plus juifs si vous les appeliez Shlomo et Yehudit ? Quel est le lien précis de ce roi avec les Esterhazy, je n’ai pas pu le découvrir. On dit qu’ils tirent leur origine du roi Salomon de Hongrie au 11ème siècle, mais la généalogie que j’ai pu trouver ne remonte qu’au 13ème siècle, avec le nom de famille Salomon. Ce nom s’éteint au 15 e siècle avec Miklos Salamon de Salamon-Watha, dont les enfants (pour des raisons inconnues) prennent un nom de famille différent. Son fils, Balazs Szerhas des Szerhashaz est à l’origine du nom Esterhazy. Les Esterhazy sont également connus pour s’être montrés très bons envers les Juifs, et beaucoup de Juifs vinrent s’installer sur leurs terres, même durant les périodes où on les expulsait d’autres régions. La ville d’Eisenstadt, où ils avaient un palais, est aussi un nom de famille juif courant.
Ferdinand Walsin-Esterhazy était le fils du général Louis Joseph Ferdinand Walsin-Esterhazy, à son tour fils de Joseph Marie Auguste Walsin-Esterhazy de Ginestous, fils bâtard de Marie Anne Esterhazy de Galántha et de Jean André César de Ginestous. Ce couple n’a pas été marié et on nous dit que leur bâtard fut officiellement adopté par le Dr Walsin, médecin français de la famille royale austro-hongroise (selon la page Wikipédia en français sur notre Ferdinand). L’arrière-grand-mère de Ferdinand, qui était extrêmement riche, s’appelait Marie-Anne Esterhazy, elle était l’arrière-arrière-petite-fille de Nikolaus Esterhazy (1583-1645), et c’est à cette période que la famille Esterhazy acquit sa notoriété. Du côté maternel, son grand-père était Isaac de Lautal de Roquan, mais aucun des autres membres de la famille n’a de nom typiquement juif.
Ce n’était pas seulement la famille Esterhazy qui était amie des Juifs. Ferdinand l’était personnellement :

« … concernant l’histoire d’Esterhazy, cette canaille shakespearienne, comme l’appelait William James, elle fournit une matière intéressante sans fin. Par exemple… si, dans les années précédant l’affaire Dreyfus vous étiez un officier juif dans l’armée qui avait été insulté dans la presse par un professionnel anti-sémite, disons Drumont, la chose à faire était de défier votre insulteur en duel. Ah, mais c’était difficile. Il fallait trouver quelqu’un pour vous assister pendant le duel – pas si facile, et de préférence un non-Juif prêt à se porter garant de votre honneur. Eh bien, il s’est avéré qu’il y avait un homme qui y concédait; on pouvait l’embaucher pour servir d’assistant aux officiers juifs dont l’honneur avait été mis en doute dans la presse, remis en question dans la presse, bafoué dans la presse. Ce gars-là, cet homme qui concédait à aider les officiers juifs pour la défense de leur honneur, n’était nul autre qu’Esterhazy, le futur méchant de l’affaire. Et, par ailleurs, l’homme qui vous mettait en contact avec Esterhazy, si vous étiez juif – car comment le trouver ? – eh bien c’était Zadoc Kahn, le Grand Rabbin de Paris, qui disait ‘je peux vous mettre en contact avec l’homme qui vous aidera dans cette situation embarrassante’. On peut donc penser que dès, dirons-nous, 1890, si vous étiez un officier juif dont l’honneur avait été bafoué, l’homme qui vous aiderait à défendre votre honneur serait Esterhazy, le futur méchant de l’affaire. »

Selon Wikipédia, « Par l’intermédiaire de Zadoc Kahn, le grand Rabbin de France, Esterhazy obtint une aide des Rothschild (juin 1894). À la même époque, il était en bons termes avec les rédacteurs du journal antisémite, La Libre Parole, auquel il fournissait des informations. » Donc, n’était-il qu’un opportuniste jouant su rles deux tableaux ? Ou était-ce l’indication d’un lien entre Drumont et les Rothschild ? Esterhazy, d’un autre côté, n’avait pas besoin de Zadoc Kahn : il était en bons termes avec les Rothschild, ayant fréquenté Edmond au lycée (D’après Le retour des Rothschild, pp 116-17.) :

« En 1892, suite à une campagne de La Libre Parole contre les juifs de l’armée, Édouard Drumont fut défié par l’un d’entre eux, le capitaine Ernest Crémieu-Foa. Esterhazy accepta d’assister le capitaine juif… et ce dépensier d’Esterhazy se débrouilla pour s’attirer les bonnes grâces de Drumont ainsi que celles des Rothschild. En Juin 1894 – quatre mois avant le message secret à l’ambassade allemande – Esterhazy écrivit à Alphonse de Rothschild et à son plus jeune frère, Edmond (qui avait été son camarade de classe au lycée). Il avait un besoin désespéré de fonds, disait-il; comme on le considérait comme un ami des Juifs, ses beaux-parents refusaient de l’aider, et il ne pouvait plus s’occuper de sa femme souffrante et de ses petites filles… Les Rothschild décidèrent d’aider cet homme impossible – parce qu’il semblait être l’ami du capitaine Crémieu-Foa, et qu’il avait bien sûr été un camarade de classe d’Edmond (qui l’avait dépanné plus d’une fois)… Peu après avoir écrit aux Rothschild, le commandant Esterhazy rendit sa première visite à l’attaché militaire allemand à Paris. Pour empêcher sa femme et ses enfants de mourir de faim, disait-il, il souhaitait vendre des secrets militaires aux Allemands. »

On nous dit qu’Esterhazy a vendu des secrets aux Allemands parce qu’il avait besoin d’argent. Je n’en suis pas convaincu. Nous avons vu qu’il descendait d’une noblesse fortunée et que son père était général. Sa sœur et lui avaient reçu une généreuse pension du gouvernement après la mort de leur père. On nous dit qu’il était joueur et dépensier pour rendre l’histoire plausible. Mais nous les avons vu maintes fois faire croire que les riches étaient fauchés, et nous pouvons être sûrs que les problèmes d’argent d’Esterhazy étaient du faux-semblant. En effet, Wikipédia nous dit qu’après le procès, « L’armée déclara le commandant Esterhazy inapte au service. Pour éviter des risques personnels, il s’exila en Angleterre, où il vécut confortablement et termina ses jours dans les années 1920. Esterhazy bénéficia d’un traitement spécial de la part des échelons supérieurs de l’armée, ce qui était inexplicable sauf si l’état-major désirait étouffer toute velléité de contester le verdict de la cour martiale qui avait condamné le capitaine Dreyfus en 1894. »
Serait-ce la seule explication? Essayez celle-ci pour voir : ce fils de général, agent du Renseignement, descendant de la royauté et condisciple de Rothschild a été protégé toute sa vie et récompensé pour son rôle dans l’affaire Dreyfus. S’il avait été un joueur invétéré et dépensier au point de devoir vendre des secrets d’état pour nourrir sa famille, comment a-t-il fait pour finir confortablement ses jours en Angleterre ? Et si les Rothschild ont décidé de l’aider, pourquoi s’est-il dépêché de vendre les secrets qu’il avait écrits, à moins qu’il n’ait agi sur ordre? Comme d’ habitude, l’histoire se contredit sur la même page et ces contradictions sont ignorées par la suite.
Une dernière chose qui m’a fait tiquer dans l’histoire d’Esterhazy et qui vaut le coup d’être explorée, à partir de sa page Wikipédia :

« L’historien français Jean Doise adhérait à l’hypothèse révisionniste selon laquelle Esterhazy aurait pu être un agent double français se faisant passer pour un traître afin de transmettre de fausses informations à l’armée allemande. Doise n’a pas été le premier auteur à explorer l’hypothèse d’un Esterhazy agent double: des écrits plus anciens de Michel de Lombarès et d’Henri Giscard d’Estaing, bien que différents dans les détails, présentaient également cette argumentation. »

Esterhazy ayant lui-même avoué plus tard dans un journal britannique qu’il était bel et bien l’auteur du bordereau et l’avait fait passer aux Allemands en tant que désinformation, c’est une hypothèse à peine surprenante. Le problème, si cela est vrai, est que cela étale toute l’affaire au grand jour. Et il y a une très bonne raison de croire que ce soit vrai, en dehors de la confession d’Esterhazy. L’auteur du bordereau laisse entendre qu’il divulgue des informations sur des canons de 120 long en France [« frein hydraulique de 120 »], même si à cette époque les canons de 120 avaient été soit abandonnés (selon wiki) ou supprimés progressivement en faveur du nouveau canon de 75 à tir rapide :

« Doise faisait valoir qu’Esterhazy était un agent double déguisé en traître, chargé d’infiltrer de la désinformation. Il a diffusé des « secrets » sur le canon de 120 technologiquement obsolète, que l’armée française était sur le point de remplacer. Vendre les secrets d’un canon révolu et piéger Dreyfus pour faire paraître importante cette information était une ruse conçue pour empêcher les Allemands de découvrir le vrai secret militaire de la France, la conception d’un nouveau canon de campagne de 75 à tir rapide. Le 75 était techniquement en avance sur son temps. Les Allemands et les Américains ne produisirent des canons aux performances équivalentes que 20 ans plus tard, à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1918, l’armée américaine s’est en fait simplement accaparé le 75 et a commencé à en construire sous licence américaine. Doise argumentait que le bordereau d’Esterhazy n’était que l’un des nombreux stratagèmes destinés à garder les Allemands dans l’obscurité. Dreyfus a été sacrifié pour raisons d’état ou, comme on dit aujourd’hui, pour la sécurité nationale. »

Stop ! Pas si vite. Voyez-vous le problème ici? Cette histoire que Doise colporte serait qu’ils voulaient dénoncer le traître pour faire paraître crédibles les informations qu’il offrait aux Allemands sur le canon de 120 et ainsi les mener sur une fausse piste. Mais Esterhazy a pris ses ordres du lieutenant-colonel Sandherr, le même gars qui a nommé du Paty de Clam responsable de l’enquête. Pourquoi devoir monter une enquête juste pour piéger quelqu’un? Et doit-on croire que Sandherr a vraiment sacrifié Dreyfus, l’a traité sans ménagement, et l’a envoyé en exil à l’Ile du Diable, le tout pour les besoins de cette ruse? N’aurait-il pas été plus logique de faire comme s’il était passé en cour martiale, exilé, etc.? Plus encore, rappelons que le nouveau chef du contre-espionnage, le lieutenant-colonel Picquart, aurait risqué sa carrière et son honneur pour aider à rétablir le nom de Dreyfus (son ancien élève à Saint-Cyr) et faire comparaitre Esterhazy en justice.
Sommes-nous censés croire que le nouveau chef du contre-espionnage n’était pas au courant du plan de désinformation? Sinon, pourquoi avoir fait tout cela? Ce qui contredit aussi l’histoire de la vente de la lettre pour de l’argent. Rien de tout cela n’a de sens, comme d’habitude, noyé dans les rumeurs et les diversions avec des détails contradictoires pour nous faire inlassablement tourner en rond en essayant de comprendre ce qui a bien pu se passer. L’ensemble sent le canular fabriqué à plein nez. Toutes ces théories alternatives du complot ne servent qu’à envoyer sur de fausses pistes, comme avec JFK [traduit sur le BBB]. Je les compare aux tactiques militaires des leurres et des brouillages. Notre travail consiste à accéder à la vérité derrière les leurres. La question alors est : pourquoi ont-ils fabriqué ce canular? J’y viendrai plus loin.
Pour finir, vous avez sans doute remarqué sur les photos le numéro 74 sur le képi d’Esterhazy. C’est censé être le numéro de son régiment. Mais ce que vous n’apprendrez sûrement pas en lisant les récits sur l’affaire Dreyfus est qu’Esterhazy avait auparavant travaillé à la Section Statistique. En d’autres termes, il faisait aussi partie du Renseignement. (extrait du livre, Le retour des Rothschild.) En fait, si vous lisez sa biographie, il pue l’agent secret.

 

EMILE ZOLA

Débrouiller le cas Zola vient naturellement après celui d’Esterhazy, parce que Zola a écrit sa fameuse lettre ouverte au président Félix Faure [publiée sur le journal L’Aurore, le 13 janvier 1898], « J’accuse!  » pour tenter de disculper Esterhazy. Cet essai, qui se révéla un tournant dans l’affaire, fut publié dans le journal où son ami Georges Clemenceau, qui devint plus tard ministre de l’Intérieur et président du conseil, y compris pendant la Première Guerre mondiale, y était rédacteur. Clemenceau, sortait bien sûr d’un milieu fortuné et il était très courant à l’époque d’avoir de riches hommes politiques rédacteurs de journaux. (Rappelez-vous ce que disait Edward Bernays : « La propagande est le bras exécutif du gouvernement invisible ») Clemenceau était le chef du Parti radical, mais c’était bien sûr une étiquette pratique sans réelle signification – il s’est retourné contre les travailleurs qui se révoltaient pendant la Commune de Paris et il fut impliqué plus tard dans le scandale de Panama. Si Clemenceau n’était pas juif, il était certainement allié aux projets que l’élite juive gérait en France au 19ème siècle, affaire Dreyfus comprise.
Mais je m’attarde sur Zola surtout pour ce qu’il représente. Le style d’écriture de Zola, surnommé « naturalisme », était une sorte de précurseur du modernisme, qu’on pourrait commenter comme le triomphe de la « théorie » sur l’esthétique. La lutte pour l’âme de l’art et l’importance de la création a débuté bien avant le 20ème siècle. (La controverse sur la construction concomitante de la Tour Eiffel et de son antithèse, le Sacré-Cœur, est l’archétype même de cette lutte.) Même si Zola était célèbre, son œuvre ne fut pas très bien reçue à l’époque. Son succès est dû en grande partie à du battage et son engagement envers les dreyfusards triomphants lui valut une reconnaissance bien supérieure à celle qu’il aurait obtenu grâce à sa seule littérature. Extraits de Le Juif Accusé (Albert Lindemann, 1992, page 114):

« Zola était l’écrivain le plus célèbre de France à cette époque. Il était plus qu’un écrivain de romans populaires; il était aussi devenu un personnage public, un symbole. Pour la droite catholique française, Zola personnifiait le courant moderniste qui offensa tellement les sensibilités religieuses traditionnelles. Ses très lucratifs romans à succès furent jugés sensationnalistes, de mauvais goût et même obscènes, certainement inférieurs moralement parlant aux œuvres de Drumont. En bref, c’était pour les traditionalistes de France des produits typiques de la culture laïque avilie qui avait grandi sous la République, la « gueuse ». On apprenait aux enfants des familles conservatrices à appeler leurs pots de chambre des Zolas. »

Compte-tenu de sa réputation et de la qualité de son écriture et sa défense de Dreyfus, il semble alors un peu étrange que:

« Comme beaucoup d’intellectuels français, de droite et de gauche, Zola s’alarma pour la rapide ascension des Juifs en France, non seulement dans le domaine économique, mais encore plus dans la vie culturelle. Son principal souci en rédigeant J’accuse! n’était pas d’exprimer sa sympathie pour les Juifs ou même de les défendre en justice; c’était plutôt pour contrer ceux qu’il croyait réactionnaires, jésuites et conspirationnistes militaristes, au sujet desquels il nourrissait des fantasmes qui ressemblaient étonnamment à ceux que nourrissait Drumont à l’égard du Syndicat juif. Tout comme pour beaucoup de français, il leur suffisait d’apprendre que Zola soutenait Dreyfus pour qu’ils décident de se joindre aux antidreyfusards, ainsi en était-il pour Zola: il n’avait qu’à voir qui étaient les ennemis de Dreyfus afin de lui venir en aide. » (Ibid. p. 116)

Bien sûr, l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Donc, si les ennemis de Zola étaient les ennemis des riches juifs français, alors implicitement Zola était leur ami. Je n’ai franchement pas l’énergie ni la patience de retracer sa généalogie ou ses réseaux d’amis, mais Zola semble carrément de leur côté, travaillant à miner l’influence de l’église catholique et de l’aristocratie traditionnelle, ainsi que certains éléments récalcitrants de l’armée, sous la bannière de la République. C’est ce que visait en partie l’affaire Dreyfus. Mais à cette époque on blâmait, la plupart du temps à juste titre, les riches industriels et marchands juifs, de nuire aux artisans traditionnels et aux commerçants locaux (la petite bourgeoisie) avec des articles produits en masse vendus moins cher dans de plus grands magasins. Leur origine juive pouvait être accessoire par rapport à leurs pratiques commerciales, mais le fait qu’ils étaient juifs a certainement contribué à ce que la société française traditionnelle et l’aristocratie aient le sentiment d’être assiégés.
Si vous voulez des preuves d’une connexion de Zola au Renseignement, ne cherchez pas plus loin que son procès. Son « J’accuse » a incriminé et mis en cause des dirigeants politiques français au pouvoir par une fabrication délibérée de documents pour piéger Dreyfus et une opération de dissimulation pour cacher leurs actions. Il a été jugé pour diffamation. Wikipédia nous dit qu’il « a été condamné le 23 février et qu’on lui a retiré sa Légion d’Honneur. Plutôt que d’aller en prison, Zola s’est enfui en Angleterre. Sans même avoir eu le temps d’emballer quelques vêtements, il a débarqué à la gare Victoria le 19 Juillet. Après son bref et malheureux séjour à Londres (à Upper Norwood) d’octobre 1898 à juin 1899, il fut autorisé à rentrer en France, à temps pour assister à la chute du gouvernement. » C’est quoi ce truc ? Les accusés reconnus coupables ne sont-ils pas immédiatement mis en prison à la sortie du tribunal? Comment Zola a-t-il été en mesure d’y échapper? On ne nous le dit pas. Mais il n’y a pas de faute de frappe sur Wikipédia : selon l’histoire officielle , il a déambulé dans Paris pendant cinq mois avant de « fuir » à Londres  » sans même avoir le temps d’emballer quelques vêtements. » Que faisait la police française pendant tout ce temps ? Pourquoi n’a-t-il pas été mis en prison? Ont-ils mis l’inspecteur Clouseau [celui de la Panthère rose] sur l’affaire ? Il serait revenu en France « après que Dreyfus ait été gracié », le 19 septembre 1899. Mais c’est Dreyfus qui a été gracié, pas Zola. Sa condamnation restait toujours d’actualité, qu’un nouveau gouvernement soit ou non élu. Nous avons vu dans de nombreux articles de Miles que le seul genre de personne qui peut se promener librement après avoir été reconnu coupable, « fuir » les autorités et pouvoir revenir en France comme un fugitif vis à vis de la justice et continuer à vivre comme si de rien n’était, est un agent du Renseignement.
En 1899, Émile Zola écrivit un article de journal intitulé « Le cinquième acte »: « Quelqu’un a-t-il remarqué que cette affaire Dreyfus, ce drame gigantesque qui a passionné l’univers, semble avoir été mis en scène par un sublime dramaturge, déterminé à en faire un chef-d’œuvre incomparable? » C’est vrai, Émile, personne n’a remarqué. Pas même quand vous le leur avez dit en face. Mais savez-vous ? La réalité est plus étrange que la fiction. C’est ce qu’on dit. Je suppose que répandre ce mensonge les a aidé à faire passer ces histoires absurdes comme réelles. Si vous vous demandez qui fut le scénariste derrière cette magistrale opération psychologique, je pense que nous avons trouvé notre homme. Ou au moins l’un d’entre eux. L’image du toujours honorable Dreyfus condamné dans une prison sur une île, puis ramené et rédimé, semble avoir emprunté des éléments du Cyrano de Bergerac et du Comte de Monte-Cristo, entre autres. En d’autres termes, si le drame Dreyfus semble avoir largement emprunté des éléments et des thèmes de la littérature française de l’époque, c’est parce que ce fut le cas.
Le procès de Zola se révéla un tournant dans l’affaire, car il s’est marqué d’une forte augmentation du sentiment anti-sémite et a déclenché une vague d’émeutes anti-juive dans toute la France. Je me contenterai ici de citer trois passages du Juif Accusé pour vous donner une idée de l’ambiance à l’époque.

« Mais il semble assez clair que l’objectif de Zola n’était pas d’obtenir gain de cause au tribunal. C’était plutôt de ranimer les arguments contre l’armée, et dans ce but, il y a très certainement réussi, bien au-delà de ce qu’il espérait. Ce faisant, il a persuadé nombre de ceux qui affichaient jusque-là une neutralité que les dreyfusards étaient de dangereux destructeurs et des calomniateurs irresponsables, ne cherchant que des bénéfices politiques en attaquant des militaires de premier plan et en dénigrant l’armée, sans imaginer une seule seconde qu’ils pouvaient mettre la nation en péril. » (P.115)
« Les accusations contre Zola puis son procès, où il fut reconnu coupable de diffamation, suscitèrent l’intérêt de milliers de gens, jusque-là indifférents, pour l’Affaire. Des émeutes anti-juives se répandirent dans 70 villes de France; la foule criait ‘Mort aux Juifs’ et attaquait des synagogues, des magasins juifs, et des juifs dans la rue. La police semblait souvent inefficace, manifestant peut-être même de la sympathie pour les émeutiers. » (P.116)
« Au cours des semaines et des mois suivants des boycotts anti-juifs furent organisés, et les ligues antisémites reprirent vie, gagnant un suivi sans précédent. Les dirigeants juifs convaincus qu’une publicité sensationnelle pourrait être dangereuse, en eurent une douloureuse confirmation. Facilement excitable, la France semblait être au bord d’un soulèvement populaire total contre les Juifs. En bref, Zola a non seulement réussi à ranimer la campagne pour la libération de Dreyfus, mais il a même relancé avec force le mouvement antisémite qui avait précédemment échoué à la fin des années 1880 et au début des années 1890. « (P.116)

3e partie :

ÉDOUARD-ADOLPHE DRUMONT
La dernière figure importante que nous allons étudier en profondeur est Édouard-Adolphe Drumont, appelé parfois « le pape de l’ antisémitisme. » Drumont s’occupait d’un journal nommé La Libre Parole. Selon Wikipédia, « avec l’émergence de l’affaire Dreyfus, La Libre Parole connut un vif succès, devenant l’organe principal de l’antisémitisme parisien. » Drumont avait également écrit un livre antisémite virulent, publié en 1886, intitulé La France juive. L’ouvrage de 1200 pages en deux volumes aurait été imprimé à plus de 100.000 exemplaires la première année, avec un million d’exemplaires vendus en 25 ans. Nous savons bien sûr que ces chiffres ont pu être inventés, et nous pouvons spéculer qu’ils l’ont été, en partie pour affermir le profil de Drumont et renforcer son importance.
Dans Le Juif Accusé, Lindemann décrit le livre de Drumont comme:

« … de l’antisémitisme à coups de copié-collés, assemblés avec un mépris presque comique pour la cohérence et la pertinence. La France Juive était un ouvrage en deux volumes, qui regorgeait de marques d’érudition, mais Drumont était tout sauf un vrai érudit, et on ne pouvait comparer ses gribouillages avec ceux de Toussenel (auquel il a fait d’amples emprunts) ou d’autres écrivains plus talentueux et respectables comme Barrès et Wagner. Les ouvrages de Drumont étaient un ramassis mal digéré, naïf et sans originalité de journaliste.
Une seule considération semblait l’intéresser : introduire tout le négatif possible au sujet des Juifs, tout et n’importe quoi, le plus scandaleux possible, même si un énoncé contredisait totalement le suivant. Des compte-rendus d’assassinats rituels du Moyen- Âge voisinaient avec des études factuelles (tout aussi naïves) sur le pouvoir politique et économique juif. Drumont empruntait au moderne et à l’ancien, à la droite et à la gauche, au catholique et au laïque, du relativement sérieux et factuel ou du risible et de l’absurde, un pot-pourri d’anecdotes, de légendes, de rumeurs et de grasses plaisanteries antisémites. »

Il serait tout à fait remarquable, alors, de découvrir que Drumont – le pape de l’antisémitisme, était juif ou collaborait avec les Juifs. S’il l’était, cela semble une indication claire qu’il jouait son rôle dans cette opération psychologique et que son supposé antisémitisme faisait partie de l’arnaque – placé là comme le gars qui tombe à pic pour discréditer la critique sur l’influence juive en France. Comme on va le voir, beaucoup d’éléments indiquent que Drumont était juif. Pour commencer, nous avons cet article sur lui dans l’Encyclopédie juive :

« Auteur antisémite français et ancien député d’Algérie; né à Paris le 3 mai 1844. Les ascendants de Drumont ne sont pas juifs, comme on l’a parfois affirmé… En 1886, Drumont se retire de l’équipe de « La Liberté » (appartenant à Péreire, un Juif), affirmant que les journaux étaient indûment contrôlés par des Juifs. Il publia ensuite son célèbre ouvrage en deux volumes,  » La France juive », livre qu’on peut considérer comme le début du mouvement antisémite en France. »

En lisant ceci la première fois, j’ai pensé, « n’est-ce pas un peu étrange que sa biographie débute en déclarant qu’il n’est pas juif ? » Sentez-vous quand on cherche à vous égarer ? L’une des raisons qui m’a semblé étrange de démarrer une bio par un tel démenti est de n’avoir vu personne affirmer ou même insinuer que Drumont pourrait être juif dans tout ce que j’ai lu. J’ai donc fait une recherche Google sur ‘Édouard Drumont juif’ et ‘Drumont est-il juif » et autres permutations. Mais comme il est le pape de l’antisémitisme, ces recherches dans l’encyclopédie ne mènent nulle part quant à savoir s’il est juif. Et puis j’ai réalisé quelque chose: L’Encyclopédie juive est la copie intégrale en ligne non modifiée d’une encyclopédie publiée en 1906. Cela signifie qu’à l’époque, beaucoup plus proche de l’événement, les gens affirmaient que Drumont était juif – au point qu’ils ont estimé important de le nier dans sa bio. Intéressant. Maintenant, pourquoi auraient -ils affirmé une telle chose ?
Eh bien, cela pourrait correspondre au fait, également mentionné dans l’article de l’Encyclopédie, qu’avant de publier ce livre furieusement antisémite, il a travaillé pour un journal dirigé par les frères Péreire, de riches financiers juifs qu’on disait rivaux des Rothschild (même si les frères avaient déjà investi dans l’une des compagnies ferroviaires des Rothschild, suggérant que leur rivalité a pu être exagérée). En 1875, Drumont fit l’éloge funèbre de Jacob Péreire, qu’il comparait (en positif) à Napoléon. Il fit en 1880 un très flatteur éloge funèbre pour le frère de Jacob, Isaac. Selon l’article de l’encyclopédie (et ailleurs), nous devons croire qu’il a quitté son emploi au journal en 1886 après avoir (soudain) réalisé que les journaux étaient par trop contrôlés par des Juifs. Mais voici autre chose : même si le livre n’a été publié qu’en 1886, on dit que Drumont à commencé à y travailler dès 1880. Il l’aurait fait grâce aux encouragements d’un prêtre jésuite, le Père Stanislas Du Lac, qu’il avait rencontré en 1879. Ce prêtre a également financé son journal, qui fut lancé le 20 avril 1892. Cette page de généalogie dit que du Lac l’a « converti » au catholicisme. Il est dit la même chose sur la page Wikipédia en français pour Drumont et ailleurs aussi. Mais ils ne disent pas de quelle religion il s’est converti. Dans certains endroits, comme sur sa page wiki en roumain , il se serait « re-)converti » au catholicisme. C’est une façon bizarre de l’exprimer, n’est-ce pas ? Avez-vous déjà entendu dire que quelqu’un s’était converti à sa propre religion?
Ils voudraient donc nous faire croire que Drumont a fait l’éloge d’Isaac Péreire l’année même où il a commencé à travailler sur son chef-d’œuvre antisémite et qu’il est tombé un an après sous l’influence de Du Lac. D’accord.
Quelques mots sur Du Lac. C’était un noble français, recteur de l’école Sainte-Geneviève et prêtre jésuite, qui a fait son noviciat dans l’ordre jésuite d’Issenheim en Alsace. Je mentionne l’endroit, car c’est à seulement 20 km environ de Mulhouse, la ville natale de Dreyfus. Tout à fait une coïncidence. Rappelons que dans l’article de Miles sur Napoléon, il cite le personnage d’un roman de Disraëli disant que les premiers jésuites étaient juifs. Et si vous recherchez sur le web, vous trouverez de nombreuses références à Loyola comme étant un marrane, c’est à dire un Juif contraint de se convertir mais qui conserve la foi juive en secret. Autrement dit, un crypto-Juif.
Vous rappelez-vous plus haut l’entrée de l’Encyclopédie juive où il est dit que Drumont a étudié au Lycée? Mais on ne dit pas lequel. Bon, devinez quoi ? Il est allé au Lycée Condorcet, celui qu’ont fréquenté Esterhazy et Edmond de Rothschild. Selon la page Wikipédia sur Condorcet, les anciens notables élèves incluent (avec Drumont, né en 1844), Jacob (Jacques) de Reinach (né en 1840) et ses 3 fils, Ferdinand Walsin-Esterhazy, ainsi que deux Rothschild. Comme Drumont est né en 1844 et Edmond de Rothschild en 1845, on peut supposer qu’ils se sont fréquentés, mais ils ont pu ne pas avoir été condisciples. La page web du Lycée Condorcet nous dit : « En acceptant depuis le milieu du XIXe siècle un grand nombre d’étudiants protestants et juifs, l’école a joué un rôle de premier plan dans l’émergence du ‘franco-judaïsme’ [et] dans la création du réseau Dreyfus. »
La plupart des sources affirment qu’il a abandonné ses études à 17 ans quand il a « perdu son père », comme le dit Wikipédia. Ce qui aurait eu lieu en 1861. Son père n’est pas mort en 1861, mais placé à l’hôpital psychiatrique de Charenton pour « dépression mélancolique », nous dit-on. Drumont aurait été forcé de se débrouiller par lui-même dès ce moment-là. Il serait devenu vagabond, dormant dans des abris et vivant dans les bas quartiers. De toute évidence, rien de tout cela n’a empêché ses grandes réalisations et au cours des années 1870, il s’est mis à fréquenter des cercles littéraires parisiens réputés et comptait Victor Hugo et Émile Zola comme amis, parmi autres. On peut supposer que son histoire est encore un autre mythe de l’homme parti de rien.
En dernière indication d’un Drumont juif, nous avons ceci, à la page 85 du Juif Accusé :

« Le plus surprenant admirateur de Drumont peut-être, était Théodore Herzl, qui était le correspondant à Paris de la Neue Freie Presse [Nouvelle Presse Libre] de Vienne au début des années 1890. Il écrivit dans son journal : ‘Je dois beaucoup à Drumont pour ma liberté actuelle de création, parce que c’est un artiste.’ L’admiration était réciproque: quand le Judenstaat (« l’État juif », sa description d’un état national futur pour les Juifs) de Herzl parut en 1896, il reçut ce que Herzl décrit lui-même comme une « critique très flatteuse » dans l’article publié par Drumont. Herzl fut auparavant l’invité régulier du salon littéraire d’Alphonse Daudet, un autre intellectuel qui attirait les Juifs – celui qui acceptait Herzl, ainsi que Marcel Proust [juif par sa mère], comme étant un Juif « exceptionnel » charmant – chez qui il rencontra Drumont. »

Oui, Théodore Herzl admirait le pape de l’antisémitisme. Et le sentiment était réciproque.Où trouver une once de bon sens ici ? On va nous démontrer que Drumont n’était là que pour l’argent et la publicité. Mais ça ne colle pas avec l’histoire de sa conversion et l’influence que du Lac a eu sur lui. Ce serait pourtant logique, si Herzl et Drumont travaillaient pour la même équipe. Et Herzl nous procure une bonne transition pour parler de ce qui suit :

QUEL ÉTAIT LE BUT DE L’AFFAIRE DREYFUS ?
Pour autant que je sache, l’affaire Dreyfus avait plusieurs objectifs. On peut lire la plupart d’entre eux dans l’entrée Wikipédia sur l’affaire Dreyfus, sous les conséquences de l’affaire. Mais alors que les historiens décrivent ces conséquences comme non voulues et accidentelles, le fait que l’affaire était un canular fabriqué indique qu’il l’a été pour atteindre ces buts. Nous allons donc les passer en revue un par un, en commençant par Herzl. Je vais citer longuement Wikipédia:

« Le journaliste austro-hongrois Théodore Herzl apparut profondément ému par l’affaire Dreyfus, qui suivit ses débuts en tant que correspondant pour la Neue Freie Press de Vienne et qui fut présent à la dégradation de Dreyfus en 1895. « L’affaire… agit comme un catalyseur dans la conversion de Herzl ». Avant la vague d’antisémitisme qui accompagna la dégradation, Herzl était ‘convaincu de la nécessité de résoudre la question juive’, qui devint ‘une obsession pour lui.’ Dans Der Judenstaat  (l’État des Juifs), il estimait que :Si la France – bastion de l’émancipation, du progrès et du socialisme universel – peut se laisser entraîner dans le maelström de l’antisémitisme et laisser la foule parisienne chanter ‘Tuez les Juifs!’, où peuvent-ils être en sécurité encore une fois – sinon dans leur propre pays ? L’assimilation ne résout pas le problème parce que le monde des Gentils ne le permettra pas, comme l’affaire Dreyfus l’a clairement démontré… » »Ayant vécu sa jeunesse en Autriche, pays antisémite, le choc fut beaucoup plus fort, et Herzl fit le choix de vivre en France pour l’image humaniste qu’elle affichait en se prétendant un refuge contre les excès extrémistes. Il fut au départ un partisan fanatique de l’assimilation des juifs dans la société européenne des Gentils. L’affaire Dreyfus ébranla l’opinion de Herzl sur le monde, et il se retrouva complètement embrigadé dans un tout petit mouvement appelant à la restauration d’un état juif en Israël, le pays d’origine biblique. Herzl prit rapidement la direction du mouvement. »
« Le 29 Août 1897, il organisa le premier congrès sioniste de Bâle et on le considère comme « l’inventeur du sionisme en tant que véritable mouvement politique. » Théodore Herzl écrivit dans son journal (le 1erseptembre 1897) :
Si je devais résumer le Congrès de Bâle en un mot – ce que je me garderai de prononcer publiquement – ce serait ceci : à Bâle, j’ai fondé l’état juif. Si je le déclarais haut et clair aujourd’hui, je serais accueilli par un rire universel. Peut-être que dans cinq ans, et très certainement dans cinquante ans, tout le monde le reconnaîtra. »
« Le 29 novembre 1947, un peu plus de cinquante ans après le premier Congrès Sioniste, les Nations Unies votèrent en faveur d’un partage de la Palestine pour créer un état juif. L’année suivante, l’état d’Israël fut créé. Par conséquent, l’affaire Dreyfus est considérée comme un tournant dans l’histoire juive et comme le début du mouvement sioniste dans les temps modernes ».

Nous pouvons voir d’après ce récit que l’affaire Dreyfus a servi d’étincelle pour déclencher le mouvement sioniste. Pour ce faire, il fallait attiser les flammes de l’antisémitisme, sinon les Juifs n’auraient pas eu assez peur pour quitter la riche Europe et se retrouver dans une Palestine en voie de développement. La meilleure façon de lancer la machine n’était-elle pas d’accuser faussement un officier juif de trahison et de rendre la foule frénétique par toutes sortes de propagandes antisémites diffusées par, entre autres, le journal de Drumont ? Bien sûr, la seule affaire Dreyfus ne suffisait pas pour atteindre cet objectif. Mais elle semble avoir lancé un plan plus large qui prendrait un demi-siècle à se concrétiser. Ou comme l’a dit Hannah Arendt : « Les principaux acteurs de l’affaire Dreyfus semblent parfois mettre en scène une grande répétition générale pour un spectacle qui devait être reporté trente ans plus tard. » Des acteurs mettant en scène une répétition générale, en effet. N’était-ce pas ce que je disais en début d’article en parlant de vérité déguisée en métaphore…?
Posez-vous cette question : si je suis juif, pourquoi écrire cela? Cela ne me dérange-t-il pas? Comment me situer par rapport à cet antisémitisme? Eh bien, je ne suis pas une personne très tribale par nature. À mon avis, il est tout aussi mauvais pour moi de me sentir relié aux juifs comme s’ils étaient une sorte de bloc indifférencié ou une race ou une religion, comme il est tout aussi mauvais pour les autres de condamner « les Juifs » comme une sorte de bloc indifférencié ou une race ou une religion. Je ne tomberai pas dans la dichotomie manichéenne artificielle qui considère toute critique des Juifs comme de l’antisémitisme pur et simple.
Dans tous les cas, je ne pense pas que pointer du doigt cette élite juive manifeste de l’antisémitisme, parce qu’ils ne montrent aucun scrupule à traiter horriblement les autres Juifs. En fait, d’après ce que j’ai vu, ils se fichent complètement des autres. [dans ce passage, Josh emploie un langage beaucoup moins châtié que le mien] On pourrait même dire que cette critique est prosémite, puisqu’elle vise la petite minorité de Juifs qui a arnaqué et escroqué la grande majorité des autres Juifs (ainsi que tout le monde, sauf les riches Gentils qui étaient prêt à jouer le jeu et ne se sont pas fait doubler). L’histoire des Juifs d’Europe est celle d’une grande et sanglante persécution, mais même les récits officiels disent que cette persécution provenait généralement d’une colère contre les usuriers. Donc, même cette terrible histoire (en supposant qu’elle soit plus ou moins vraie) est celle où des gens se sont emportés contre la petite minorité des prêteurs d’argent juifs (probablement pour de bonnes raisons, si on se fie à l’histoire récente), mais tous les Juifs ont dû porter le chapeau et payer le prix avec leurs larmes et leur sang. En fait, je suppose que cette élite juive n’a jamais vraiment payé le prix. Ils se sont juste tournés vers d’autres nouvelles victimes.
Et n’oublions pas ce qu’ils ont fait pour obliger autant de Juifs que possible à se regrouper dans l’état d’Israël, et les amener à continuer le sacrifice volontaire de leurs fils et de leurs filles dans d’innombrables guerres et conflits, sans parler des immenses douleurs et pertes des Palestiniens. Il ne faut pas perdre de vue que, malgré l’antisémitisme généralisé de l’époque (aussi bien réel que fabriqué), la plupart des Juifs ne voulaient pas partir en Israël, et les grandes idées de Herzl rencontrèrent (au départ) une grande critique dans les communautés juives d’Europe. Les sionistes n’arrêtaient pas de vouloir envoyer les Juifs en Israël, mais ils eurent toutes les peines du monde pour les y faire aller et y rester. Pendant et après la seconde guerre mondiale beaucoup ne voulurent pas aller en Palestine, ils fallut alors fermer du mieux possible les portes de l’Amérique et celles d’autres destinations. Mais cela ne suffisait toujours pas. Ils leur fallait encore faire émigrer un tas de Juifs originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et il existe en fait quelques « false flags » documentés perpétrés par le Mossad, pour les inciter à bouger. Les Juifs d’Israël subissent toujours un lavage de cerveau; il commence très tôt et se fait très en profondeur.
Tout en restant sur le thème de l’antisémitisme, nous pouvons parler d’un autre objectif de l’opération psychologique de l’affaire Dreyfus, peut-être son objectif principal : délégitimer toute critique sur le comportement des Juifs fortunés, assimilée à de « l’anti-sémitisme ». La manière de faire est de jeter une opprobre légitime sur les histoires de religion, les absurdités consistant à boire le sang de bébés chrétiens, la pureté raciale, etc. Ce que nous avons vu en fait ci-dessus avec le livre de Drumont : il suffit de prendre n’importe quoi, même si c’est farfelu, et de l’ajouter à la critique légitime. Puis de taxer tout cela à la va-vite « d’anti-sémitisme », même si le terme « sémite » fait référence à une conception spécifique des Juifs comme appartenant à une race sémite, différente de celle des Européens. (strictement parlant alors, l’anti-sémitisme est vraiment un fragment particulier de la doctrine anti-juive basée sur les théories raciales.)
Ensuite accuser et condamner Dreyfus comme espion juif pour attiser les flammes de l’antisémitisme, en y amalgamant de nouveau toutes les critiques. Puis montrer que Dreyfus était en fait innocent et accuser l’antisémitisme de maltraitance par certains milieux de l’armée et par le gouvernement. Ce qui va servir un objectif secondaire : mettre en situation de faiblesse les catholiques et les autres éléments traditionnels et monarchistes de l’armée et du gouvernement qui pouvaient bloquer la montée en puissance de l’élite juive, ou qui étaient au moins considérés comme des rivaux. (Et pendant tout ce temps on imprime à tour de bras des journaux et des livres qui se vendent comme des petits pains, parce que tout le monde veut absolument suivre les tenants et les aboutissants de l’affaire sans même se demander ce qu’il y a de vrai dedans.) Nous avons juste à nous tourner vers Wikipédia pour constater que ce fut un des aboutissements de l’affaire :

« L’Affaire fit se confronter les deux partis français. Selon une majorité d’historiens, cette opposition servit malgré tout l’ordre républicain. Il y eut en effet un renforcement de la démocratie parlementaire et un échec des forces réactionnaires et monarchistes. »

Que ces factions et idéologies se manifestent en une telle dichotomie n’est pas un hasard. Cela fait partie de ce qui est parfois appelé « dialectique hégélienne » dans les milieux du complot. Mais au lieu de l’utilisation typique de ce terme pour signifier « problème, réaction, solution », la dialectique hégélienne dans ce contexte se décrit plus précisément comme un moyen de faire cadrer des événements et des situations en termes binaires. On fabrique ces événements et on pousse ensuite les gens vers l’une des deux incompatibles visions. Si vous êtes en faveur du progrès, de la liberté, de la raison éclairée, de la modernité, alors vous ne pouvez pas récriminer contre les Juifs. Et si vous le faites, alors vous devez être rétrograde, de droite, nationaliste, etc. C’est, par ailleurs, une excellente façon de diviser les gens.
On peut voir ceci se jouer sous nos yeux avec le conflit (fabriqué) de la crise des migrants : soit vous êtes un suprémaciste blanc, un partisan stupide du Brexit, soit vous êtes un supporter, non-bigot et compatissant des droits de l’homme et de l’égalité. (Ou d’un autre point de vue, soit vous êtes clairement un patriote soit un velléitaire, un stupide humaniste prêt à laisser votre pays descendre en flammes.) Et tout comme l’affaire Dreyfus était un canular fabriqué visant à approfondir la division, la crise fabriquée et surfaite des migrants avec les faux rapports de viols et les canulars d’attentats terroristes sert à affiner et augmenter la division entre nous, pendant que les gars en haut ricanent et empochent la monnaie.
Ce qui est exaspérant, c’est qu’ils sont tellement efficaces à faire avancer leurs intérêts au nom du progrès et sous le couvert d’intérêts universels. Après tout, les Juifs avaient spécialement tout à gagner de la République et des idéaux qu’elle prônait. Ce qui impliquait en tout premier lieu de traiter les personnes sur un pied d’égalité sans distinction de religion. Elle prônait aussi le progrès, la raison éclairée et la modernité. Donc, critiquer l’influence juive était aussi se montrer rétrograde et borné. Elle autorisait également les Juifs fortunés à un accès plus direct au pouvoir politique et à un prétexte pour discréditer les sources existantes de pouvoir (l’église, l’aristocratie). Je vais maintenant citer longuement « Le Juif accusé » :

« La Troisième République émergea progressivement et timidement des ruines du Second Empire au début des années 1870. Bien que les Juifs n’aient que peu à voir avec sa fondation [ou y auraient-ils peut-être joué un rôle ?], elle se prouva un environnement favorable aux aspirations juives les décennies suivantes… Le gouvernement républicain ne fut pas populaire au départ auprès de la plupart des Français, en particulier dans les campagnes, où prévalaient les sympathies monarchistes. Mais on n’établit pas de monarchie car, après des années de querelles, les factions monarchistes rivales n’avaient pu surmonter leurs différences. Une république avec une constitution conservatrice était, selon les mots d’un homme d’État français, finalement acceptable, en tant que forme de gouvernement qui diviserait le moins les Français. Mais la plupart des monarchistes persistaient à considérer la république comme un expédient temporaire en attendant de pouvoir rétablir la monarchie, et la constitution le prévoyait en filigrane pour faciliter cette transition le moment venu. » (P.63)

« La droite française, et de manière plus générale le ‘parti de l’ordre’, traditionaliste, monarchiste et catholique, fut perçue par la plupart des Juifs français comme hostile à leurs aspirations, bien que quelques très riches Juifs privilégiés, comme les Rothschild, continuèrent de se manifester dans les milieux de droite, ainsi que quelques artistes et intellectuels juifs. » (P.64)

« Au grand désarroi des monarchistes, la Troisième République, simple expédient temporaire dans leur esprit, commença peu à peu à gagner le soutien populaire. De même, les républicains remplacèrent progressivement les monarchistes vieillissants et les cadres bonapartistes dans la fonction publique et la bureaucratie. Ce remplacement causa des changements de classe sociale, de l’aristocratie vers la bourgeoisie, et sur le plan religieux des catholiques vers les protestants ou les non-croyants – ou vers les Juifs. En bref, une nouvelle classe dirigeante commença à arriver au pouvoir en France. De nombreux monarchistes de la fonction publique se retirèrent dans leurs maisons de campagne, dégoûtés ou mécontents. Certains monarchistes se tournèrent cependant vers l’un des principaux secteurs d’emploi d’état qui leur restait ouvert, l’armée – conséquence pas si anodine dans l’affaire Dreyfus. » (P. 64)

« L’importance politique croissante des Juifs de la classe moyenne dans le nouvel état républicain n’était pas de même nature que les liens passés contractés dans la première partie du siècle par les Rothschild et autres financiers juifs avec les rois et les empereurs. Mais comme la république gagnait en popularité à la fin des années 1870 et au début des années 1880, ses ennemis déclarèrent voir un lien entre le pouvoir de longue date des Rothschild et celui des Juifs fraîchement influents … des nouveaux riches pour la plupart. Ceux enclins à croire à un complot se plaignaient avec une mauvaise humeur croissante du ‘Syndicat juif’, une supposée organisation clandestine travaillant en sous-main avec l’Alliance Israélite Universelle. Les ennemis de la République furent tout aussi enclins à voir la montée du pouvoir juif comme une influence étrangère croissante – et menaçante – pour la France… » Délires [?] à part, les Rothschild avaient indéniablement construit un imposant empire financier en France, en Allemagne, en Autriche et en Grande-Bretagne… Une bonne part de ce qu’avaient accompli les Rothschild, et la façon dont ils l’avaient fait, était en vérité resté caché du public. La vie privée, le secret, et la conservation du pouvoir au sein de la famille étaient presque une obsession chez eux. Mais ils recherchaient aussi avec empressement les honneurs publics et les titres de noblesse. L’achat de l’Hôtel Talleyrand, qui donnait sur la place de la Concorde à Paris, par les Rothschild, fut pour certains un symbole insupportable de l’argent étranger juif, d’une montée juive au pouvoir et d’une respectabilité factice, qui reléguaient les anciennes élites véritablement françaises au cœur de la capitale. Il est vrai aussi que l’Alliance Israélite Universelle opérait parfois clandestinement. Les allégations d’anti-sémites français à propos des cachotteries juives se basaient sur les véritables cachotteries de certains Juifs haut placés et influents. Ce que les anti-sémites soupçonnaient à cet égard n’était pas tant un fantasme qu’une malveillante exagération [ou peut-être pas]. » (P. 64-5)

« Même l’armée française incorpora dans les années 1870 et 1880 un nombre étonnamment élevé d’officiers juifs (le chiffre de trois cents a souvent été mentionné au début des années 1890, dont dix généraux), alors qu’en Allemagne, le corps des officiers était un domaine où les Juifs étaient strictement tenus à l’écart, de même qu’en Russie, à l’exception des médecins-officiers. En fait, malgré la réputation de l’armée française comme un havre pour les nationalistes de droite et les monarchistes, le pourcentage de Juifs parmi les officiers réguliers se maintint à environ 3 pour cent entre les années 1860 jusqu’à la veille de la 1ère guerre mondiale. Comme les Juifs constituaient ces années-là entre 0,1 et 0,2 pour cent de la population totale, cela signifiait qu’ils étaient surreprésentés de trente à soixante fois. (p. 60) [Soit dit en passant, Dreyfus ne fut pas le premier Juif à servir à l’état-major : le colonel Abraham Samuel s’occupa de l’agence du Renseignement de l’état-major tout au long des années 1870, et prit sa retraite honorablement en 1880.] »

« De 1879 à 1886, un très controversé corps de loi, connu sous le nom de loi Ferry, fut introduit. Cette loi cherchait à établir un contrôle laïque sur l’enseignement primaire et à élargir la portée de cette éducation, conformément aux objectifs libéraux-laïcistes de l’Europe. En ôtant l’enseignement primaire au contrôle de l’Église catholique, la loi Ferry était conçue pour moderniser les campagnes, en « libérant », si l’on peut dire, l’esprit des paysans, en leur fournissant une éducation laïque républicaine, de nouveau en conformité avec les principes libéraux-démocratiques du continent. » (P.66)

« Bien que la campagne en faveur de cette loi n’envisageait pas vraiment les dimensions de la célèbre Kulturkampf de Bismarck [« combat pour la civilisation », campagne menée par les Allemands contre l’église catholique], qui divisa tellement les Allemands quelques années plus tôt, les thèmes et les forces politiques impliquées étaient globalement similaires. Une de ces similitudes était que les Juifs français, tout comme les Juifs allemands, furent parmi les plus ardents et les plus cohérents défenseurs d’une élimination du contrôle de l’Église catholique dans l’éducation publique. » (P.67)

« Les catholiques français qui estimaient que la France, nation depuis longtemps catholique, devait le rester, se sentirent naturellement bientôt comme assaillis sous la IIIe République. Elle était, pensaient-ils, de plus en plus dominée par les athées, les laïcs, les protestants et les Juifs, qui cherchaient tous à dé-christianiser la France. Cette croyance recélait des éléments d’exagération et de dramatisation, mais, encore une fois, on ne peut pas vraiment la taxer de délire. La plupart des dirigeants de la Troisième République avaient explicitement décidé de lutter contre l’Église catholique, qu’ils considéraient comme une ennemie dangereuse, intransigeante et fourbe, qui empoisonnait l’esprit de la jeunesse. C’étaient des luttes réelles, impliquant des problèmes réels avec des implications très concrètes dans le monde réel – l’emploi, le pouvoir politique, le soutien populaire. « (P. 68)

« Plus contestable, bien que correspondant aussi à la réalité dans un certain nombre de cas notoires, était la croyance des catholiques traditionnels que les dirigeants de la République étaient à la solde des Juifs. Une croyance s’y rattachant était que les Juifs accédaient illégalement à de hautes fonctions politiques en achetant des positions de pouvoir au sein de l’état et de l’armée… Une rumeur disait aussi en 1882 que « les préfectures de 47 des 80 départements étaient aux mains des Juifs. » Quinze ans plus tard, l’Union nationale, une organisation catholique française, affirma qu’il y avait 49 préfets et sous-préfets sous contrôle juif, et 19 Juifs au Conseil d’État. Ces chiffres sont extrêmement douteux [note de l’éditeur : ou peut-être pas] et on peut les considérer comme des exemples sur la façon dont les faits et les chiffres ont été manipulés pour coller aux buts de leurs partisans. Pourtant, il y a peu de doute que les Juifs, qui représentaient environ le dixième du 1 % de la population totale, ont été fortement surreprésentés dans ces domaines. Et dans un état aussi centralisé que celui de la France, de tels postes dans la haute administration ont sans aucun doute représenté une influence considérable. Il est également hors de doute que les catholiques avaient une bonne raison de se sentir mis à l’écart par une nouvelle classe politique, au sein de laquelle il y avait de nombreux Juifs. « (pp.68-69)

« Comme ce fut le cas en Allemagne et en Autriche dans les années 1870, les scandales financiers des années 1880 en France impliquaient indéniablement une culpabilité des Juifs, dont beaucoup étaient d’origine allemande, autrichienne ou polonaise. L’un des scandales les plus célèbres et les plus influents impliquait l’Union Générale, une banque fondée par des financiers catholiques dans le but explicite de permettre aux investisseurs catholiques d’éviter les institutions juives et protestantes qui dominaient alors la finance en France. Après un début prometteur, la nouvelle entreprise s’effondra en 1882, ruinant de nombreux petits investisseurs catholiques. » (P. 70)

« Il a été largement admis que l’Union Générale avait été liquidée par les Rothschild, avec qui elle était depuis un certain temps en concurrence féroce. Les quotidiens exploitèrent l’affaire, et sans surprise, les administrateurs de la banque furent prompts à blâmer les Juifs pour dissimuler leur mauvaise gestion. Peu doutaient que les Rothschild, comme tous ceux de la haute finance, pouvaient être impitoyables si nécessaire. » (P. 70)

« Il est certain que beaucoup de Français furent enclins à rendre les Juifs responsables de problèmes dont les Juifs n’étaient pas responsables, d’en faire des boucs émissaires, et donc d’ignorer dans quelle mesure ces problèmes avaient des racines plus profondes et plus larges. Néanmoins, que des observateurs étrangers, Juifs compris, les blâment aussi, met le doigt sur des problèmes qui étaient plus que de simples délires antisémites. Que la grande majorité des Juifs respectueux des lois françaises, qui n’avaient rien à voir avec la haute finance ou les scandales politiques, soient impliqués dans une nasse de soupçon, souligne la confusion et l’embarras auxquels ils furent confrontés dans ce pays de liberté, égalité et fraternité. » (P. 71)

Ah oui, liberté, égalité, fraternité. Qui pourrait être contre cela? N’ai-je pas dit qu’ils étaient champions pour faire avancer leurs propres intérêts sous prétexte d’intérêts universels et de progrès? Prenez par exemple l’application des lois. En théorie, c’est parfait. C’est censé empêcher les monarques d’être des tyrans, parce que tout le monde est censé être égal devant la loi. Qui pourrait contester cela? Mais l’application des lois a été complètement pervertie en faveur des gens qui écrivent les lois, des gens qui font appliquer les lois, des gens qui interprètent les lois, des gens qui décident quand la loi s’applique ou non, et des gens qui peuvent se payer les meilleurs avocats. Je ne suis pas contre l’égalité, la fraternité ou la laïcité, ni toutes ces choses. C’est de voir ces idéaux bafoués pour servir les intérêts de quelques-uns, que je conteste. Et la réponse n’est pas de prendre le contrepied dans les choix binaires qu’ils nous ont fournis, mais de sauver ces principes de ceux qui les ont détournés.