Dreyfus et Bernard Lazare nouveaux produits du marketing antisémite (suite)

Dans mon petit post d’hier sur Soral et sa réédition de L’Antisémitisme son histoire et ses causes de Lazare, je disais que je continuerais dès que j’aurais lu la préface. Je viens de la trouver sur internet et je me propose donc de la commenter.


Soral y écrit, variation d’un propos déjà relevé que nous citions de son interview, que le livre qu’il offre à la réédition est « étrangement introuvable (sauf à très fort prix chez les bouquinistes) ». « Étrangement »… pourquoi « étrangement » ? Pourquoi « introuvable » ? Il nous l’explique même si nous l’avions compris :

on peut trouver étrange qu’un tel livre, preuve éclatante d’un génie juif aujourd’hui malmené par la « communauté organisée » elle-même, soit à ce point ostracisé, puisqu’aucun grand éditeur ne daigne le rééditer. Oubli étrange, pour ne pas dire suspect, quand on connaît le poids de la « communauté du livre » dans le monde de l’édition, et le nombre de fadaises pondues par les BHL, Attali et autre Alain Minc qui inondent inutilement nos librairies.

L’Antisémitisme son histoire et ses causes est disponible depuis longtemps, nous le disions, en version intégrale sur internet (voir ici) et a été réédité, nous le disions aussi, en 1990 aux éditions 1900 ; en 2010 par L’Harmattan ; en 2008 aux éditions Manucius et déjà, en 1969 et 1982, par les amis d’Alain Soral (Henry Coston et Pierre Guillaume). Trouvable donc et à des prix raisonnables à moins de chercher l’originale. J’ai lancé une petite requête, aujourd’hui, sur Priceminister. Nous pouvons en trouver 2 exemplaires de l’édition de 1990 au prix de 13.90 € et un au prix de 14 € ; 4 exemplaires de l’édition L’Harmattan au prix de 46.55 € ; 1 exemplaire de l’édition de 1969 à 18 € ; 3 exemplaires de l’édition de 1982 aux prix de 20, 24.99 et 75 € ; et même 2 exemplaires de l’édition Fontainas de 1934 aux prix de 23.73 et 100 €. 12 exemplaires en quelques minutes… on a vraiment fait plus difficile à trouver et rares sont les textes qui ont bénéficié d’autant de rééditions… Il a d’ailleurs même été réédité en 2012 par Hachette…
A la suite, notre politologue se perd dans des considérations qui n’ont que peu à voir avec Lazare et son texte. Il s’en prend à ses cibles habituelles et varie les métaphores, pour ne pas contrarier la loi, sur « la communauté ». A deux reprises, toutefois, il revient sur Bernard Lazare, sa pensée et son œuvre. Si je dois passer sur l’une que j’avoue ne pas bien comprendre tant l’anachronisme me brûle les yeux (« Mais revenons à Bernard Lazare. Échappant à l’époque aux deux milices de l’hitlérisme et du talmudo-sionisme, il put écrire et publier ce livre »), il nous explique dans l’autre que :

A l’époque où il écrit, la fin du XIXème siècle, Lazare, en tant que juif assimilé, doit mener un double combat. Un combat pour s’émanciper du ghetto, en refusant l’autorité des rabbins sur la communauté juive, se servant pour ce faire de l’humanisme helléno-chrétien offert, avec la citoyenneté, par le pacte républicain issu de la Révolution française. Une démarche faite du refus de l’obscurantisme talmudiste et de ce goût prononcé pour le génie européen (principalement français et allemand) qui donnera les grands esprits juifs à la charnière du XIXéme et du XXème siècle, de Karl Marx à Sigmund Freud en passant par Albert Einstein, Thomas Mann ou Gustav Malher…

Écrire cela est tout ignorer… Tout ignorer de Lazare et tout ignorer du franco-judaïsme. Quelle était l’autorité des rabbins sur la communauté juive en 1894 ? Une autorité religieuse, certes, morale aussi mais aucune autre autorité telle que celle que Soral semble entendre et se garde bien de préciser. Quant à Lazare, il n’avait à s’émanciper de rien du tout. Il était un français de confession israélite, sans attache réelle avec la religion de ses ancêtres comme l’était la plupart des israélites français. Il était un enfant de cette France républicaine, en tout semblable aux autres et sans grande éducation religieuse. Il se savait toutefois appartenir à une communauté particulière, qu’il connaissait et fréquentait, une communauté depuis longtemps affranchie du ghetto, une communauté de petits commerçants et de petits industriels. Et s’il voulait s’affranchir d’un ghetto, c’était de celui que les ancêtres des Soral et Dieudonné tentaient alors – comme les deux derniers cités le tentent aujourd’hui – de reconstituer en tirant d’invisibles chaînes qui avaient pour but de désigner, de mettre à l’écart, une communauté qui était une des composantes de cette France qu’elle chérissait et en les valeurs de laquelle elle se reconnaissait sans se poser plus de question.
Un peu plus loin, Soral ajoute :

Combat de Bernard Lazare, donc, contre l’obscurantisme talmudique qui s’accompagnait logiquement d’une lutte symétrique contre l’antisémitisme. Antisémitisme qui prétendait également faire de tous les juifs un même être de pensée par le sang, et que cet intellectuel intègre se proposait de combattre non par l’anathème – toujours religieux – mais par la même arme universelle de l’Histoire et de la sociologie

Nous comprenons bien qu’une fois encore Soral ne parle guère de Lazare et, repris par son obsession, transpose et décoche un nouveau trait, émoussé, à ses cibles favorites. Mais cela dit, puisqu’il y est question de Lazare, il faut encore préciser, préciser et conclure. Lazare n’excommuniait pas. Il était trop juif pour jouer les papes. Il faisait certes de l’histoire et de la sociologie quand il écrivait L’Antisémitisme son histoire et ses causes, mais se battait avant tout. Devons-nous citer ce passage de Contre l’antisémitisme ?

Écoutez-moi, Drumont, vous ne connaissez pas les Juifs, ou du moins vous ne les connaissez pas tous. Il y en a un grand nombre qui ont gardé des persécutions anciennes une déplorable habitude : celle de recevoir les coups et de ne pas protester, de plier l’échine, d’attendre que l’orage passe et de faire les morts pour ne pas attirer la foudre. J’en sais qui ont des conceptions différentes. Je suis de ceux-là et je ne suis pas le seul. J’en sais bien d’autres […] qui sont partisans de moins de mansuétude. Ceux-là en ont assez de l’antisémitisme, ils sont fatigués des injures, des calomnies et des mensonges, des dissertations sur Cornélius Herz et des prosopopées sur le baron de Reinach. Et demain ils seront légion, et s’il m’en croyait, il se ligueraient ouvertement, bravement contre vous, Drumont, contre les vôtres, contre vos doctrines ; non contents de se défendre, et vous n’êtes pas invulnérables, ni vous, ni vos amis.

Voilà qui fut Lazare.

 

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