Nous publions ici un ensemble de documents tout à fait exceptionnels, essentiels et absolument inédits – dont juste quelques extraits avaient été publiés dans mon Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours –, ensemble exhumé d’un des nombreux fonds oubliés conservés aux Archives nationales : le fonds Demange (AN 387 AP). Parmi de très nombreux papiers d’un intérêt tout relatif, se trouve, dans le dossier 11, cet ensemble de notes rédigées par le capitaine Dreyfus entre le 12 décembre 1894 et le 11 janvier 1895 à l’attention de son avocat : 103 pages et 9 lettres (dont 2 étaient connues ou en partie connues) – 8 à Demange et 1 à un ami. Des notes, on va le lire, qui sont essentiellement constituées des réflexions du capitaine dans le but de préparer sa défense non seulement dans l’optique du procès mais aussi, après la condamnation, sur la manière de mener l’enquête pour permettre de faire éclater la vérité. On y voit Dreyfus essayer de comprendre ce qu’est ce bordereau et d’où il peut venir, analyser d’une manière serrée les dépositions des témoins de l’instruction, le rapport de d’Ormescheville (l’acte d’accusation de 1894), ouvrir des pistes à creuser pour contrer l’accusation et, après avoir été condamné, donner des directives sur la manière d’agir. Un nouveau document qui, en complément aux Carnets et à la biographie de Vincent Duclert, montre bien combien Dreyfus fut « à la hauteur » de son affaire et ne fut pas cette « marionnette de zinc » que certains voulurent voir en lui et surtout, au moment où se manifeste à nouveau la thèse de la culpabilité de Dreyfus, une nouvelle preuve de son innocence et du scandale absolu que furent l’instruction menée contre lui, son procès et sa dégradation.
Philippe Oriol
I12 Décembre Note sur la lettre incriminée1 Plus je dissèque cette lettre, plus ma conviction s’affirme qu’elle émane d’un directeur d’agence de renseignements. Enfin la fin de la lettre montre bien que __________ |
IINote 1e hypothèse _______ 2e hypothèse Cependant la 1e hypothèse me paraît plus probable que la deuxième. Mais pour dénouer toute cette intrigue, il faudrait _______ Manière dont la lettre a pu être faite. Je pense maintenant qu’on a pu décalquer dans mon travail sur l’artillerie allemande presque tous les mots nécessaires pour composer le document incriminé. Il faudrait donc tâcher de se procurer ce travail et voir si les mots précisément dissemblables ne sont pas ceux qui ne s’y trouvent pas. __________ |
IIINote n° I Le samedi 13 Octobre, je reçus une note de service m’invitant à me trouver le Lundi 15 Octobre à 9h du matin au ministère pour l’inspection Générale. En résumé, l’accusation qui prétendait avoir des preuves accablantes n’avait entre les mains qu’une lettre __________ |
IVNote A Ct Bertin2 Cape Boullenger et Cape Bretaud3 Cape Besse4 Cape Roy et Dervieu5 Cape Maistre6 Commt Henry8 Cape Brault et Sybille10 Commt Gendron13 Cape Tocanne14 Cape Chaton et Cuny16 __________ |
VCommt du Paty Faire la preuve1 que j’ai été à la Banque de France où que je me suis adressé aux hauts fonctionnaires de cet établissement. Faire la preuve que j’ai connu la note qui a passé dans les bureaux du 15 au 20 Juillet, note relative aux nouvelles formations de l’artillerie et que je n’ai pas émargée. Faire la preuve qu’au mois d’Août je croyais encore que j’irais aux manœuvres. Enfin il a prétendu que je lui aurai demandé le mot de son armoire pour prendre les documents à faire imprimer. C’est faux, jamais je ne me suis adressé au Ct du Paty. J’ai toujours été demandé ces documents à l’archiviste Mr Thourot [sic]3 sauf une fois où je les ai pris dans l’armoire de la section des nouveaux, dans laquelle ils avaient été déposés par le cape Souriau4. __________ |
VINote sur les dépositions à charge J’y répondrai d’une manière plus précise quand je posséderai les dépositions. Mais dès maintenant, je puis en dire quelques mots d’après mes souvenirs. ___ Les dépositions a charge peuvent se grouper de la manière suivante : 2e Groupe Capitaine Roy 3°/ Capitaine Tocanne 4°/ Capitaine Sibylle et Brault 5°/ Capitaines Chaton et Cuny 6°/ Commandant Gendron __________ |
VII3e Note 1°/ Déposition du commt Henry ________ 2°/ Déposition du cape Tocanne 3°/ Capitaine Maistre 4°/ Capitaine Cuny. 5°/ Capitaine Chaton. 6°/ Capitaine Sybille et Brault. 7°/ Capitaine Roy 8°/ Capitaine Dervieu En résumé, comme je l’ai déjà dit, les dépositions de Mr les capitaines Roy, Dervieu et Maistre, viennent de ce que j’ai relevé contre eux l’insécurité d’une armoire de la section allemande, insécurité tellement reconnue, qu’on y a placé depuis une barre et un cadenas à secret. 9°/ Commt Bertin 10°/ Capitaine Besse. 11°/ Capitaine Bretaud 12°/ Capitaine Boullenger 13°/ Commt Gendron __________ |
IX14 Décembre Résumé de mes impressions sur la lettre incriminée L’auteur de la lettre est un misérable dont le métier habituel ressort nettement de la première phrase : « Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir … » Il a des relations privées avec l’agent étranger, ils se sont vus. Le mobile qui le fait agir, c’est évidemment l’argent ; il est payé pour exercer son vil métier. Le raisonnement qui a été fait pour imputer la lettre à un officier d’artillerie et d’État-major n’est pas soutenable ; j’ajouterai qu’il est absurde pour celui qui lit la lettre avec quelque attention. Celle-ci émane bien au contraire d’un agent centralisateur de renseignements. Enfin l’auteur de la lettre n’est pas plus officier d’État-major. En effet, les deux notes incriminées dans la lettre et provenant de l’État-major sont : __________________ Quant à moi, non seulement je n’ai pas écrit la lettre incriminée, – il aurait fallu un mobile pour cela – mais encore matériellement, il m’eut été impossible de l’écrire, à moins de puiser des renseignements de part et d’autre, c-à-d en m’adressant à des officiers. Dans ce dernier cas, les témoignages eussent été faciles à découvrir, je défie qu’on trouve un officier témoignant que je me sois adressé à lui pour demander des renseignements sur l’un quelconque des documents énumérés, dans la lettre incriminée. Examinons maintenant un à un les documents incriminés : 2°/ Note sur les troupes de couverture (quelques modifications seront apportées par le nouveau plan) 3°/ Note sur les modifications aux formations de l’artillerie 4°/ Note relative à Madagascar. 5°/ Projet de manuel de tir __________________ En résumé, ce qui épouvantable à penser c’est que notre honneur militaire est entre les mains d’un expert en écriture. __________ |
XNote au sujet des témoins Demander de ma part, au capitaine Junck1, actuellement stagiaire aux batteries à cheval de l’école milite, s’il veut bien se mettre à la disposition de mon avocat2. ___________ Ne pas oublier d’écrire au commt Givre, commt la battie à cheval détachée à Remiremont ou à Bruyères, suivant lettre ci-jointe3. ______ Ne pas oublier le colonel Clément, directeur d’artie à Vincennes4. ______ Ne pas oublier __________ |
XI14 Décembre Note Je ne vous ai pas parlé de moi jusqu’à présent ! un accusé a toujours tort. __________ |
XIIÉtude du Rapport Impression d’ensemble [Pour aider à la lecture et à la compréhension de ce document qui se présente en notes successives qui renvoient au texte sur la base de sa pagination (ex : « Page 1. 1er paragraphe »), nous avons pris le parti d’intégrer les commentaires de Dreyfus en bleu dans le texte intégral du rapport.] _______ Sur l’affaire de M. Dreyfus, Alfred, capitaine breveté au 14e régiment d’artillerie, stagiaire à l’État-major de l’armée, inculpé d’avoir en 1894, pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec un ou plusieurs agents des puissances étrangères dans le but de leur procurer le moyen de commettre des hostilités ou d’entreprendre la guerre contre la France en leur livrant des documents secrets, laquelle a fait l’objet de l’ordre d’informer donné par M. le général gouverneur de Paris, le 3 novembre 1894.
M. le capitaine Dreyfus est inculpé d’avoir, en 1894 pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec un ou plusieurs agents des puissances étrangères, dans le but de leur procurer les moyens de commettre des hostilités ou d’entreprendre la guerre contre la France en leur livrant des documents secrets.
La base de l’accusation portée contre le capitaine Dreyfus est une lettre-missive écrite sur du papier pelure non signée et non datée, qui se trouve au dossier, établissant que des documents militaires confidentiels ont été livrés à un agent d’une puissance étrangère. M. le général Gonse, sous-chef d’État-major général de l’armée, entre les mains duquel cette lettre se trouvait, l’a remise par voie de saisie, le 15 octobre dernier, à M. le commandant du Paty de Clam, chef de bataillon d’infanterie hors cadre, délégué le 14 octobre 1894 par M. le ministre de la Guerre, comme officier de police judiciaire, à l’effet de procéder à l’instruction à suivre contre le capitaine Dreyfus. Lors de la saisie de cette lettre-missive, M. le général Gonse a affirmé à M. l’officier de police judiciaire, délégué et précité, qu’elle avait été adressée à une puissance étrangère et qu’elle lui était parvenue ; mais que d’après les ordres formels de M. le ministre de la Guerre, il ne pouvait indiquer par quels moyens ce document était tombé en sa possession. L’historique détaillé de l’enquête à laquelle il fut procédé dans les bureaux de l’État-major de l’armée se trouve consigné dans le rapport du commandant du Paty de Clam, officier de police judiciaire, délégué, a adressé à M. le ministre de la Guerre le 31 octobre dernier, et qui fait partie des pièces du dossier. L’examen de ce rapport permet d’établir que c’est sans aucune précipitation et surtout sans viser personne à priori que l’enquête a été conduite. Cette enquête se divise en deux parties : une enquête préliminaire pour arriver à découvrir le coupable, s’il était possible, puis l’enquête réglementaire de M. l’officier de police judiciaire, délégué. La nature même des documents adressés à l’agent d’une puissance étrangère en même temps que la lettre-missive incriminée permet d’établir que c’était un officier qui en était l’auteur et de la lettre missive incriminée et de l’envoi des documents qui l’accompagnaient, de plus, que cet officier devait appartenir à l’artillerie, trois notes ou documents envoyés concernant cette arme.
De l’examen attentif de toutes les écritures de MM. Les officiers employés dans les bureaux de l’Etat-major de l’armée, il ressortit que celle du capitaine Dreyfus présentait une remarquable similitude avec l’écriture de la lettre-missive incriminée.
Il appert des témoignages recueillis par nous que le capitaine Dreyfus, pendant les deux années qu’il a passées comme stagiaire à l’État-major de l’armée, s’est fait remarquer dans différents bureaux par une attitude des plus indiscrète, par des allures étranges ; qu’il a notamment, été trouvé seul à des heures tardives ou en dehors de celles affectées au travail dans les bureaux autres que le sien et où il n’a pas été constaté que sa présence fut nécessaire.
Il a été aussi remarqué par son chef de section que, pendant son stage au 4e bureau, le capitaine Dreyfus s’est surtout attaché à l’étude des dossiers de mobilisation, et cela au détriment des questions du service courant, à ce point qu’en quittant ce bureau il possédait tout le mystère de la concentration sur le réseau de l’Est en temps de guerre.
L’examen aussi bien que les conclusions à formuler au sujet de la lettre-missive incriminée appartiennent évidemment plus particulièrement aux experts en écritures ; cependant, à première vue d’abord, et à la loupe ensuite, il nous est permis de dire que l’écriture de ce document présente une très grande similitude avec diverses pièces ou lettres écrites par le capitaine Dreyfus et qui se trouvent au dossier. L’inclinaison de l’écriture, son graphisme, le manque de date et de coupure des mots en deux à la fin des lignes, qui sont le propre des lettres écrites par le capitaine Dreyfus (voir sa lettre au procureur de la République de Versailles et les lettres ou cartes à sa fiancée qui se trouvent au dossier), s’y retrouvent ; en ce qui concerne la signature, elle manque parce qu’elle devait manquer. Dans sa déposition, M. le colonel Fabre, chef du 4e bureau de l’État-major de l’armée, dit qu’il a été frappé de la similitude d’écriture qui existe entre la lettre-missive incriminée et les documents écrits par le capitaine Dreyfus pendant son stage au 4e bureau.
Ainsi que nous l’avons dit précédemment, parallèlement au travail d’examen confié à M. Gobert par le ministre de la Guerre, M. Bertillon, chef du service de l’identité judiciaire, chargé aussi d’un premier examen, avait formulé, le 13 octobre 1894, ses conclusions comme il suit : « Si l’on écarte l’hypothèse d’un document forgé avec le plus grand soin, il appert manifestement que c’est la même personne qui a écrit la lettre et les pièces incriminées. » Dans son rapport du 23 du même mois, établi après un examen plus approfondi et portant sur un plus grand nombre de pièces, M. Bertillon a formulé les conclusions suivantes qui sont beaucoup plus affirmatives : « La preuve est faite, péremptoire ; vous savez quelle était ma conviction du premier jour ; elle est maintenant absolue, complète, sans réserve aucune. »
Le rapport de M. Pelletier, expert en écritures près le tribunal civil de première instance du département de la Seine et la Cour d’appel de Paris, commis après prestation de serment, qui portait sur la comparaison de l’écriture du document incriminé avec celle de deux personnes, comporte comme les précédents une discussion technique relativement restreinte des pièces à examiner ; ses conclusions sont ainsi formulées : « En résumé, nous nous ne nous croyons pas autorisé à attribuer à l’une ou à l’autre des personnes soupçonnées le document incriminé. »
Le capitaine Dreyfus a subi un long interrogatoire devant M. l’officier de police judiciaire ; ses réponses comportent bon nombre de contradictions, pour ne pas dire plus. Parmi elles, il y en a qui sont particulièrement intéressantes à relever ici, notamment celle qu’il fit au moment de son arrestation, le 15 octobre dernier, lorsqu’on le fouilla et qu’il dit : « Prenez mes clefs, ouvrez tout chez moi, vous ne trouverez rien. » La perquisition, qui a été pratiquée à son domicile, a amené, ou à peu de choses près, le résultat indiqué par lui. Mais il est permis de penser que, si aucune lettre, même de famille, sauf celles de fiançailles adressées à Mme Dreyfus, aucune note, même de fournisseurs, n’ont été trouvées dans cette perquisition, c’est que tout ce qui aurait pu être en quelque façon compromettant avait été caché ou détruit de tout temps.
Tout l’interrogatoire subi devant M. l’officier de police judiciaire est émaillé de dénégations persistantes et aussi de protestations du capitaine Dreyfus contre le crime dont il est accusé. Au début de cet interrogatoire, le capitaine Dreyfus avait d’abord dit qu’il lui semblait vaguement reconnaître dans le document incriminé l’écriture d’un officier employé dans les bureaux de l’Etat-major de l’armée ; depuis, devant nous, il a déclaré retirer cette allégation qui, d’ailleurs, devait tomber d’elle-même en présence de la dissemblance complète et évidente du type graphique de l’écriture de l’officier visé avec celle du document incriminé.
Une autre réponse extraordinaire, faite au cours du premier interrogatoire et maintenue devant nous, est celle relative à l’insécurité des documents secrets et confidentiels qui, d’après le capitaine Dreyfus, n’auraient pas été en sûreté parfaite au 2e bureau de l’État-major de l’armée à l’époque où il faisait son stage. Cette allégation d’insécurité n’a été confirmée par aucun des témoins entendus à ce sujet, elle devait cependant avoir un but dans l’esprit de son auteur.
Il existe enfin dans le premier interrogatoire des réponses absolument incohérentes, telles que celles-ci : « Les experts se trompent, la lettre-missive incriminée est l’œuvre d’un faussaire, on a cherché à imiter mon écriture. La lettre-missive a pu être établie à l’aide de fragments de mon écriture corrigés avec soin, puis réunis pour former un tout qui serait cette lettre. L’ensemble de la lettre ne ressemble pas à mon écriture ; on n’a même pas cherché à l’imiter.
Dans l’interrogatoire qu’il a subi devant nous, les réponses du capitaine Dreyfus ont toujours été obtenues avec une grande difficulté et il est facile de s’en rendre compte par le nombre considérable de mots rayés nuls et de renvois en marge qui figurent dans le procès-verbal. Quand le capitaine Dreyfus hasardait une affirmation, il s’empressait généralement de l’atténuer par des phrases vagues et embrouillées, essayant toujours malgré toutes nos observations de questionner ou d’engager la conversation sans être d’ailleurs invité à formuler une réponse. Ce système, si nous y étions prêtés, aurait pu avoir des conséquences fâcheuses pour la forme même de l’interrogatoire, étant donnée l’habileté du capitaine Dreyfus.
Si on compare les réponses que nous a faites le capitaine Dreyfus avec les dépositions de quelques témoins entendus, il en résulte cette pénible impression, c’est qu’il voile souvent la vérité et que toutes les fois qu’il se sent serré de près, il s’en tire sans trop de difficulté, grâce à la souplesse de son esprit.
En somme, il ressort des dépositions de plusieurs témoins que le capitaine Dreyfus a souvent attiré sur lui la juste suspicion de ses camarades qui le lui ont montré d’une façon bien nette : comme le capitaine Boullenger en ne répondant pas aux questions indiscrètes qu’il lui posa sur des affaires secrètes ou confidentielles qu’il traitait ; ou encore comme le capitaine Besse, qui, le voyant travailler dans son bureau le 8 septembre dernier sur du papier particulier au lieu de le faire sur un document similaire à celui qu’il avait à mettre à jour, lui en fit l’observation ; ou encore le capitaine Maistre, lui disant qu’il lui communiquerait les travaux confidentiels dont il pourrait être chargé, mais sur place et dans son bureau seulement. Il semble que ce système de furetage, de conversations indiscrètes voulues, d’investigations en dehors de ce dont il était chargé, que pratiquait le capitaine Dreyfus, était surtout basé sur la nécessité de se procurer le plus de renseignements divers possibles, oraux ou écrits, avant de terminer son stage à l’État-major de l’armée. Cette attitude est louche et, à nombre de points de vue, présente une grande analogie avec les personnes qui pratiquent l’espionnage. Aussi, en dehors de la similitude remarquable de l’écriture du capitaine Dreyfus avec celle du document incriminé, cette attitude a été un facteur sérieux à son passif lorsqu’il s’est agi de le mettre en état d’arrestation et d’instruire contre lui.
La conduite privée du capitaine Dreyfus est loin d’être exemplaire ; avant son mariage, depuis 1884 notamment, on le trouve en relations galantes avec une femme Bodson, plus âgée que lui, mariée, riche, donnant des repas auxquels il est convié, car il est l’ami de M. Bodson, négociant à Paris. Les relations dont il vient d’être parlé durèrent fort longtemps. À la même époque, le capitaine Dreyfus est également en relations avec une femme Dida, aussi plus âgée que lui, fort riche, qui a la réputation de payer ses amants et qui, à la fin de 1890 fut assassinée à Ville-d’Avray par Wladimiroff. Le capitaine Dreyfus, qui était alors à l’École de guerre et qui venait de se marier, fut cité comme témoin dans cette scandaleuse affaire, qui fut jugée par la Cour d’assises de Versailles, le 25 janvier 1891. Pendant son séjour à l’Ecole de pyrotechnie de Bourges, il a pour maîtresse une femme mariée, il en a une autre à Paris, également mariée et qu’il rencontre quand il y vient. En dehors de ces relations, avouées par le capitaine Dreyfus, parce qu’il n’a pu les nier, il était avant son mariage, ce qu’on peut appeler un coureur de femmes, il nous l’a d’ailleurs déclaré au cours de son interrogatoire. Depuis son mariage, a-t-il changé ses habitudes à cet égard ? Nous ne le croyons pas, car il nous a déclaré avoir arrêté la femme Déry dans la rue en 1893, et avoir fait connaissance de la femme Caron au Concours hippique, en 1894. La première de ces femmes est autrichienne, parle très bien plusieurs langues, surtout l’allemand ; elle a un frère officier au service de l’Autriche, un autre est ingénieur, elle reçoit des officiers : c’est une femme galante, quoique déjà âgée, le commandant Gendron nous l’a déclaré. La femme Déry figure en outre depuis plusieurs années sur la liste des personnes suspectes d’espionnage. Le capitaine Dreyfus lui a indiqué sa qualité, l’emploi qu’il occupait, lui a écrit et fait des visites et, finalement, s’est retiré parce qu’elle ne lui a pas paru catholique ; ensuite il l’a traitée de salle espionne ; et, après son arrestation, son esprit est hanté par l’idée qu’elle l’a trahi.
Bien que le capitaine Dreyfus nous ait déclaré n’avoir jamais eu le goût du jeu, il appert cependant des renseignements que nous avons recueillis à ce sujet, qu’il aurait fréquenté plusieurs cercles de Paris où l’on joue beaucoup. Au cours de son interrogatoire, il nous a bien déclaré être allé au cercle de la Presse, mais comme invité, pour y dîner ; il a affirmé n’y avoir pas joué. Les cercles-tripots de Paris, tels que le Washington-club, le Betting-Club, les cercles de l’Escrime et de la Presse n’ayant pas d’annuaire et leur clientèle étant en général assez peu recommandable, les témoins que nous aurions pu trouver auraient été très suspects : nous nous sommes, par suite, dispensé d’en entendre.
La famille du capitaine Dreyfus habite Mulhouse. Ses père et mère sont décédés ; il lui reste trois frères et trois sœurs. Ses sœurs sont mariées et résident : l’une à Bar-le-Duc, l’autre à Carpentras et la troisième à Paris. Ses frères exploitent une filature à Mulhouse ; l’aîné, Dreyfus, Jacques, âgé de 50 ans, n’a pas opté pour la nationalité française.
Lors des examens de sortie de l’École de guerre, la capitaine Dreyfus a prétendu qu’il devait à la cote, dite d’amour, d’un général examinateur, d’avoir eu un numéro de sortie inférieur à celui qu’il espérait obtenir ; il cherche alors à créer un incident en réclamant contre cette cote et, partant, contre le général qui la lui avait données. Il prétendit que cette cote, qui était 5, lui avait été donnée de parti pris et en raison de la religion à laquelle il appartient ; il attribue même au général examinateur en question des propos qu’il aurait tenus à ce sujet. L’incident qu’il créa n’eut pas la suite qu’il espérait, mais depuis cette époque, il n’a cessé de se plaindre, se disant victime d’une injustice qu’il traite même à l’occasion d’infamie. Il est à remarquer que la cote dont s’est plaint le capitaine Dreyfus était secrète ; on s’étonne à bon droit qu’il ait pu la connaître si ce n’est par une indiscrétion qu’il a commise ou provoquée. Comme l’indiscrétion est le propre de son caractère, nous n’avons pas lieu de nous étonner qu’il ait pu connaître cette cote secrète.
Les notes successives obtenues par le capitaine Dreyfus, depuis son entrée en service, sont généralement bonnes ; quelque fois, même excellentes, à l’exception de celles qui lui ont été données par M. le colonel Fabre, chef du 4e bureau de l’État-major de l’armée.
En ce qui concerne les voyages de Dreyfus, il résulte de ses déclarations à l’interrogatoire qu’il pouvait se rendre en Alsace en cachette, à peu près quand il le voulait, et que les autorités allemandes fermaient les yeux sur sa présence. Cette faculté de voyager clandestinement, qu’avait le capitaine Dreyfus, contraste beaucoup avec les difficultés qu’éprouvaient, à la même époque et de tout temps, les officiers ayant à se rendre en Alsace pour obtenir des autorisations ou des passeports des autorités allemandes ; elle peut avoir une raison que le peu de temps qu’a duré l’enquête ne nous a pas permis d’approfondir.
En ce qui concerne les insinuations du capitaine Dreyfus sur des faits d’amorçage qui se pratiqueraient selon lui au ministère de la Guerre, elles nous semblent avoir eu pour objet de lui ménager un moyen de défense s’il était arrêté un jour porteur de documents secrets ou confidentiels. C’est sans doute cette préoccupation qui l’a amené à ne pas déguiser davantage son écriture dans le document incriminé. Par contre, les quelques altérations volontaires qu’il y a introduites ont eu pour objet de lui permettre de l’arguer de faux pour le cas plus improbable où le document, après être parvenu à destination, ferait retour au ministère par suite de circonstances non prévues par lui.
Quant aux preuves relatives à la connaissance qu’avait le capitaine Dreyfus des notes ou documents énumérés dans la lettre-missive incriminée et qui l’ont accompagnée, le premier interrogatoire aussi bien que celui qu’il a subi devant nous établissent, malgré les dénégations subtiles qu’il y a opposées, qu’il était parfaitement en mesure de les fournir.
En résumé, les éléments de l’accusation portée contre le capitaine Dreyfus sont de deux sortes : éléments moraux et éléments matériels. Nous avons examiné les premiers ; les seconds consistent en la lettre missive incriminée, dont l’examen par la majorité des experts aussi bien que par nous et par les témoins qui l’ont vue, a présenté, sauf dissemblances volontaires, une similitude complète avec l’écriture authentique du capitaine Dreyfus.
En dehors de ce qui précède, nous pouvons dire que le capitaine Dreyfus possède, avec des connaissances très étendues, une mémoire remarquable ; qu’il parle plusieurs langues, notamment l’allemand qu’il sait à fond, et l’italien dont il prétend n’avoir plus que de vagues notions ; qu’il est de plus doué d’un caractère très souple, voire même obséquieux, qui convient beaucoup dans les relations d’espionnage avec les agents étrangers. Le capitaine Dreyfus était donc tout indiqué pour la misérable et honteuse mission qu’il avait provoquée ou acceptée, et à laquelle fort heureusement peut-être pour la France, la découverte de ses menées a mis fin.
En conséquence, nous sommes d’avis que M. Dreyfus, Alfred, capitaine breveté au 14e régiment d’artillerie, stagiaire à l’État-major de l’armée, soit mis en jugement, sous l’accusation d’avoir en 1894, à Paris, livré à une puissance étrangère un certain nombre de documents secrets ou confidentiels intéressant la défense nationale, et d’avoir ainsi entretenu des intelligences avec cette puissance ou avec ses agents, pour procurer à cette puissance les moyens de commettre des hostilités ou d’entreprendre la guerre contre la France. Crime prévu et réprimé par les articles 76 du Code pénal, 7 de la loi du 8 octobre 1830, 5 de la constitution du 4 novembre 1848, 1er de la loi du 8 juin 1850, 189 et 267 du code de la justice militaire. Fait à Paris, le 3 décembre 1894
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XIII14 Décembre Note Analyse des encres ___________ Lettre de Mr Storck __________ |
XIVNotes sur le procès verbal de Mr Cochefert1 2P. §I 2P. §6 2P. dernier paragraphe __________ |
XVNotes sur les interrogatoires devant l’officier de police judiciaire 2e P. 3e D. 2e P. 4e D. 4e P. 1e D. 5e P. 3e D. 6e P. 1e D. 6e P. 3e D. 8e P. 4e D. ________ 9e P. 1e D. 11e P. 2e D. 11e P. 3e D. 11e P. 4e D. 12e P. 1e D. 12e P. 2e D. 12e P. 4e D. 13e P. 2e D. 14e P. 1e D. 16e P 17e P. 1e D. 19e P. 5e D. 20e P. R. __________ |
XVIRéponses au Rapport de Mr le commt du Paty (consulter aussi à cet égard mes notes sur mon arrestation et mes interrogations devant l’officier de police judiciaire) _______ [Pour aider à la lecture et à la compréhension de ce document qui, comme le rapport d’Ormescheville se présente en notes successives qui renvoient au texte sur la base de sa pagination, nous avons pris le parti d’intégrer les commentaires de Dreyfus en bleu dans le texte intégral du rapport.] _______ Conformément à vos ordres, j’ai procédé ; 1° Examen du dossier.
« La lettre-missive et des spécimens de l’écriture authentique de cet officier furent aussitôt remis à un expert de la Banque de France qui, dans cette circonstance, ne fût commis qu’à titre officieux, l’enquête continuant â garder son caractère strictement confidentiel. Mais l’expert ayant manifesté le désir de connaître le nom de la personne soupçonnée et demandant un laps de temps incompatible avec la conservation du secret, on dut lui retirer le dossier avant qu’il ait pu établir un rapport avec des conclusions fermes. » 2° Arrestation et interrogatoire
Je me trouvais avec M. Gribelin, archiviste principal faisant fonction de greffier et M. Cochefert, chef du service de la Sûreté, dans la pièce où fut introduit le capitaine Dreyfus. Je l’invitai à écrire une lettre dans laquelle il était question d’une partie des documents adressés à un agent étranger visé par la lettre incriminée. Après avoir écrit les quatre premières lignes d’une façon normale M. le capitaine Dreyfus commença â écrire irrégulièrement. Je lui en fis l’observation de vive voix. L’écriture continua à être irrégulière. Interrogé sur les motifs de ce trouble, il répondit avec une sorte de rictus nerveux qui fut observé par les assistants, qu’il avait froid aux doigts.
M. Cochefert interrogea M. le capitaine Dreyfus à son tour, et l’inculpé, se sentant entre les mains d’une personne expérimentée, eut une révolte violente à deux reprises. Je simulai une sortie sous prétexte de faire porter à l’agent étranger à qui était adressé le document la lettre que Dreyfus venait d’écrire sous ma dictée ; à chaque fois il m’arrêta à la porte. À la troisième fois, seulement, il me dit : Eh bien, essayez.
L’inculpé insinua ensuite qu’il était victime d’une machination, que déjà à sa sortie de l’École de Guerre on avait commis une infamie à son égard.
À 11 heures et demie environ, voyant que je ne tirerais rien de l’inculpé qui avait repris son assurance (il parlait même de compensation pour l’affront qu’il venait de subir), je le remis entre les mains de l’officier supérieur chargé de le faire écrouer. 3° Perquisitions et saisies 4° L’enquête A. Le capitaine Dreyfus est né à Mulhouse en 1854. Son père, Raphaël Dreyfus, d’origine badoise, était un homme intelligent, énergique, fils de ses œuvres ; après avoir débuté modestement, il est mort laissant à ses sept enfants une grosse fortune industrielle, sur laquelle 235,000 francs ont été attribués à Alfred Dreyfus. Alfred Dreyfus opta pour la nationalité française en 1872 ; il alla à l’École polytechnique et devint officier d’artillerie. En 1890, il épousa Mlle Hadamard, fille d’un négociant en diamants ; le ménage dispose de 25 à 30,000 francs de revenu, il est ordonné et mène un train de vie apparent proportionné à ses ressources ; la fortune, y compris la dot de Mme Dreyfus, est employée, à 40,000 francs près, dans la filature de Mulhouse.
D’après les renseignements recueillis, le capitaine Dreyfus est intelligent, doué d’une mémoire remarquable, il a le sentiment de sa valeur, il est ambitieux. Il concourt pour l’École de guerre, il est admis et vise la première place. Un déboire cruel l’attendait à sa sortie de l’École ; il n’est pas le premier, il n’est pas le second, il n’est pas le troisième, le capitaine Dreyfus est rejeté au neuvième rang. La blessure tut profonde, cruelle, elle saigne encore, elle est incurable. Mme Dreyfus déclara en présence de M. Gribelin, que son mari avait été malade de cette déception. Il en a eu des cauchemars. C’est bien la peine, disait-il, de travailler dans cette armée où, quoiqu’on fasse, on n’arrive pas selon son mérite ; lui- même parlait de ce qu’il appelait une infamie.
Quoiqu’il en soit, le capitaine Dreyfus obtint d’être employé comme stagiaire à l’état-major de l’armée. L’année 1894 arrive. M. le capitaine Dreyfus fait la connaissance d’une femme mariée avec laquelle il échange une correspondance, dont la dernière lettre se termine ainsi : « À la vie, à la mort. » Jusqu’où a été cette liaison ? Le capitaine Dreyfus déclare que s’étant aperçu que cette femme en voulait plus à sa bourse qu’a son cœur, il a rompu. La bourse a-t-elle résisté aussi bien, d’après lui, que le cœur ? En tout cas, il avoue des liaisons intimes passagères. Dans un ménage ordonné comme le ménage Dreyfus, un trou au budget ne saurait passer inaperçu, si ce trou a existé, et comment la jeune femme victime aurait-elle pu l’ignorer ? C’est une étrangère, le capitaine Dreyfus l’a déclarée suspecte, il a même dit qu’elle recevait des espions, mais il a rétracté bien vite ses paroles.
B. – Des rapports des experts en écriture sont joints au dossier ainsi que celui de M. Bertillon, dont il a été parlé ci-dessus. Deux des experts sont absolument affirmatifs ; le troisième expert fait des restrictions et finalement conclut pour la négative. Mais il y a lieu de remarquer qu’il n’a pas pris connaissances de certaines photographies importantes ; parmi les documents qui lui ont été remis, se trouvent une lettre et divers documents écrits postérieurement à son arrestation et dans lesquels l’écriture est visiblement altérée. C. – Dans les interrogatoires que j’ai fait subir à l’inculpé, je me suis attaché à lui faire avouer qu’il avait eu connaissance des documents. J’y suis parvenu en ce qui concerne le frein hydraulique, le plan de transports et de couverture et le projet de manuel de tir de 1894. Sur ce dernier point l’inculpé s’est absolument contredit dans les interrogatoires successifs que je lui ai fait subir. Par contre il a absolument nié avoir eu connaissance de la note sur Madagascar et par conséquent l’avoir écrit de sa main.
J’ai soumis le capitaine Dreyfus à différentes épreuves avant de lui montrer en entier le document incriminé. En défiance, il est toujours resté dans le vague ; lorsque je lui ai présenté des fragments d’écriture isolés, son premier soin a été de s’assurer s’il s’y trouvait des mots compromettants. Quand enfin je lui ai présenté ce document en entier, comme je me servais d’épreuves photographiques, il nia d’abord que l’écriture ressemblât à la sienne ; mais il fut bien forcé de se rendre à l’évidence, lorsque je le lui dictai, et de convenir que les deux écritures avaient un caractère commun absolument frappant, et que cela justifiait les soupçons dont il était l’objet. Alors il se dit victime d’une fatalité, d’une machination ; il a même dit : on a volé mon écriture.
J’ajoute enfin qu’il s’est livré à mon égard à des manifestations déplacées, parlant de la malédiction Dieu, criant que sa race se vengera sur la mienne. Je n’ai pas relevé ces propos ; mais j’ai pu constater que malgré ces grands gestes, il m’a semblé que, dans cette circonstance, son but avait été de ne pas répondre à des questions gênantes, en me faisant sortir du calme et de la modération dont je ne me suis pas départi.
En terminant, j’ai l’honneur, monsieur le ministre, de vous adresser le dossier de cette affaire, afin que vous jugiez quelle suite il convient de lui donner.
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XVIIRemarques sur l’instruction 1°/ Instruction de l’officier de police judiciaire L’art. 39 du code d’I[nstruction] C[riminelle], dit « que les opérations prescrites par les articles précédents, c.-à-d. les perquisitions à domicile, seront faites en présence du prévenu, s’il a été arrêté, et s’il ne veut ou ne peut y assister, en présence d’un fondé de pouvoirs qu’il pourra nommer. Les objets lui seront présentés à l’effet de les reconnaître et de les parapher s’il y a lieu ; et en cas de refus, il en sera fait mention au procès verbal. » ________ Dans un interrogatoire devant l’officier de police judiciaire, celui-ci déclare « que des témoins affirment que etc.…. ». Or ces témoins n’avaient pas été entendus d’une manière légale, puisque leurs dépositions n’ont été faites que devant le rapporteur. L’officier de police judiciaire n’avait interrogé aucun témoin. ________ Les pièces de conviction ne doivent-elles pas être présentées à l’accusé au moment de son arrestation ? ________ 2°/ Rapporteur ________ Secret |
XVIIbisNote Mon cerveau se refuse parfois à comprendre une arrestation aussi arbitraire. _________ |
XVIIIMon cher Maumet1 Mr Hadamard Merci et bien à toi A Dreyfus10 |
__________ 1. – Louis Auguste Maumet (1855-?), polytechnicien (1874) et stagiaire en même temps que Dreyfus à l’État-major. Il finira sa carrière au grade de lieutenant-colonel. 2. – Non identifié. 3. – Non identifié. 4. – Jean Paul Émile Bayle (1850-1895). C’est de lui que tire son nom la « minute Bayle », pièce dont la soi-disant disparition sera attribuée à Dreyfus (Philippe Oriol, L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 278-282). 5. – Émilien Félix Darde (1856-1937). Il finira sa carrière au grade de général de Brigade. 6. – Justinien Marie Ernest Georges Lefèvre (1857-1934). Il finira sa carrière avec le grade de général de division. 7. – Jean Jacques Gomer Paul Vidal (1855-1945). Il finira sa carrière avec le grade de général de division. 8. – François Joseph Kappès (1856-?). Il finira sa carrière avec le grade de colonel.9 – Jean Jacques Pierre Paul Jaussaud (1856-?). il finira sa carrière comme contrôleur de première classe de l’Administration de l’armée. 10. – Nous ne savons pas ce que fit ou que ne fit pas Maumet mais ce qui est certain c’est qu’aucun des noms listés par Dreyfus ne viendra témoigner à son procès. |
XIXNote La campagne de presse devra être rigoureuse surtout mardi et mercredi matin afin qu’on ne puisse plus y répondre1. Mais en tous cas, dégager entièrement le ministre. Dire que la seule preuve est une lettre dont l’écriture ressemble à celle du capitaine Dreyfus. L’accusation tout entière repose sur la ressemblance d’écriture, affirmée par les uns, niée par les autres. __________ |
__________ 1. – Soit les 18 et 19 décembre, veille et premier jour du procès. 2. – On retrouve là l’essentiel de l’article que publia Paul Granier de Cassagnac – antisémite mais grand ami de Demange – dans son Autorité en date du 19 décembre (« Le Procès de Demain »). Les propos relatifs à Mercier s’expliquent non seulement par le respect de la hiérarchie dont ne pouvait se départir Dreyfus mais surtout par la nécessité de calmer les ardeurs contre-productives de certains – tel de Cassagnac – qui s’acharnaient sur lui. Car il est clair que Dreyfus était conscient, même s’il ne pouvait sans doute imaginer toute l’étendue de ses responsabilités, du rôle qui avait été celui du ministre de la Guerre. N’avait-il pas écrit dans une note précédente, on l’a vu : « je suis accusé par un ministre » ? Et on notera à ce propos et avec amusement, la phrase biffée par Dreyfus : admettons que sa bonne foi ait été surprise, mais de là à dire qu’il avait fait tout son devoir… |
XX[Lettre de Dreyfus à Demange I] Nuit de Dimanche à Lundi1 Le sommeil me fuit, mon cerveau bout en pensant au soupçon épouvantable qui plane sur moi, à l’acharnement avec lequel on me poursuit. |
__________ 1. – Sans doute la nuit du 16 au 17 décembre. |
XXIQuestions à poser au Commt Mercier-Milon 1°/ Sauf du 15 août au 22 septe, époque à laquelle le cap. Dreyfus était régulièrement autorisé à venir à son bureau à midi, cet officier est-il venu à d’autres époques à son bureau à des heures irrégulières, en particulier au mois de juillet (pour répondre à la déposition du cape Dervieu). ___________ 2°/ le capitaine Dreyfus n’a-t-il pas fait remarquer que tous les autres stagiaires devraient également participer a la surveillance de l’impression de documents secrets au service Géographique et n’a-t-il pas montré pas là qu’il ne tenait nullement à y aller. ___________ 3°/ M. le commt Mercier[-]Milon n’a-t-il pas envoyé le capitaine Dreyfus a la Don de l’infie et à quel propos. ___________ 4°/ Le capitaine Dreyfus s’est-il jamais occupé pendant son séjour au 3e Bureau des questions confidentielles ? A-t-il posé des questions indiscrètes au Ct Mercier[-]Milon et enfin ne s’est-il pas exclusivement attaché à traiter les questions non confidentielles dont il avait été chargé par Mr le commt Mercier[-]Milon. ___________ 5°/ A son arrivée au 3e Bureau, le capitaine Dreyfus, n’était-il pas fixé sur l’époque à laquelle il devrait faire son stage dans l’infanterie et n’était-il pas par conséquent fixé sur le point qu’il ne participerait pas aux manœuvres d’automne ? – ___________ 6°/ Mr le commt Mercier[-]Milon a-t-il communiqué au Cape Dreyfus, la note qui a passé dans le bureau du 15 au 20 juillet, et relative aux nouvelles formations de campagne de l’artillerie, note que le capitaine n’a pas émargée (pour répondre a ce qu’a prétendu le commt du Paty). |
XXIbisNote La thèse est nouvelle. La lettre1 date maintenant du mois d’août. Or, au mois d’août, il ne pouvait y avoir aucun doute sur l’époque de mon stage dans l’infanterie : les stagiaires de première année étaient dans les régiments depuis le 1er juillet ; ils devaient y rester jusqu’au 1er octobre, époque à laquelle nous devions les y remplacer pour rester dans les régiments jusqu’au 1er janvier. __________ |
XXIterNote Après la première déposition du commandant Henry, assez anodine, le commandant du Paty de Clam l’a fait rappeler à la barre. Le commandant Henry a fait alors une déclaration terrible, mais sans aucune preuve. C’est une infamie que de venir faire une déposition pareille sans apporter aucun témoignage à l’appui. Accuser un officier à la barre sans apporter aucune preuve, c’est monstrueux. __________ |
XXIquaterNote Tous les témoignages s’accordent à reconnaître que je montrais volontiers mes connaissances je ne les cachais donc pas, au contraire. Sont-ce là les allures d’un espion qui sait trop bien ce qu’il risque ? J’ai toujours agi avec une franchise absolue tous les témoins entendus l’ont déclaré. __________ |
XXIITout faire pour sauver l’honneur de notre nom. Essayer d’envoyer quelqu’un à l’ambassadeur d’Allemagne. Faire appel au cœur de l’ambassadeur ; lui dire qu’on ne peut ainsi laisser sombrer l’honneur d’un officier, de toute une famille, quand on le sait innocent. Lui dire que l’honneur est de tous les pays, il n’a pas de nationalité. Peut être démarche de Lucie auprès de Melle Marie de Münster, fille de l’ambassadeur. Ou bien agir directement auprès de l’empereur d’Allemagne. Faire appel à son caractère chevaleresque afin d’avoir le nom du coupable. Au besoin aller à Berlin. Utiliser toutes les relations d’outre-Rhin2. Un procédé à employer serait aussi d’arriver à connaître la maîtresse de l’un des attachés milites allemands – lui promettre une somme importante si elle arrache à celui-ci le nom du coupable. |
__________ 1. – Jules Develle (1845-1919), député de la Meuse et ancien ministre des Affaires étrangères était un ami de la famille Dreyfus. Nous ne savons s’il fut contacté mais si tel fut le cas, il n’est pas douteux qu’il ne fit rien. Develle en effet, pour ne pas perdre son siège, se tiendra loin de ses anciens amis et, à partir de 1897, multipliera bientôt les déclarations antidreyfusardes. Il fera toutefois partie de ceux qui, en 1895, révéleront à Mathieu Dreyfus l’illégalité de 1894 (Mathieu Dreyfus, L’Affaire telle que je l’ai vécue, op. cit., p. ???). 2. – Ce que feront ses amis Schlumberger et Mieg-Koechlin puis ses frères Léon et Jacques, sans résultat. Voir à ce sujet : Philippe Oriol, L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 203. |
XXIIINote n°1 Note pour Me Demange et ma famille A) Le colonel Sandherr1 communique généralement avec ses agents par lettres déposées en des endroits déterminés. Il est probable que l’agent secret français, homme ou femme, qui est à l’ambassade d’Allemagne, communique de cette manière, soit avec le colonel Sandherr, soit avec le commt Henry. ________________ B) Ce qui peut être à craindre, c’est que si l’on découvre au ministère le véritable coupable, que ce soit un officier ou simplement un employé civil ou militaire, on ne cherche à étouffer l’affaire pour ne pas créer un nouveau scandale5. ________________ C) Toujours d’après le commt du Paty, le colonel chef du Service des Renseignements au Grand État-major à Berlin, aurait été appelé à Paris, lors de mon affaire. Pourquoi ? Il est difficile de le deviner ; mais probablement pour donner des explications à l’ambassade et savoir de qui il s’agissait. ________________ D) Étudier la vie des nommés :
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__________ 1. – Nicolas Jean Rober, Conrad Auguste Sandherr (1846-1897), chef de la Section de statistique à ce moment. 2. – Cette note est donc postérieure au procès. Henry y avait en effet affirmé, parfait mensonge, qu’une « personne honorable » lui avait dit qu’il y avait un traître au 2e bureau. Voir Philippe Oriol, L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., passim. 3. – Rodolphe Kœchlin (1847-1920), commandant dans la territoriale, ingénieur, il était un ami de la famille Dreyfus. Il avait déposé pour le capitaine à son procès. 4. – Cette démarche avait déjà été tentée le 13 décembre. Par l’intermédiaire de Rodolphe Koechlin, Mathieu et Léon Dreyfus avait été reçus, sans résultat, par Sandherr. Voir à ce sujet : Philippe Oriol, L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 83. 5. – Belle lucidité… 6. Charles, Jean, Arnould (1852-1923). 7. – Non identifié. 8. – François Prosper Jérôme Charles de Fonds Lamothe (1856-1958). Il témoignera pour Dreyfus à Rennes. |
XXIVNote n°2 Note pour Me Demange et ma famille A) Si l’on se contente de recherches discrètes sur l’auteur même de la lettre, si l’on attend que lui-même fournisse des indices révélateurs sur sa personnalité, je crains que l’on n’aboutisse qu’au bout d’un temps qui peut être fort long. _____________ B) On peut enfin employer un agent spécial à étudier la vie intime des personnages importants de l’ambassade et surtout celle des attachés militaires. _____________ C) En résumé, il faut agir de toutes parts, de tous côtés, à Berlin, comme à Bruxelles, comme à Paris, pour obtenir des indices sur la personnalité de l’auteur de la lettre et ne pas attendre seulement que l’oiseau vienne de lui-même se faire prendre. Quand on connaîtra son nom, il sera facile de lui tendre des pièges pour le prendre la main dans le sac et agir à coup sûr. Il faut en effet ne se saisir d’un individu que lorsqu’on livre des preuves certaines et indiscutables. _____________ D) Je recommande à tous de ne pas parler, de ne pas nommer les agents que nous employons ni des moyens dont nous nous servons – autrement les recherches seront vite contrecarrées et les agents brûlés avant d’avoir pu servir. |
__________ 1. – Belle lucidité… |
XXV[Lettre de Dreyfus à Demange II] Mercredi [26 décembre 1894 ou 2 janvier 1895] 11 heures soir, Cher Maître, A Dreyfus |
XXVI[Lettre de Dreyfus à Demange III] Lundi [31 décembre 1894] 5 heures soir, Cher Maître, Alf Dreyfus |
XXVII[Lettre de Dreyfus à Demange IV] Maître1, Après le départ du Ct du Paty, j’ai écrit la lettre suivante au Ministre : |
__________ 1. – Cette lettre a été en partie publiée dans La Révision du procès Dreyfus. Débats de la Cour de cassation, op. cit., p. 534-537. Pour des raisons diplomatiques, de nombreux passages avaient été remplacés pour cette publication par des lignes de points. Ils sont donc restitués ici, comme les erreurs de lecture, entre accolades. L’original de la lettre citée à la fin est conservé dans AN, BB19 99. Elle a été publiée dans Le Procès Dreyfus devant le conseil de guerre de Rennes, op. cit., t. I, p. 101 . 2. – Ce témoignage, ou du moins ce qu’en avait fait mensongèrement Henry, était en fait censé avoir été donné par le marquis de Valcarlos. |
XXVIII[Lettre de Dreyfus à Demange V] [4 janvier 1895] Cher Maître1, A. Dreyfus J’apprends à l’instant que la dégradation n’aura lieu que samedi. Je vous envoie quand même cette lettre. |
__________ 1. – Cette lettre a été publiée dans Alfred Dreyfus, Lettres d’un innocent, Paris, L’Aurore, 1898, p. 276-277. |
XXIX[Lettre de Dreyfus à Demange VI] Prison de la Santé. Cher Maître, A. Dreyfus Ah, si je pouvais vous voir ! En résumé, cher Maître, ce que je demande en ce moment, si l’on a acquis des doutes sur ma culpabilité, c’est qu’on abrège mes souffrances, qu’on adoucisse mon sort et qu’on me permette d’attendre tranquillement avec ma femme que la lumière se fasse entièrement et complètement. Je n’en puis plus en effet, j’ai déjà supporté trop de douleurs morales pour un innocent. |
__________ 1. – Cette lettre, à l’exception du dernier paragraphe, a été publiée dans Alfred Dreyfus, Lettres d’un innocent, op. cit., p. 278-279. 2. Aux termes de la loi, la possibilité était laissée au déporté de voir sa famille le rejoindre. Dreyfus n’aura pas, au final, et malgré les demandes constantes de son épouse, cette possibilité. |
XXXn° 4 Pour Me Demange Quand mon départ sera décidé, tâcher d’obtenir des adoucissements surtout moraux. |
XXXI[Lettre de Dreyfus à Demange VII] Prison de la Santé Le 6 Janvier 1895. Nom et prénoms Alfred Dreyfus Cher Maître, Bien à vous
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XXXII[Lettre de Dreyfus à Demange VIII] Prison de la Santé Nom et prénoms Alfred Dreyfus Vendredi Cher Maître, A Dreyfus
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Merci pour ces documents inédits et émouvants .Ils auraient passionné mon père Marcel Thomas qui disait souvent qu’il y aurait toujours matière à creuser sur l’Affaire et ,qu’après lui ,d’autres chercheurs découvriraient de nouvelles pepites . Bien cordialement ,Erik Thomas
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