Proust et l’Affaire. Un colloque

L’affaire Dreyfus, coda (1906-1914)
Journée d’étude organisée par Yuji Murakami dans le cadre des travaux de l’équipe Proust de l’ITEM-CNRS, et avec le soutien de la chaire de littérature française moderne et contemporaine du Collège de France
Samedi 1er juin 2013
Salle des Actes, ENS, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris

9 h00 – Présidence : Pierre Birnbaum
Yuji Murakami (MC associé, Collège de France)
Présentation de la journée : l’affaire Dreyfus dans l’œuvre de Proust (1906-1914)
Perrine Simon-Nahum (CNRS-EHESS)
L’Affaire au double miroir de Proust et de Joseph Reinach
Discussion
Pause
10h45 – Présidence : Antoine Compagnon
Alexandre de Vitry (Université Paris IV)
« Cette décomposition commande toute notre vie » : l’incorporation par Péguy d’une affaire Dreyfus interminable (1906-1914)
Éric Marty (Université Paris VII)
Gide aux marges de l’affaire Dreyfus
Pierre Birnbaum (Université Paris I)
Léon Blum, un Juif d’État face à l’affaire Dreyfus
Discussion
14h30 – Présidence : Henri Mitterand
Sébastien Laurent (Université Bordeaux III)
L’affaire dans l’Affaire : le moment Dreyfus et les services secrets français
Bertrand Joly (Université de Nantes)
La mémoire de l’Affaire dans les ligues antidreyfusardes et à l’Action française
Discussion
Pause
16h15 – Présidence : Éric Marty
Jessica Desclaux (Université Paris IV)
« Je raconte tant bien que mal l’affaire Dreyfus » : les traces mémorielles de l’Affaire dans les écrits de Barrès (1906-1914)
Antoine Compagnon (Collège de France)
Amitiés sionistes de Proust
Discussion
Conclusions  par Henri Mitterand (Université Paris III)
18h : fin des travauxNous examinerons, sous un angle à la fois historique et littéraire, les transformations subies par la mémoire de l’affaire Dreyfus entre la décision de la Cour de cassation en 1906 et la Première Guerre mondiale. Il s’agit non pas d’isoler arbitrairement un moment dans la longue chronologie de l’Affaire, mais de mieux la saisir en observant sa postérité et sa survivance durant
une période moins fréquentée par les chercheurs. Rappelons les principaux épisodes postérieurs à l’Affaire elle-même : réintégration de Dreyfus dans l’armée comme chef d’escadron en juillet 1906, formation du cabinet Clemenceau en octobre 1906, discours de réception de Barrès à l’Académie française en janvier 1907, campagne contre le jugement de la Cour de cassation dirigée par le quotidien L’Action française à partir de sa fondation en mars 1908, panthéonisation de Zola et attentat contre le commandant Dreyfus le 4 juin 1908, ou encore affaires Ullmo (1907-1908) et Harden-Moltke (1907-1909), qui ont permis aux antisémites français de relancer le thème de la trahison juive et l’idée du complot juif, inauguration du buste de Bernard Lazare à Nîmes le 4 septembre 1908, affaire Bernstein (1911), loi de trois ans (1913) et assassinat de Gaston Calmette, suivi du grand procès d’Henriette Caillaux (1914)… Toujours présente à travers ces divers incidents, quelles transformations subit
la mémoire de l’Affaire ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord se pencher sur les ouvrages d’histoire publiés dans la même période par d’anciens révisionnistes et antirévisionnistes : Histoire de l’affaire Dreyfus de Joseph Reinach, achevée avec son sixième tome La Révision en 1908 – avant l’Index général de 1911 –, Précis de l’affaire Dreyfus (1909), ouvrage pseudo-scientifique d’Henri Dutrait-Crozon qui fera autorité chez les nationalistes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ; ensuite sur les différents bilans que tirent les dreyfusards (Jules Crépieux-Jamin, L’Expertise en écritures et les leçons de l’affaire Dreyfus, 1907 ; Isaïe Levaillant, La Genèse de l’antisémitisme sous la Troisième République, 1907 ; Georges Sorel, La Révolution dreyfusienne, 1909 ; Daniel Halévy, Apologie pour notre passé, 1910 ; Charles Péguy, Notre jeunesse, 1910), ainsi que les antidreyfusards (Raphaël Viau, Vingt ans
d’antisémitisme, 1889-1909, 1910 ; Léon Daudet, L’Avant-Guerre. Études et documents sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus, 1913).
Quant à la littérature, sans nous interdire de revenir sur des romans connus mais datés comme La Beauté du devoir d’Armand Charpentier (1907), Élie Greuze de Gabriel Trarieux (1907), L’Île des pingouins d’Anatole France (1908), Jean Barois de Roger Martin du Gard (1913), on pourra étudier, sur la base des résultats de recherches génétiques récentes, la représentation non événementielle et allégorique de l’Affaire, sa présence inconsciente et obsessionnelle, l’approfondissement de l’idée d’histoire et le questionnement sur l’identité juive qui ont été ses conséquences lointaines chez certains grands écrivains. À cet égard, l’itinéraire littéraire de Proust semble indiquer plusieurs pistes à suivre.
Nombreux sont les spécialistes qui se sont interrogés sur l’écart entre Jean Santeuil, double témoin des tempêtes dreyfusiennes de 1897-1899 et de l’engagement du jeune romancier dans la cause révisionniste, et À la recherche du temps perdu, qui retrace l’événement de façon « objective » et dans sa « polyphonie » d’un point de vue « neutre », philosophique et sociologique. Ce qui a été sacrifié par cette schématisation est la période de recul entre l’abandon de Jean Santeuil à l’automne 1899 et le commencement du Contre Sainte-Beuve en 1908. Néanmoins, pour mieux saisir la lente construction des thèmes de l’affaire Dreyfus, des juifs et de l’antisémitisme chez Proust, il faut étudier de près « ‘L’affaire Lemoine’ par Michelet » (février 1908), texte comportant la première référence explicite à l’affaire Dreyfus après Jean Santeuil. Comment expliquer le point de vue antisémite adopté par le romancier dans cette « terrible année 1908 », où Salomon Reinach observe qu’il faudra « bien plus d’un siècle pour débrouiller, si jamais on la débrouille, cette ténébreuse histoire » qu’est l’Affaire ? À cette interrogation pourrait s’ajouter un examen des cahiers de brouillons de la Recherche. Au terme de ces analyses, Du côté de chez Swann (1913), que l’on croit bien connaître, ne sera plus le même.
Tout a-t-il été dit sur l’affaire Dreyfus ? Bien sûr que non. L’exemple de Proust nous suggère qu’il y a encore un vaste terrain à explorer. « Il semble, écrit-il dans La Prisonnière, que les événements soient plus vastes que le moment où ils ont lieu et ne peuvent y tenir tout entiers. Certes, ils débordent sur l’avenir par la mémoire que nous en gardons, mais ils demandent une
place aussi au temps qui les précède. Certes, on dira que nous ne les voyons pas alors tels qu’ils seront, mais dans le souvenir ne sont-ils pas aussi modifiés ? » S’il en est ainsi de notre sujet, la délimitation chronologique proposée pourra être franchie, d’autant que nous aurons affaire à des « spectres échappés des cimetières de l’histoire » (A. Leroy-Beaulieu, Les Doctrines de haine, 1902), en particulier « cette hantise de la foule, venue de si loin à travers les siècles, toujours renaissante au premier désastre » (Zola, Vérité, 1903) qu’est l’antisémitisme.

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