Nous en parlions récemment, après le don fait en juillet dernier par Charles Dreyfus, petit-fils du capitaine, à la BNF (voir ici). Ce manuscrit qu’il a offert, montrant au passage une nouvelle fois le désintéressement de la famille Dreyfus et sa volonté constante d’aider la recherche, vient d’être mis en ligne sur Gallica.
Il constitue la version dernière des souvenirs du capitaine, écrits en janvier-mars 1931 et est constitué d’une préface (une page foliotée « I ») et de deux parties :
- de son arrestation à sa seconde condamnation à Rennes : 17 pages foliotées « 2 » à « 17 » – avec une « 4bis » – (jusqu’à l’île du Diable) ; les pages 97 à 106 de Mon Journal, pages extraites de Cinq années de ma vie dans l’édition Fasquelle de 1901 (jusqu’au 15 avril 1895) ; 14 pages foliotées « 37 » à « 50 » (de l’automne 1896 et la mise aux fers à sa seconde condamnation à Rennes) ;
- et « Après le procès de Rennes » (79 pages folioteés « 1 » à « 69 », avec 9 pages foliotées « a » à « i » entre les pages 5 et 6 et une foliotée « # » entre les pages 32 et 33).
Quelle est l’histoire de ce manuscrit ? Nous savons qu’après avoir retrouvé ses forces et s’être reposé à Villemarie, chez sa sœur, puis en Suisse, chez les Naville, Dreyfus entreprit de raconter sa triste histoire. Alfred Dreyfus – nous nous permettrons de reprendre ici la « Notes sur le texte » de notre édition des Carnets et quelques passages de notre Histoire de l’affaire Dreyfus à paraître – avait envisagé de faire paraître ses souvenirs en trois séries distinctes. La première, publiée en 1901 sous le titre Cinq années de ma vie, couvre la période 1894-1899. La deuxième, une lettre de 1901 à Reinach nous l’apprend, devait comprendre « toute la discussion du procès de Rennes, y compris l’acte d’accusation d’Ormescheville qui a reparu en 1899 » (lettre sans date [20 février 1901]. B.N. n.a.fr. 13567 ff. 82-83). Nous savons, par la même lettre, qu’elle n’était encore à cette époque un projet, Dreyfus attendant « d’être mieux informé ». La troisième partie devait en être la suite, dont il ne pouvait connaître, quand il l’entreprit, l’heureux épilogue. On sait, grâce à une autre lettre à Reinach à peine postérieure à la précédente, qu’elle fut commencée en 1900 et que seules les premières pages en étaient alors écrites : « Dans la 3e partie, qui commence à l’heure où je suis sorti de la prison, je raconte longuement mon voyage, comment j’appris la mort de Sch K, mon émotion, etc. » (lettre sans date [fin février 1901]. B.N. n.a.fr. 13567 ff. 89-89 v°). C’est cette dernière partie, « Après le procès de Rennes », conservée à la Bibliothèque Nationale de France (B.N. n.a.fr. 14308 à 14312), que j’ai publiée en 1998 sous le titre des Carnets de Dreyfus. Il semble qu’elle fut écrite en trois temps. Les treize premiers chapitres, qui couvrent la période qui s’étend de 1899 à la fin de 1901, furent, probablement, écrits presque dans le feu de l’action ou en un léger décalage, qui pourrait expliquer les infimes erreurs de chronologie, la suite, du quatorzième au vingt-sixième chapitre, fut écrite après « le triomphe final », comme il est dit chapitre XIV et les deux derniers chapitres, vingt-septième et vingt-huitième, très raturés, corrigés, écrits au fil de la plume, le furent, sans doute comme un journal au fur et à mesure du déroulement des événements. Il est certain, en tout cas, la précision qu’il y apporte et l’émotion retrouvée l’indiquent sans doute possible, que Dreyfus dut prendre des notes en vue de ce manuscrit, notes dont il se servit pour écrire ses vingt-six premiers chapitres. Mais il n’était pas question d’éditer ce manuscrit, qui révélait les difficultés qu’avaient pu lui faire les Labori, Havet et Picquart. En 1930, comme on a pu le lire dans la biographie de Vincent Duclert, Dreyfus décida de reprendre ses souvenirs mais il semble qu’il n’eut guère la force à ce moment d’aller jusqu’au bout de ce travail (Vincent Duclert, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote, Paris, Fayard, 2006, p. 1197). La mort de Mathieu, en octobre 1930, lui fit sans doute retrouver l’ardeur perdue en lui indiquant quelle nécessité il y avait à ne pas laisser aux autres le soin de dire ce qu’avait été son histoire. Pour cela, il reprit Cinq années de ma vie et « Après le procès de Rennes ». Il en fit une première version manuscrite (celle offerte par Charles Dreyfus à la BNF et qui nous intéresse ici), datée de « janvier-mars 1931 », selon la date qui clôt le manuscrit, puis une copie dactylographiée, corrigée et parfois complétée, celle conservée au MAHJ, datée de « janvier-mars 1931 », selon la date qui clôt ici encore le manuscrit. Par discrétion, dans cette dernière version (manuscrit et tapuscrit), Dreyfus supprima tous les passages qui racontaient ses difficiles relations avec les Labori, Picquart et Havet et que ne donnent donc que les Carnets. Enfin, il y ajouta 3 pages qui couvraient la période 1914-1930. À son fils Pierre de décider ce qu’il en ferait à sa mort. C’est ce volume qu’il publiera avec quelques modifications, en 1936, chez Grasset, sous le titre : Souvenirs et correspondance publiés par son fils.
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