Martine Le Blond-Zola nous communique l’information suivante :
Le projet d’un monument à la mémoire de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus à Mulhouse lancé le 12 juillet 2006 par l’Association Monument Dreyfus présidée par Fernand Hessel se concrétise. La ville a donné son aval. La statue, œuvre du sculpteur Sylvie Koechlin, sera érigée dans le jardin Steinbach en face du Musée des Beaux-Arts. Une souscription publique sera lancée à Mulhouse le 16 octobre 2014 dans le cadre d’une conférence donnée par Georges Joumas auteur du livre Alfred Dreyfus, officier en 14-18.
Quelques images du projet :
Et la présentation du projet par l’artiste en charge du projet :
PROJET DE SCULPTURE A LA MEMOIRE DE LA REHABILITATION DU CAPITAINE DREYFUS
NOTE EXPLICATIVE
OBJET:
Création et mise en place d’une sculpture originale dans l’espace public de la ville de Mulhouse à la mémoire de la réhabilitation du capitaine Dreyfus survenue le 12 juillet 1906 après la révision définitive du procès de Rennes selon l’arrêt sans renvoi de la Cour de Cassation.
NATURE DE L’OEUVRE PROPOSEE:
La sculpture créée devra apporter un témoignage pour les générations futures de la victoire de la vérité sur le mensonge, de la justice sur les forces obscures de l’arbitraire, de l’honneur d’un homme injustement accusé sur l’infamie.
Ici, le capitaine Alfred Dreyfus, né à Mulhouse le 9 octobre 1859, mort à Paris le 12 juillet 1935.
Après une étude historique des faits, une synthèse donnera lieu à des intentions symboliques et poétiques ayant pour source certaines citations littéraires de dreyfusards célèbres.
Ces images seront ensuite traduites en volume et projetées dans l’espace pour donner lieu à un monument sculpté pérenne et chargé de sens.
Cette note explicative présente une proposition de création originale sur le thème décrit.
La matière utilisée sera le granit, roche magmatique, plutonique à forte valeur symbolique.
La lumière joue également un rôle essentiel dans la représentation du signal dans son contexte historique.
Les dimensions seront approximativement 250 cm pour la hauteur, de 110 cm à 120 cm pour la largeur et 150 cm pour la profondeur.
EMPLACEMENT ET INTEGRATION DE L’OEUVRE:
La sculpture choisie sera placée aux abords ou dans le parc Steinbach à Mulhouse qui borde la rue de la Sinne où la famille Dreyfus a vécu dans l’hôtel particulier du n°45, de 1866 à 1872, date à laquelle elle opta pour la nationalité française.
Plusieurs emplacements ont été repérés comme propices à la pose de la sculpture en fonction de l’échelle et de la nature de chaque proposition.
1 / Devant le musée des Beaux-Arts, ancienne villa Steinbach aux abords du parc sur la partie pavée piétonne longeant l’entrée du parc
2/ A l’entrée du parc, visible de la place Guillaume Tell, sur le petit terre-plein triangulaire.
3/ Au centre du parc à l’emplacement de la fontaine qui jouxte l’aire de jeux des enfants
CONTEXTE HISTORIQUE
Résumé des faits :
L’affaire Dreyfus arrive dans un climat de fort sentiment de revanche vis-à-vis de l’Empire germanique après l’humiliation du désastre de la bataille de Sedan, la défaite et la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1871, la chute de Napoléon III et le début de la IIIème République proclamée par Léon Gambetta.
L’affaire Dreyfus est d’abord une affaire militaire sur fond de trahison, de désinformation et d’espionnage entre la France et l’Allemagne.
La forte mutation opérée par l’armée française, le sectarisme, l’antisémitisme exacerbé d’une grande partie de l’opinion et la manipulation d’un grand nombre de personnes au cours de l’affaire, ont permis à ce drame humain d’exister.
La famille juive d’Alfred Dreyfus fait partie des « optants », ces alsaciens qui ont quitté l’Alsace en 1872.
Profondément patriote, Alfred Dreyfus, envoyé à Paris pour ses études, intègre l’Ecole polytechnique en 1878 est en sort 28ème sur 235, promu capitaine en 1889, breveté de l’école de guerre en 1892, 9ème sur 81 élèves, avec mention très-bien, il devient stagiaire à l’état-major général de l’armée.
Le 14 octobre 1894 le général Mercier, ministre de la guerre signe l’ordre de son arrestation pour haute trahison au profit de l’Allemagne. Il sera jugé par une cour militaire réunie en Conseil de guerre à huit clos dans le mépris total des règles élémentaires de justice.
Il sera dégradé le 5 janvier 1895 dans la grande cour de l’Ecole militaire à Paris sous les huées d’une foule en colère et envoyé rapidement au bagne sur l’ile du diable au large de Cayenne où il restera détenu 4 ans et 3 mois dans des conditions extrêmement dures.
L’affaire Dreyfus n’existe pas encore.
Mis à part ses proches, personne ne doute de sa culpabilité, il incarne le « traître abject » pour une immense majorité des français.
Néanmoins, beaucoup de personnes seront progressivement convaincues de son innocence dès le début de son calvaire.
Le seul à douter dans l’Etat-Major, dès 1895, est le futur maréchal Lyautey qui s’émeut de l’antisémitisme général.
Il faudra attendre le 13 janvier 1898 et le célèbre « J’accuse » de Emile Zola à la une de l’Aurore pour que l’opinion publique s’enflamme entre dreyfusards convaincus de l’erreur judiciaire et antidreyfusards nationalistes et farouches défenseurs des décisions des conseils de guerre iniques de 1894 et 1899 malgré les absences de preuve de la culpabilité du capitaine Dreyfus.
Après une interminable bataille de ses défenseurs, initiée par l’acharnement inépuisable de Mathieu Dreyfus son frère et de Lucie son épouse qui n’ont jamais douté un instant de son innocence, 2 procès concluant à la culpabilité, la grâce présidentielle d’Emile Loubet, une amnistie contestée par Dreyfus lui-même, une enquête administrative, plusieurs requêtes en révision, la Cour de cassation proclame enfin Alfred Dreyfus innocent le 12 juillet 1906, 11 ans et 9 mois après son injuste arrestation.
Il est réhabilité le 21 juillet 1906, promu commandant, décoré de l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur par le général Gillain dans la petite cour de l’Ecole militaire.
Bien qu’à la retraite depuis le 25 octobre 1907, le commandant Dreyfus participera à la guerre de 14-18 et sera promu lieutenant-colonel du cadre de réserve en septembre 1918, élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur.
Officier d’artillerie en retraite, il meurt le 12 juillet 1935 à Paris et repose au cimetière du Montparnasse.
L’affaire Dreyfus aura de grandes conséquences sur la société française du fait du clivage profond occasionné dans tous les milieux, sociaux, militaires, politiques, religieux….
Elle accélérera le vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, sera à l’origine de la ligue des droits de l’homme et du citoyen, ainsi que de nouveaux concepts comme celui de la notion moderne des intellectuels engagés.
Elle sera l’occasion pour Georges Clémenceau de renouer avec le pouvoir après le scandale du Canal de Panama qui l’en avait écarté.
Après l’avoir ébranlée, elle renforcera la République.
En revanche beaucoup de défenseurs du capitaine Dreyfus auront également à souffrir, dans une plus ou moins grande mesure, de l’iniquité de la justice à cette époque-là, en perdant leur poste, les élections ou en étant eux-mêmes condamnés pour leur prise de position, la divulgation de prétendus faux éléments ou pour diffamation.
En premier lieu, le lieutenant-colonel Georges Picquart et Emile Zola, ou encore le sénateur Scheurer-Kestner entre autres, qui ont dénoncé courageusement, avec vigueur, au détriment d’eux-mêmes, les accusations mensongères portées contre Alfred Dreyfus.
Encore aujourd’hui, un travail de mémoire dans les cadres historique, patriotique et philosophique s’impose afin de lutter contre l’arbitraire, pour la pérennité des valeurs de justice ainsi que de « réconcilier Dreyfus et l’Affaire » (Vincent Duclert)
INTENTIONS SYMBOLIQUES
L’affaire Dreyfus est devenue le mythe fondateur du pur combat de justice et de droit.
En cela, elle représente « le symbole de l’annulation d’un jugement porté dans une situation d’absolue injustice ».
« Quand le droit d’un seul est lésé, c’est le droit de tous qui est menacé »
Georges Clémenceau – L’Aurore le 20 janvier 1898
Au-delà de l’injustice qui a frappé l’innocent capitaine Dreyfus, c’est toute la société française qui est touchée, gravement atteinte, par une crise humaine aussi violente que la révolution ou la grande guerre selon Léon Blum, au cours de laquelle ont pu croître les plus grandes haines, rejets, aveuglements, ostracismes, intolérances sur fond d’esprit de revanche après la défaite humiliante de la guerre de 1870.
Les premiers effets de cette crise ont été une très mauvaise réputation de la France à l’étranger.
Au-delà de la réhabilitation d’un homme, « c’est le triomphe de la justice et de la vérité sur l’erreur, le mensonge et le crime » comme le dira Dreyfus lui-même.
Il aura fallu un siècle pour que la plus haute autorité de l’Etat rende publiquement un hommage à la mémoire du capitaine Dreyfus en la personne du Président de la République en 1998 dans une lettre aux descendants d’Alfred Dreyfus et d’Emile Zola puis dans le discours du 12 juillet 2006 où sera prononcé « …un demi-siècle après Vichy, nous savons que les forces obscures, l’intolérance, l’injustice peuvent s’insinuer jusqu’au sommet de l’Etat. Mais nous savons aussi que la France sait se retrouver pour le meilleur, dans les moments de vérité, grande, forte, unie et vigilante…. »
Le portrait du capitaine Dreyfus réhabilité revêt le visage symbolique de la victoire des justes contre l’injustice, de la vérité contre le mensonge, de la droiture contre la manipulation, de la tolérance contre la haine, de l’honneur contre l’infamie.
INTENTIONS POETIQUES
Les intentions poétiques de l’œuvre proviendront de diverses citations de dreyfusards célèbres :
« N’est-ce pas un signe, tous ces intellectuels, venus de tous les coins de l’horizon, qui se groupent sur une idée et qui s’y tiennent inébranlables ? »
Georges Clémenceau – L’Aurore – le 23 janvier 1898 lors du procès d’Emile Zola
« Il peut dormir tranquille et confiant dans le doux refuge familial (…) et compter sur nous pour sa glorification, c’est nous les poètes qui donnons la gloire et nous lui ferons la part si belle que pas un homme de notre âge ne laissera un souvenir si poignant…Nous autres, Madame, allons continuer la lutte, nous battre demain pour la justice aussi âprement qu’hier. Il nous faut la réhabilitation de l’innocent, moins pour réhabiliter, lui qui a tant de gloire, que pour réhabiliter la France, qui mourrait sûrement de cet excès d’iniquité ».
Emile Zola lettre ouverte à Madame Alfred Dreyfus publiée dans l’Aurore le 29 septembre 1899
«…On nous a bien promis, en dédommagement, la justice de l’Histoire …de même, laisser les scélérats tenir le haut du pavé, tandis que vous, les justes, on vous pousse au ruisseau. Et l’on ajoute que, lorsque nous serons morts, c’est nous qui aurons les statues. Pour moi, je veux bien, et j’espère même que la revanche de l’Histoire sera plus sérieuse que les délices du paradis. Un peu de justice sur cette terre m’aurait pourtant fait plaisir…. et j’attends toujours ».
Emile Zola – lettre à M. Emile Loubet publiée dans l’Aurore le 22 décembre 1900
«Envions-le : il a honoré sa patrie et le monde par une œuvre immense et un grand acte. Envions-le, sa destinée et son cœur lui firent le sort le plus grand. Il fut un moment de la conscience humaine ».
Anatole France – Ministre de l’instruction publique – discours d’adieu à Emile Zola 5 octobre 1902 en présence d’Alfred Dreyfus
« Aujourd’hui l’action doit se réfugier dans le livre, c’est dans le livre seul que, dégagée des contingences malsaines et multiples qui l’annihilent et l’étouffent, elle peut trouver le terrain propre à la germination des idées qu’elle sème. Les idées demeurent et pullulent : semées, elles germent, germées, elles fleurissent. Et l’humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire des gerbes de joies de son futur affranchissement ».
Octave Mirbeau – Le Journal 11 mars 1895
« … un sentier reste ouvert aux poursuites, un gros bloc obstrue le chemin. »
« … Qu’on l’accuse en plein jour…Et par la force de la lumière nous vaincrons. Et notre grande France généreuse, faisant face une fois de plus aux puissances de réaction et de ténèbres, aura bien mérité du genre humain. »
Jean Jaurès – Les Preuves 29 septembre 1898
De toutes ces images, jailliront des formes plastiques en volume pour symboliser la réhabilitation du capitaine Dreyfus et ses conséquences sur l’ensemble de la société française moderne.
INTENTIONS ARTISTIQUES
L’explosion de la vérité et de la justice
J’ACCUSE d’ Emile Zola – 13 janvier 1898 – date du début de « l’Affaire Dreyfus »
« … la vérité est en marche et rien ne l’arrêtera.»
« Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle… »
« … On verra bien si l’on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désordres… »
« … Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme… que l’enquête ait lieu au grand jour ».
« La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera »
La presse jouera un grand rôle dans l’affaire Dreyfus, terrain où les partisans et les adversaires de Dreyfus s’opposent.
Il faudra attendre le 13 janvier 1898 pour que la une du tout jeune journal l’Aurore publie le célèbre J’accuse de Zola
Le processus de révision puis de réhabilitation sera définitivement enclenché grâce à la mobilisation des esprits de bonne volonté, informés par la plume des « intellectuels » ainsi nommés par Clemenceau, avocats, écrivains, journalistes, scientifiques, artistes.
Le monument à la réhabilitation du capitaine Dreyfus devra donc être la représentation du jaillissement de la vérité et de l’honneur retrouvé d’un homme, ayant subi l’humiliation de la dégradation, les souffrances du bagne mais resté debout malgré une blessure ineffaçable dans le cadre d’une société fracturée par le sectarisme et la méfiance vis-à-vis de communautés jugées arbitrairement hostiles à l’unité nationale.
Seront principalement retenus de ces images, la fracture, la trace du drame humain, l’enfermement, l’obstruction, le secret, la double-face, la montée des convictions, la détermination des justes, le jaillissement de la lumière, l’éclairage porté par cette lumière, la victoire de la vérité, l’homme debout malgré tout.
« Ma conscience qui ne me reproche rien me soutient. »
Lettre d’Alfred Dreyfus à Lucie Dreyfus du 5 janvier 1895
Sylvie Koechlin sculpteur