Extrait de Dunkerque Magazine (n° 240, mai 2013) :
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) posera la plaque « Place du Capitaine Alfred Dreyfus » le vendredi 10 mai à 17 h dans le quartier du Grand Large. Cette cérémonie sera suivie à 18 h du vernissage à l’hôtel communautaire de l’exposition « Émile Zola, Alfred Dreyfus, un moment de la conscience humaine » qui sera présentée jusqu’au 17 mai. Une conférence de Guy Crépin, commissaire de l’exposition, complétera cet hommage le samedi 11 mai à 10 h à la CUD.
Une vidéo de l’inauguration :
Et quelques images aimablement communiqués par M. Charles Dreyfus :
Et le discours de M. Charles Dreyfus, petit-fils du capitaine :
Dunkerque 10 mai 2013
Monsieur le Maire……
Ma famille est toujours très reconnaissante envers les municipalités qui rendent hommage à Alfred Dreyfus,mon grand-père, dont la tragédie que l’on sait brisa la carrière et affecta profondément la vie et celle de ses proches. Je tiens donc à exprimer notre gratitude et nos très vifs remerciements à la ville de Dunkerque qui aujourd’hui l’honore en donnant son nom à cette nouvelle place.
Il y a près de 120 ans qu’un matin d’automne, Alfred Dreyfus était convoqué au Ministère de la guerre, accusé d’un crime qu’il n’avait pas commis et dont il ne fut acquitté que 12 années plus tard. Depuis, nous avons connu 2 guerres mondiales qui ont fait des millions de victimes et il y a eu la Shoah.
Et cependant l’affaire demeure un évènement majeur de notre histoire. La cérémonie à laquelle nous assistons aujourd’hui en est la meilleure démonstration.
Il n’y a d’ailleurs pas une année qui s’écoule sans que plusieurs livres sur l’affaire paraissent en France ou à l’étranger. Certains apportent d’intéressantes précisions sur quelque aspect méconnu ou sur la personnalité de son principal protagoniste,d’autres font de prétendues révélations opportunément liées à un sujet d’actualité. L’affaire est devenue un symbole de l’erreur judiciaire et de la vérité étouffée. On s’y réfère souvent, parfois abusivement.
Je pense que la raison de la persistance de l’intérêt qu’on lui porte est que l’affaire correspond à un tournant déterminant dans l’histoire de la République.
La lecture des débats houleux à la Chambre des députés à l’époque montre clairement que le combat en faveur du capitaine était aussi un combat pour la République et la longue lutte pour faire éclater la vérité fut aussi celle qui vit le triomphe de la République. Il est encourageant d’observer que les noms de ceux qu’on appelait alors les dreyfusards ont résisté à l’usure du temps infiniment mieux que leurs adversaires qui sont, pour la plupart,oubliés aujourd’hui.
Alfred Dreyfus était un brillant officier, diplômé de l’école polytechnique et de l’École de guerre, breveté d’État-major.
Comme l’écrit très justement Vincent Duclert, l’affaire en fait débuta le jour de l’entrée d’Alfred Dreyfus à l’État- Major. Dans ce corps de l’armée, où le recrutement traditionnel était fait par cooptation, l’arrivée d’un officier juif et qui plus est hautement qualifié était intolérable.Il fallait donc à tout prix l’en exclure.
Mais je n’entrerai pas davantage dans le récit de l’affaire. Je laisse cela aux historiens beaucoup plus qualifiés que moi.Je dirai simplement que si Alfred Dreyfus résista,selon ses propres termes, à ces « cinq années d’atroces tortures physiques et morales », on le doit, certes, au soutien inlassable de son épouse Lucie et de sa famille qui ne crurent pas un seul instant à sa culpabilité; à sa foi en la justice mais aussi à sa très grande culture dont témoigne ses Cahiers de l’île du Diable récemment publiés. C’est en traduisant Shakespeare, en consignant sur ces cahiers ou en commentant les écrits de Montaigne, Rousseau, Renan, Kant et bien d’autres encore qu’il parvint à ne pas perdre la raison.Ainsi, à une pensée de Pascal« L’âme humaine à des profondeurs insondables »il rétorque « il eut mieux fait de dire que le cœur humain avait des profondeurs de cruauté incommensurables ».
Bien que très modeste, Alfred Dreyfus était parfaitement conscient de la portée universelle de l’affaire.C’est pourquoi je terminerai en citant quelques lignes tirées des Souvenirs qu’il rédigea après sa réhabilitation et dont je viens de faire don du manuscrit à la Bibliothèque nationale de France. Après avoir décrit la cérémonie à l’École militaire au cours de laquelle il fut réintégré dans l’armée et décoré, il conclut « Ce fut une belle journée de réparation pour la France et la République. Mon affaire était terminée. Si tous ceux qui avaient combattu pour la justice et qui étaient encore parmi les vivants, n’avaient pu recevoir la récompense de souffrances endurées pour la vérité, il était certain qu’ils la trouveraient dans la satisfaction intime de leur conscience et dans l’estime que leurs sacrifices leur avaient méritée de la part de leurs contemporains. Et même s’ils parurent oubliés, ils ne furent pas les plus mal partagés, car ils ne luttèrent pas seulement pour une cause particulière, mais ils contribuèrent pour une large part, à l’une des œuvres de relèvement les plus extraordinaires dont le monde ait été témoin, une de ces œuvres qui retentissent dans l’avenir le plus lointain, parce qu’elle aura marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité, une étape grandiose vers une ère de progrès immense pour les idées de liberté, de justice et de solidarité sociale.