Nous reprenons ici la publication de cette correspondance parue à l’origine en 1999 dans notre volume : Bernard Lazare anarchiste et nationaliste juif (Honoré Champion).
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- Lazare à Drumont
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Paris 5 I 95
Monsieur
Dans un article paru dans l’Écho de Paris du lundi 31 Décembre, et que je vous envoie, au cas où vous ne l’auriez pas lu, je demandais aux antisémites en général et à vous Monsieur en particulier de vouloir bien appuyer leurs affirmations coutumières par quelques preuves, idéologiques ou historiques, par de la logique et du raisonnement[1]. Je constatais que vous – j’entends par là tous les antisémites – se dérobaient à toute discussion théorique sérieuse.
Vous n’avez pas cru devoir répondre, ce qui est votre droit absolu, je suis donc autorisé, jusqu’à preuve du contraire, à dire que les antisémites et vous même, Monsieur, ne peuvent, ne savent et n’osent pas discuter et défendre leurs opinions, autrement que par des moyens polémiques et non par des moyens scientifiques.
J’espère que vous ne verrez exprimé dans cette lettre que le vif désir dont est animé quelqu’un qui aspire à être un historien et un sociologue, d’élucider quelques idées et de travailler ainsi pour la vérité et la justice. Vous parlez trop souvent en leur nom pour ne pas comprendre ce sentiment.
Veuillez agréer Monsieur l’assurance de ma distinguée considération.<
Bernard Lazare
136 Rue Legendre
2. Lazare à Drumont
Paris 5 Septembre 95
Monsieur
Voulez-vous me permettre de rétablir exactement deux notes de mon livre sur l’Antisémitisme[2] que vous citez dans votre entrefilet de ce jour : A propos de l’attentat Rothschild.
Libre parole |
L’Antisémitisme |
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Et, page 347 |
Note (1) de la page 348 |
Je ne vous aurais cependant pas écrit pour ces rectifications qui ne paraîtront importantes qu’à ceux les seuls qui ont le souci de la précision, mais vous tirez de ces citations incorrectes des conclusions injustifiées. Vous semblez vous appuyer sur mes affirmations pour déclarer que les révoltés et les révolutionnaires juifs ne sont susceptibles que de lâcheté[3] : or je n’ai jamais rien écrit qui puisse vous autoriser à vous servir de moi comme auxiliaire. J’ai dit dans mon livre que beaucoup parmi les Juifs étaient des révoltés, qu’on trouvait parmi les ouvriers juifs (il y en a soixante mille à Londres et cent cinquante mille à New York qui vivent de salaires misérables) des révolutionnaires participant aux luttes du prolétariat (laissez-moi ajouter qu’à mon sens il n’y en a pas assez) mais je n’ai pas dit autre chose.
Votre excuse, en parlant de la lâcheté des révoltés juifs est d’ignorer absolument – entre autres choses – leur histoire. Si vous la connaissiez, vous sauriez par exemple de quel héroïsme furent capables les révolutionnaires juifs qui combattirent avec leurs frères russes contre cette abominable autocratie tzarienne que seule la France approuve dans le monde civilisé. Ces révolutionnaires juifs bravèrent eux aussi la mort, la prison, la Sibérie (ce qui est plus héroïque peut-être que de s’exposer à l’horreur anodine de Sainte-Pélagie et des amendes[4]) ils bravèrent la mort et ils surent périr sous le fouet, dans les mines ou sur les échafauds. Ne pensez-vous pas qu’ils aient le droit à être respectés.
Je suis certain que telle sera votre conviction. Je vous serais infiniment obligé d’insérer cette lettre[5] et je vous prie d’agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée
Bernard Lazare
22 rue Brochant
3. Lazare à Drumont
23 Obre 95
Jusqu’à présent j’avais toujours reproché à l’antisémitisme de ne donner aucune solution à la question qu’il avait soulevée. A plusieurs reprises même j’ai demandé, soit à vous, soit aux vôtres quelles mesures vous préconisiez pour échapper à ce que vous nommez la domination juive, à ce que j’appelle moi la tyrannie du capital qui n’est pas juif spécialement mais universel. Je n’ai jamais obtenu de réponse. Le concours que vous ouvrez satisfera ma curiosité je l’espère, et me fixera sans doute sur la doctrine antisémite. Voulez-vous me permettre de faire partie du jury, vous pouvez être assuré de mon absolue impartialité quoique d’avance je trouve que la seule mesure logique serait le massacre, une nouvelle St Barthelemy[6]. Si vous acceptez mon offre, je vous serais obligé de bien vouloir insérer cette lettre, qui l’explique.
Croyez, Monsieur le directeur, ………………………………………[7]
4. Drumont à Lazare
[enveloppe adressée au journal Le Voltaire[8], 24, rue Chauchat]
La Libre Parole
14, Bould Montmartre
Direction
31 mai 1896.
Monsieur et cher confrère,
Vos critiques sont absolument injustifiées[9]. Si le délai pour le concours a été prolongé jusqu’au 1er Juin c’est à la demande de quelques-uns de ceux qui comptaient nous envoyer des mémoires, désirant avoir un peu plus de temps devant eux afin que leur travail soit plus sérieux ou plus documenté. Il n’y a rien là que de très naturel et je ne vois pas ce que vous pouvez trouver d’étonnant là-dedans.
ous avez témoigné le désir de faire partie du jury et je crois qu’on a publié une lettre de vous à ce sujet. Vous recevrez une convocation dès la première réunion de ce jury.
Veuillez recevoir, monsieur et cher confrère, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.
Édouard Drumont
Ayez l’obligeance de m’envoyer votre adresse personnelle afin que la lettre vous arrive de suite.
5. Lazare à Drumont
2 juin 1896
Monsieur et cher confrère
Je m’empresse de vous envoyer mon adresse personnelle que vous m’avez demandée (22 rue Brochant). Dans mon prochain article sur l’antisémitisme je reconnaîtrai volontiers la justesse de votre réponse[10]. Je serais fort heureux de participer aux travaux de votre jury et j’espère trouver dans les communications de vos amis des solutions que je n’aperçois pas encore et que je serais tout disposé à signaler en réponse à mes questions.
Veuillez agréer, M. et cher confrère, l’assurance de ma parfaite considération.
6. Drumont à Lazare
La Libre Parole
14, Bould Montmartre
Direction
6 juin 1896
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous informer que le Jury, dont vous avez bien voulu accepter de faire partie, se réunira au journal mercredi prochain, 10 courant, à 5 heures du soir.
Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.
Édouard Drumont
7. Rouyer à Lazare
Paris 17 Juin 1896
Monsieur
Après le regrettable incident qu’a provoqué votre article de dimanche dernier le public admettra difficilement que vous conserviez les sentiments d’impartialité qui conviennent à un juge de concours.
Votre situation comme Membre de la Commission devient donc extrêmement fausse.
Vous estimerez comme moi, je n’en doute pas, qu’il convient pour vous d’y mettre fin en vous retirant et en faisant remettre aux bureaux de la Libre Parole les mémoires qui ont été soumis à votre examen[11].
Veuillez agréer Monsieur l’expression de mes sentiments distingués.
Le président de la Commission
Rouyer
Ingénieur
8. Lazare à Drumont
Paris 29 Obre 96
Monsieur
Je ne pensais pas vous écrire une seconde lettre[12]. Je reçois le second numéro de la brochure ordurière que je vous ai signalée. L’insistance qui est mise à me l’envoyer me fait croire que c’est vraiment moi que l’on prétend viser. Je vous avais prié de le démentir, vous ne l’avez pas fait, vous n’avez pas nié davantage que vous fussiez l’inspirateur de cette publication. Si d’ailleurs j’en avais douté, la parfaite ressemblance de style et de manière de ce Casse gueule [sic][13] (quelle élégance) et des pamphlets publiés autrefois contre Rochefort et Vallès par Marchal de Bussy et ses collaborateurs que vous connaissez bien[14] ne me permettent pas le doute. Il est inutile que j’insiste sur le mépris que m’inspirent de pareils procédés et que je dise combien je les trouve honteux et indignes[15] de quelqu’un que j’avais pu considérer jusqu’à présent comme un écrivain au moins, sinon comme un penseur, et un historien ou un sociologue. Je vous ai écrit que pour vous attaquer je n’avais besoin ni des livres, ni de la plume d’un autre. Tel n’est pas votre avis et vous employez vos salariés à injurier bassement et à salir un adversaire toujours loyal. Puisque vous avez pu agir ainsi, je n’ai pas la prétention de vous faire sentir l’ignominie d’une telle conduite. Je vais seulement vous dire ceci. Dans ce second numéro du Casse-gueules vos plumitifs se sont abstenus de parler de l’Adolphe Judas qui, dit-on, me représente[16] – et il faut qu’on m’assure qu’on a prétendu à cela pour que je puisse savoir s’ils ne sont pas disposés à garder la même réserve dans le 3e numéro[17]. Je vous prie donc encore une fois de démentir vis-à-vis de moi-même ce que je vous priais de démentir dans ma première lettre sinon, si d’autres insinuations sont produites, je serais dans l’obligation de vous en tenir pour responsable de la même façon dont on a tenu autrefois pour responsables de leurs calomnies, de leurs diffamations et de leurs insultes, vos amis de la Foudre et de l’Inflexible.
Je vous salue monsieur avec la stricte considération qui vous est due.
Je garde le droit suivant les circonstances de rendre publics cette lettre et les incidents qui l’ont motivée
Adolphe Judas
Celui-là est plus canaille, à lui seul, que tous les plumitifs de la Mâchoire d’âne réunis.
On naît poète et on devient orateur, dit l’adage ancien. Lui est né Juif, et ça l’a dispensé de tout effort pour devenir fripouille.
éon Daudet, qui l’a dépeint dans les Kamtchatka, l’a dénommé Adolphe Judas, et l’appellation était si adéquate que personne ne s’y est trompé[18].
Tous les vices de sa race, en effet, il les a, et quelques autres avec ; car il nous a emprunté ceux de la nôtre, et il s’est bien gardé de nous les rendre.
Lui, rendre quelque chose ! C’eût été la première fois. Il tirerait, dit Léon Daudet, de l’argent d’un pavé, en le félicitant de sa rondeur.
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Nous en avons long à dire, sur ce Judas. Heureusement nous avons du temps et du papier devant nous. Nous nous contenterons, pour aujourd’hui, d’esquisser sa physionomie en quelques traits.
Il a débuté dans les petites revues. Il fréquentait assidûment les cénacles où des jeunes gens, en redingote 1830, développent en style rare les théories « esthétiques » d’Oscar Wilde.
Mais, des mœurs de ce milieu là, il n’a guère adopté que la principale : à savoir cette manière d’aimer, renouvelée d’Héliogabale, qu’on pourrait appeler l’amour occulte.
Il n’eut, d’ailleurs, aucun effort à faire pour en arriver là.
Quelle femme, si bas quelle fût tombée, n’aurait-elle pas eu des nausées à la pensée seule de sentir le contact de ce Juif gras, à tête de crapaud, aux chairs fondantes, comme le fromage trop avancé, et qu’on a toujours envie de ramasser avec une cuiller ?
Et puis, Judas est si incapable de regarder quelqu’un en face.
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Pourtant, une des prétentions de ce youtre, c’est de n’avoir pas peur… des idées, s’entend, et il s’est affirmé libertaire.
« Théoricien sans foi, dit de lui Georges Bonnamour, qui, dans le Trimardeur, le portraicture de main de maître, cervelle glacée de sophiste, rongé par la secrète souffrance de ne se sentir aucun don de créateur, aucune puissance d’évocation humaine, exaspéré par le succès des autres, il s’est jeté dans l’anarchie, avec l’espoir d’en être le philosophe. Dérisoire ambition ! Car il sentait bien, au fond de lui, cette douloureuse impuissance le ronger, qui flétrit comme une tare les hommes de sa race, et, plus pauvre, plus dénué qu’une brute, il grelottait avec rage, point dupe de son intellectuel fatras de pion distingué »[19].
Bonnamour a peut-être vu juste. c’est peut-être pour les raisons qu’il donne que Judas est entré dans l’anarchie. Mais c’est pour d’autres motifs qu’il y resta quelques temps.
Quand Judas comprit, en effet, que son impuissance l’empêcherait à tout jamais d’être le théoricien qu’il avait rêvé d’être, l’instinct du lucre et le besoin de trahir, qui ne sommeillent jamais chez le Juif, se réveillèrent en lui et, ne pouvant philosopher, il moucharda.
On le vit alors, dans maint article et dans maint opuscule qu’on distribuait à la porte des réunions publiques, aux frais de la sûreté générale, exposer les doctrines les plus subversives. Au début cela parut crâne. Mais la mèche fut vite éventée. Quand on traquait les anarchistes, jamais Adolphe Judas n’écopait. Et le Procès des Trente eut lieu sans qu’il y fût compris, lui qui était, ou du moins qui se disait l’ami des principaux accusés. Il n’y eut plus de doute : Judas s’était fait le collaborateur de Puibaraud[20].
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Mais comme le métier est rémunérateur, Judas continue à l’exercer. Seulement, brûlé chez les anarchistes, il a établi son quartier général chez les opportunistes. Il a des bureaux dans deux de leurs journaux[21].
C’est là que se rédige la Mâchoire d’âne.
Mourlon y a ses petites et ses grandes entrées et sous de tels hospices l’imbécile croit qu’il va faire fortune.
Moins bête il comprendrait que si, d’aventure, la Mâchoire d’âne fait quelque argent, – trente deniers par exemple – Adolphe Judas saura se l’approprier en douceur.
Le Youtre, en effet, a tout prévu pour se justifier :
– C’est moi, dira-t-il à ses compères, qui ai fourni les douze cent soixante quinze adresses de rabbins ou de financiers à qui le premier exemplaire a été envoyé avec des bulletins d’abonnements. C’est moi qui ai rédigé l’article-programme intitulé Notre but[22]. C’est donc moi qui ai procuré les fonds et qui ai apporté l’idée. Il n’est que juste que je garde pour moi tous les bénéfices. Partagez-vous le reste, mes bons amis et estimez-vous heureux. Grâce à moi vous avez su comment vous y prendre pour être vils tout votre saoul et cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Ainsi parla Adolphe Judas, et Mourlon – trop vermoulu maintenant pour retrouver une juive veuve qui l’entretienne – devra aller mendier sa pitance sous d’autres climats, n’ayant même plus la ressource d’habiter à Paris son ignominie sous les ponts… de sa casquette !
Le Casse-Gueules, n° 1, 15 septembre 1896
9. Drumont à Lazare
La Libre Parole
14, Bould Montmartre
31 octobre 1896
Monsieur,
J’ai reçu pendant mon séjour à la campagne les deux brochures dont vous me parlez. La réponse m’a paru plus spirituelle que l’attaque mais c’est là une opinion personnelle. Le ton m’a semblé un peu vif et il est évident qu’on écrivait autrement au XVIIe siècle. Ce que je ne m’explique pas, par exemple, c’est que vous ayez cru devoir vous adresser à moi à ce sujet.
Que puis-je vous dire si ce n’est qu’il me semble impossible d’imaginer qui de plus crapuleux que cet homme envers lequel j’ai été d’une indulgence et d’une bonté véritablement excessives parce que je savais qu’il avait besoin de manger et qui vomit sur ceux qui lui ont donné à manger[23] ?
La chose n’a aucune importance, mais cela donne tout de même une sale idée de l’humanité. Quant aux vagues menaces que contient votre lettre, elles me font tout simplement hausser les épaules.
Édouard Drumont
10. Lazare à Drumont
Paris 31 Obre 96
Monsieur
Je viens de recevoir votre lettre. Je constate que vous ne répondez pas à mes questions. Je n’ai pas à déterminer avec vous ce qui est plus spirituel ou du Casse-Gueules ou de l’autre brochure à laquelle vous faites allusion. De même, que m’importe la conduite, vis-à-vis de vous, de la personne dont vous voulez parler ? Si vraiment vous l’avez comblée de vos bienfaits, vous avez raison de ressentir quelque amertume de ses attaques. Mais qu’y puis-je et pourquoi m’en entretenez-vous ? Faut-il parler plus clairement ? Je n’ai jamais contribué par la plume ni autrement à la publication de la Mâchoire d’Âne. Je vous en donne ma parole d’honneur. Pouvez-vous en faire autant relativement au Casse-Gueules[24] ? Je ne vous demande pas une réponse[25].
[1]Il s’agit de « Antisémitisme et antisémites » (repris dans le recueil Juifs et Antisémites. Paris, Éditions Allia, 1992).
[2]L’Antisémitisme, son histoire et ses causes. Paris, Léon Chailley, 1894.
[3]Dans l’article « A propos de l’attentat Rothschild », publié dans La Libre parole ce 5 septembre, A. M. [Albert Monniot] donnait ces quelques citations « pour servir d’indication à la police dans la recherche des coupables de l’attentat » qui avait, le 24 août, visé par le moyen d’une lettre piégée le baron Alphonse de Rothschild. Le rédacteur de La Libre parole voulait ainsi indiquer, comme il l’écrit à la suite, que « l’attentat sans risques dirigé contre le baron serait (…) dans les cordes des révoltés juifs ».
[4]Drumont avait connu l’une et les autres.
[5]Elle ne le sera pas.
[6]Dans La Libre parole du 22 octobre, Drumont avait lancé un concours auprès de ses lecteurs pour que fussent trouvés « des moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux ». Lazare répondait à l’annonce que Drumont avait publiée à la suite : « Si un juif n’appartenant pas au monde de la Finance et ayant, conséquemment, quelque autorité dans la question, désirait faire partie du Jury, nous serions disposés à lui accorder une place ».
[7]Drumont acceptera et la lettre sera publiée dans La Libre parole du 24 octobre (reprise dans Contre l’antisémitisme. Paris, P.-V. Stock, 1898, lui-même dans Juifs et Antisémites, op. cit.). Cette minute offre quelques variantes avec la lettre publiée.
[8]Lazare y collaborait depuis le 27 mars.
[9]Lazare, qui depuis le 20 avait entrepris une polémique dans Le Voltaire avec Drumont, venait d’écrire dans son dernier article : « Il y a près d’un an, vous avez ouvert à la Libre parole un concours sur les moyens de ruiner “la suprématie juive” ; j’ai même demandé à faire partie du jury de ce concours et j’attends qu’on me convoque. Mais le concours est renvoyé chaque mois ; n’est-ce pas une preuve de la confusion d’idées des antisémites ? Il serait temps, cependant, dans l’intérêt même du parti, de dire une bonne fois ce que vous voulez. Je vais encore attendre votre réponse, monsieur Drumont, et si vous ne répondez pas, nous pourrons causer d’autre chose » (« Ce que veut l’antisémitisme », 31 mai. Repris, avec l’ensemble de la polémique dans Contre l’antisémitisme, op. cit. Pour le passage donné, Juifs et Antisémites, p. 111).
[10]Dans « La Quatrième à M. Drumont » (Le Voltaire, 7 juin), il écrira : « Il faut savoir reconnaître ses erreurs. J’avais dit dans mon dernier article que sans doute le concours organisé par la Libre Parole sur les moyens “d’anéantir la puissance juive” était indéfiniment remis. M. Édouard Drumont a bien voulu me le faire savoir, et il m’a écrit que je faisais toujours partie du jury. Je l’en ai remercié, lui déclarant que j’étais fort heureux de cela, et que j’espérais trouver dans les travaux qui me seront soumis une réponse aux questions que je pose » (Juifs et Antisémites, p. 113).
[11]Dans son article de dimanche dernier, « Les Réponses de M. Drumont » (Le Voltaire, 14 juin), Lazare avait écrit : « A propos [du] concours, je demanderai à Drumont l’autorisation d’en parler librement et de donner sur lui et sur ses travaux mon appréciation, bien entendu quand on aura attribué la médaille. D’ailleurs pour l’instant, je suis plongé dans la lecture des manuscrits qu’on m’a confiés, et je ne veux même pas dire, par discrétion, comment je les trouve » (Juifs et Antisémites, p. 117). Il était donc malvenu de reprocher à Lazare, comme le fit Drumont dans La Libre parole du 16, d’avoir le désir de trahir le secret des délibérations. Lazare avait été clair, d’une grande discrétion, avait parlé d’attendre le verdict et, comme il l’écrira dans la conclusion de Contre l’antisémitisme : « C’était, je crois, mon droit absolu, les concurrents n’ayant jamais eu, je pense, l’intention de tenir éternellement leurs travaux cachés » (Juifs et Antisémites, p. 121). Ce qui avait plus vraisemblablement froissé Drumont étaient quelques lignes, du même article, à la suite. Lazare y avait dit à – et de – Drumont : « On vous dit que vous n’avez aucune doctrine, que vous êtes un sociologue à qui la sociologie est surtout étrangère, un historien qui ignorez surtout l’histoire. (…) C’est un esprit qui manque de culture scientifique ; c’est un passionné, un instinctif, mais ce n’est ni un logicien, un dialecticien, ni un philosophe. Il a besoin de voir les choses, d’avoir en sa présence des êtres de chair et d’os, de discuter sur des faits précis. Il faut qu’il travaille sur des documents, et quand ses tiroirs sont vides sa cervelle est vide aussi. Il est incapable de concevoir une idée, d’en saisir la portée, les conséquences et même le contenu. » (Juifs et Antisémites, p. 120).
Dans l’article précité, Drumont, avait commenté l’article de Lazare en ces termes : « Vous êtes dans votre race, dans votre rythme, vous êtes un exemple de ce gougatisme constitutionnel, de ce gougatisme inconscient qui est inné chez les vôtres et que ni la richesse, ni le succès, ni même une valeur intellectuelle très réelle, ne parviennent jamais à effacer. C’est dans le sang (…). Il en est un peu de même de la prétention qu’affiche M. Bernard-Lazare de faire des articles à propos des séances de notre jury. (…) Non seulement, Lazare, je ne vous accorde pas cette autorisation (…), mais je vous défends de la prendre. Si vous passiez outre, je vous mènerais sur un autre terrain que le terrain de la discussion ». Se jugeant offensé, Lazare pria deux de ses amis d’aller trouver Drumont. Le lendemain, les deux hommes, à vingt mètres au commandement, échangèrent deux balles, sans résultat.
[12]La première est donc perdue.
[13]Le Casse-Gueules, par un garçon de bureau eut trois numéros entre septembre et décembre (n° 1, 15 septembre). Publié par Hayard, sous la gérance de Désiré Beaufort, ses articles étaient anonymes. Il se voulait une réponse à La Mâchoire d’Âne (treize numéros entre septembre 1896 et avril 1897 ; n° 1, 1er septembre), qu’il pastichait, revue dirigée par Alfred Mourlon et tout entière dirigée contre Édouard Drumont, dont Mourlon avait été le secrétaire quelques années auparavant. La couverture du Casse-Gueules, signée Matraque, pseudonyme sous lequel se dissimulait Raphaël Viau (auteur avec François Bournand du tristement célèbre Ces bons juifs ! A. Pierret, 1898), représentait Mourlon, en âne, traînant dans du fumier avec de grandes difficultés, un petit chariot portant le nom de sa revue tandis qu’autour de lui le menaçaient des mains armées de gourdins.
[14]Charles Marchal, dit Charles de Bussy, hagiographe de quelques papes, était un habitué de la neuvième Chambre. Il publia, en effet, un nombre considérable de plaquettes et de brochures contre les célébrités du temps et principalement contre Rochefort (Les Impurs du Figaro et Rochefort l’assommeur. Paris, Madré, [1868], L’Inflexible, 12 numéros entre juin et octobre 1868, La Foudre, 6 numéros en septembre 1868, etc.) qui lui valurent quelques procès.
Drumont connaissait d’autant mieux les collaborateurs de Bussy qu’il avait été, avec l’escroc Stamir, l’un d’eux (cf. à ce sujet les Figaro des 7, 8 août, 23 et 24 octobre 1868, Le Temps du 23 octobre 1868 et les pages 324 à 331 des souvenirs d’un ancien ami de Drumont, l’assommeur et directeur de L’Antijuif Jules Guérin : Les Trafiquants de l’antisémitisme. Paris, Félix Juven, 1905). Une série d’articles sur le sujet dans La Mâchoire d’Âne (« Marchal et Drumont », n° 1 et 2, 1er septembre et 1er octobre, « L’Agent Marc », n° 3, 1er novembre), nous en dit un peu plus. Elle nous révèle que Drumont collaborait à L’Inflexible sous les pseudonymes de P. de Marcilly et de Pierre de Montrouge et qu’après une brouille au centre de laquelle se trouvait une charmante jeune femme, Bussy, en 1870, fondera trois revues pour attaquer Drumont : La Tante Duchêne, La Mère Duchène et La Mère Michel.
[15]Ce Casse-Gueules était en effet d’une extrême violence et s’autorisait tous les coups. Les plus infâmes ragots – touchant pour la plupart à la sexualité – en formaient l’essentiel.
[16]Si le second numéro n’en avait pas parlé, le premier y avait consacré cinq pages. On pourra en mesurer l’ignominie à la suite de cette lettre.
[17]Dans son troisième numéro, Le Casse-Gueules renchérira dans l’immonde. Dans l’article « Le Scandale du faubourg Montmartre. Encore la bande Judas, Mourlon & Cie », les anonymes rédacteurs raconteront que Lazare, Mourlon et un troisième personnage, Odelin (Sacavin dans Le Casse-Gueules), organisaient, avec de jeunes garçons, des parties fines dans un établissement de bains du faubourg Montmartre. A la fin de ce même numéro, un autre article, « Mourlon & Dreyfus », évoquait la « brochure inepte », la « monstrueuse apologie » que venait de publier « un juif (…) pour établir que le traître Dreyfus est innocent et pour réclamer la révision de son procès ». Il s’agit, on l’aura compris, du premier mémoire que Lazare venait de publier à Bruxelles chez la Veuve Monnom.
[18]Les “Kamtchatkas”. Paris, Bibliothèque-Charpentier, 1895. On y pouvait lire : « Cet autre un peu à gauche, à tête de crapaud, avec son monocle vissé, c’est Adolphe Judas : il bave sans talent sur nous tous. Il souffre de sa contondante origine ; il discute sans trêve la question des races, prône l’anarchie, qui supprime les différences de sang, et écrit pour son compte de lamentables légendes pillées un peu partout » (p. 75).
[19]Georges Bonnamour, romancier et critique, ancien directeur de La Revue indépendante, s’était fait une solide réputation de démolisseur. Son article « Le Fiasco symboliste » (La Revue indépendante, n° 57, juillet 1891) avait fait beaucoup de bruit, comme ses attaques à répétition contre de nombreux jeunes poètes dont l’infortuné Louis-Pilate de Brinn’gaubast (voir à ce sujet la préface à l’édition de son journal par J.-J. Lefrère et Ph. Oriol publié en 1997 chez Horay). Bonnamour, antisémite notoire, s’illustrera pendant l’Affaire par quelques prises de positions antidreyfusardes tapageuses.
Dans son roman Le Trimardeur, publié en feuilleton d’octobre 1894 à janvier 1895 dans L’Écho de Paris et en 1895 chez Dentu, Lazare apparaissait sous le nom de Katz. Dans le passage cité, manquait, entre sophiste et rongé, cette autre amabilité : « intelligence subtile et déliée, mais à fleur d’idées seulement, avec un arrière fond d’envie et de fiel ».
[20]Le chef de la Sûreté.
[21]Le Voltaire et Le Paris.
[22]S’il n’est pas nécessaire de réfuter les innommables accusations qui précèdent, il faut mettre en regard de cette autre un document édifiant. Il est réjouissant et riche d’enseignement de constater que quinze jours (le 29 août) avant la parution de ce premier numéro du Casse-Gueules, le mouchard Aspic, dans son rapport n° 200-14045, écrivait à son chef, à la Préfecture de Police : « La préface du premier numéro a été faite par Bernard Lazare. Mourlon y a fait quelques coupures parce que Bernard Lazare allait un peu loin et assimilait les antisémites aux anarchistes et réclamait contre eux et leurs chefs l’application des dernières lois votées par les chambres ». De même, il faut mettre en regard cet autre rapport (n° 328598), du même Aspic, daté du 20 7bre : « C’est ce [Bernard Lazare] (… ) qui a procuré à Mourlon le commanditaire tant cherché pour la fondation de “La Mâchoire d’Âne”, mais en homme pratique Bernard Lazare fait en laissant à Mourlon l’entière direction et responsabilité de la publication, s’est assuré auprès du commanditaire la part la plus grosse des bénéfices. Le commanditaire donne 600f par mois et par numéro, 300f passent dans les mains de Bernard Lazare qui, dans cette affaire, ne donne qu’un appui moral et 300f dans celles de Mourlon qui garde à sa charge les frais d’impression, l’envoi des numéros ce qui coûte 175f au moins (…) » (PP. B/A 958) avec ces quelques lignes extraites de l’article « Compte d’Apothicaire » (Le Casse-Gueules, n° 2, octobre 1896), paru une dizaine de jours avant le rapport cité : « Le Juif qui donne à Mourlon trois cents francs pour faire paraître la Mâchoire sait-il que le numéro de ce torche cul ne revient qu’à cent cinquante francs ? Dans tous les cas, s’il l’ignore, moi je le sais, et je lui donne le renseignement gratis ». Quelle belle et troublante communion d’esprit !
[23]Mourlon, donc.
[24]Guérin, l’ancien ami de Drumont, raconte dans ses mémoires une discussion avec Raphaël Viau au cours de laquelle le journaliste en veine de confidences lui raconta que « c’est bien Drumont et Devos [administrateur de La Libre parole] qui ont fait publier cette brochure qui a eu quelques numéros, et c’est moi qui en ai fait la rédaction, d’après les notes que Devos me remettait de la part de Drumont » (op. cit., p. 321). Pour preuve, Guérin publie en fac-similé la première page du synopsis manuscrit de l’article « Le Scandale du Faubourg Montmartre… » (op. cit., p. 322).
[25]Ainsi finit la minute de cette lettre.