Elle nous avait échappé… En 2013, a paru une biographie de Pierre Biétry, militant socialiste devenu le leader des Jaunes (la Fédération nationale des Jaunes de France), ce syndicat nationaliste, antisocialiste et antisémite que le patronat avait intérêt à faire vivre, et à ce titre compagnon de route – un temps – de l’Action française. De Biétry, importante figure de l’antidreyfusisme au tournant du siècle, fondateur aussi de l’éphémère Parti socialiste national, nous ne connaissions finalement que les pages passionnantes que lui avait consacrées Zeev Sternhell et il est heureux de voir enfin paraître la biographie intellectuelle de ce personnage oublié et pourtant essentiel. Il fut un de ceux, on s’en souvient peut-être, qui, en 1908, au lendemain du procès Grégori, vint à la Chambre soutenir avec brutalité l’Action française dans sa campagne contre ce qu’elle considérait comme une falsification de l’article 445.
Christophe Maillard nous dit, dans ce petit ouvrage documenté, reposant sur un sérieux travail de dépouillement d’archives, la vie étonnante de ce personnage. On reste toutefois un peu sur sa faim en ce qui concerne son adhésion au socialisme et ses positions relatives à l’affaire Dreyfus de 1898 à 1908. Si le débat à la Chambre de 1908 est évoqué, il l’est très rapidement. Quant à sa période dreyfusarde, elle l’est à peine et assez inexactement. Christophe Maillard écrit juste, en un rapide résumé, faisant allusion à un article que Biétry donna à la radicale La Frontière, début mars 1898, qu’il montra « une attitude prudente, entre dreyfusard et antidreyfusard » (p. 48). Il fait toutefois allusion, plus loin dans son ouvrage et sans en exploiter l’information, au fait qu’en 1908, un certain Koscinsko, délégué du parti socialiste, rappela aux amis de Biétry une conférence qu’il avait faite avec lui en 1898 à Besançon « pour défendre l’innocence de Dreyfus » (p. 139). Quid ? En fait, ce que nous dit pas Christophe Maillard, c’est que si en effet Biétry, après avoir été militant radical, passa au socialisme et eut une importante activité au sein du Comité d’union socialiste (CUS) de Besançon, il fut tout d’abord membre du POSR d’Allemane avant de passer au PSR de Vaillant ainsi qu’en témoigne une lettre de Biétry que notre auteur ne cite pas et que publia Le Socialiste (numéro du 21 octobre 1900). Radical au début de 1898, Biétry avait adhéré dans le courant de l’été au POSR et avait suivi Allemane, Charnay et quelques autres, dreyfusards de la première heure. C’est sans doute ainsi qu’il était devenu dreyfusard et avait pu prendre la parole dans les réunions publiques pour défendre l’innocence de Dreyfus. Il collabora ainsi aux deux journaux du POSR, Le Cri du Peuple et Le Parti ouvrier. Il est dommage que Christophe Maillard ne se soit pas tourné vers ces deux publications. Il aurait pu y affiner le portrait du Biétry socialiste et surtout y découvrir le Biétry dreyfusard. Dans le numéro du 17 septembre 1898 du Parti ouvrier, Biétry avait en effet publié un lyrique « Hymne de révolte » dans lequel il écrivait : « Ah ! malheur ! nous serons donc toujours les vaincus ? Les soudards ont arraché Esterhazy au châtiment mérité ; ils ont disculpé l’espion, le faussaire, l’escroc, l’enfant prodigue de l’état-major, pourquoi ? Parce qu’à lui seul il personnifie le génie de tous les vices inhérents aux classes dirigeantes de notre société en décadence. / Ils le protègent et le sauvent, et pour arriver à ce résultat lamentable, ils immolent, comme dans les temps antiques et barbares, une victime innocente sur l’autel de la Fourberie. Haro sur le Juif ! / Puissent les gémissements, du misérable hébreu qui agonise à l’île du Diable, ne jamais troubler la digestion du beau monde, canaille et rosé qui l’y envoya. »
On regrettera aussi que toute la question de la figure du chef au sein du mouvement Jaune et le véritable culte de la personnalité qu’il mit en place ne soient pas évoqués, comme ne le sont pas, revenant à l’Affaire, sa participation à l’Hommage national à Mercier, ses articles de 1908 contre l’arrêt de la Cour de cassation dans Le Jaune et L’Autorité, ou les procès que Dreyfus intenta à son journal. Mais quoi qu’il en soit, ce livre constitue un travail important en ce qu’il nous livre le premier véritable portrait de Biétry même si ce portrait demeure encore bien incomplet et de ce fait parfois un peu flou.
Christophe Maillard, Pierre Biétry (1872-1918). Du socialisme au nationalisme, ou l’aventure du leader des Jaunes à la Belle Époque, Université Technologique de Belfort-Montbéliard, Sciences humaines et technologies, 2013, 200 p. 14 €.
Bonsoir,
je découvre seulement ce mardi votre analyse pertinente.
J’ai négligé cette piste allemaniste : cela m’intéresse en effet. Par contre, j’avais plus d’éléments sur Dreyfus et Biétry dans ma thèse, éléments enlevés après pour des raisons de volume.
J’ai surtout voulu mettre en avant l’antisémitisme de Biétry en général (après 1901).
Votre lecture est en tous cas fort riche !
Merci
L’auteur, Christophe Maillard
Bonjour,
je reviens vers vous après avoir effectué quelques recherches en plus : Biétry apparaît comme vaillantiste dès 1898 (après le printemps) dans les sources que je possède.
Sur Dreyfus , je peux vous envoyer ma thèse par mail mais pas sur le blog car c’est trop lourd.
A suivre donc, bien cordialement,
Christophe Maillard