Un roman qui imagine comment, pour la cause, le fumiste Buronfosse, main armée du nationalisme et de l’antisémitisme, assassina Zola. On y croise toute la fine fleur de l’antidreyfusisme en un roman qui prend quelques belles libertés avec l’histoire et aurait pu être amusant et plutôt agréable à lire si l’auteur ne s’était pas senti obligé de peindre – rigoureusement insupportable et d’une stupidité qui donne une idée assez précise de ce que peut être l’infini – ce portrait de Dreyfus , variation en surenchère de la scène, déjà tout à fait idiote, que nous avait laissée Armand Lanoux dans son Zola ou la conscience humaine.
« Le martyr dans toute sa physionomie, n’offrait rien, pas la moindre aspérité à laquelle l’imagination pouvait se raccrocher. La France entière était peuplée d’Alfred Dreyfus. Insignifiant, creux comme un radis, le costume de héros était bien trop large pour lui »… « Fanatique de l’uniforme et de l’ordre établi, cet Alsacien de confession juive vouait à la grande muette une admiration sans borne. Pour elle, il aurait offert sa vie et celle de des enfants, sans même hésiter. Avait-elle été la principale cause de sa ruine ? Il ne pouvait pas l’admettre. Il n’avait à la bouche que les mots de patrie, de devoir, de vertu. L’armée était à son image : une victime et non pas une criminelle. À tout bien considérer, Dreyfus était militaire avant d’être Juif. Il était un officier avant d’être un homme. Froid, coupant, affichant avec ostentation son mépris pour les civils – qu’il nommait avec dégoût les Pékins –, il aurait été capable de se dénoncer lui-même à sa hiérarchie, si cela avait pu la sauver d’un quelconque danger »… « Au vu du personnage – qui venait de surcroît de mendier la grâce de sa liberté auprès du président Loubet, tout en restant de fait coupable –, [Zola] ne put s’empêcher de se sentir floué. Une noble cause méritait un héros ayant les dimensions d’une figure de proue ! Il n’avait eu, en guise d’idole, qu’un officier à la philosophie d’adjudant, un prisonnier aux allures de gratte-papier obscur. Lui ? Vendre des secrets militaires aux puissances ennemies ? Sa loyauté enfantine, qui confinait à l’aveuglement et à la bêtise, prouvait à elle seule l’absurdité de l’accusation »… « Quant à ceux qui avaient affirmé que Dreyfus avait trahi la France contre de l’argent, ils ignoraient apparemment que le marchand de crayons s’était marié avec une certaine Lucie Eugénie Hadamard, la fille d’un diamantaire très en vue qui organisait parmi les plus somptueuses réceptions de Paris. »
Jean-Paul Delfino aurait gagné à lire le « Dreyfus dans l’Affaire et dans l’histoire » que le regretté Jean-Louis Lévy avait donné à la réédition de La Découverte de Cinq années de ma vie. Il aurait ainsi évité de touiller ces quelques lignes tout aussi bêtes que nauséabondes… Et il aurait pu aussi lire ce petit paragraphe d’une courte lettre que Zola écrivit à Vaughan le 13 mai 1902, et que L’Aurore publia le lendemain :
Jamais Alfred Dreyfus n’a signé de recours en grâce, jamais il n’a reconnu être coupable même d’une incorrection. Aujourd’hui comme autrefois, j’affirme sa complète innocence et j’ai gardé pour sa personne la plus grande admiration et la plus grande tendresse.
Et voilà comment on écrit l’Histoire… Tout cela est irritant. Parce qu’on sait bien que le lecteur a peu de chance d’aller vérifier les sources historiques.
Entre ignorance et bobards.
Il y a des ministres qui feraient bien entre éducation et culture de favoriser et l’éducation et la culture.