Emmanuel Pierrat, avocat, conservateur du superbe musée du Barreau de Paris où, dans l’exposition permanente est présente l’Affaire à travers quelques pièces choisies avec soin dont une magnifique allégorie de Renouard (voir à la fin de ce post), est aussi un auteur d’une rare prolixité : 6 ouvrages en 2017, 12 en 2018 et déjà 11 cette année dont un Les Secrets de l’affaire « J’accuse », juste sorti des presses de CPI Bussières pour Calmann-Lévy.
Le lecteur qui fréquente régulièrement l’Affaire n’y apprendra rien de nouveau et rien relativement à ce que promet le titre et qu’à vrai dire nous connaissons déjà. Il prendra juste plaisir à lire un récit rondement mené, très agréablement écrit, une narration factuelle de l’Affaire de la découverte du bordereau à l’attentat Grégori. Emmanuel Pierrat a d’ailleurs choisi un angle intéressant pour conduire cette narration, celui – en bonne confraternité – de Labori, en donnant à l’avocat toute la place qu’il mérite en effet. Le seul problème est que n’ayant travaillé que sur la base de quelques ouvrages parmi la vertigineuse bibliographie de l’Affaire, et ayant eu essentiellement recours, pour évoquer l’éclatement du camp dreyfusard après Rennes, au plus que problématique livre de la veuve de l’avocat, Emmanuel Pierrat livre sur ce point une narration partielle, partiale et donc la plupart du temps inexacte. Il aurait eu bénéfice, pour avoir une autre version, et assurément, aussi, pour éviter de tomber dans quelques pièges grossiers, de poser quelques questions auxquelles nous avons la réponse depuis longtemps et de présenter comme des faits établis quelques assertions que commandaient à Labori ses frustrations et sa colère, à avoir recours plus souvent aux souvenirs de Mathieu et à lire et à utiliser les Carnets de Dreyfus publiés en 1998. Il aurait eu encore bénéfice, pour éviter cela, à avoir recours à la grande biographie de Dreyfus de Vincent Duclert, au Émile Zola, un intellectuel dans l’affaire Dreyfus d’Alain Pagès et à L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours de Philippe Oriol.
Et justement à propos de ces questions, et pour conclure, donnons la réponse à celle qu’il se pose p. 296 à propos de l’antisémitisme de Labori : « Est-ce la colère rentrée, entretenue, débordante qui lui fait écrire de telles vilenies ? La recherche d’un bouc émissaire qui évite de se remettre en cause ? Ou une évolution de pensée ? » Une réponse que donne Labori lui-même (elle se trouve dans le même manuscrit que celui qu’il cite) et qui a été publiée par Oriol en 2003 dans son Bernard Lazare et reprise en 2014 dans son Histoire. Labori confessera en effet :
Dans ce temps je ne croyais rien de plus odieux [que l’antisémitisme]. Je partageais certainement les sentiments de Zola dont Reinach, dans son livre (Hre de l’affaire Dreyfus t. III, p. 356), rapporte les articles. La preuve c’est qu’au procès Zola, dans ma plaidoirie, je dis très naturellement : « L’antisémitisme, cette odieuse opinion ».
Je ne comprenais simplement rien à la chose. Aujourd’hui jai vu, j’ai réfléchi, j’ai compris. Je ne puis approuver à coup sûr l’antisémitisme sanguinaire, celui qui a dicté à Drumont certains articles où le fanatisme va jusqu’à la cruauté et à la barbarie. Mais il est impossible de nier que les juifs constituent une nation dans la nation, un peuple particulier, qui imprudemment et précautionneusement affranchi en France par la Révolution, tend non pas même à nous absorber, mais à nous dominer.
La question juive se pose donc et elle est la plus grande de notre époque.
À cet égard il faut reconnaître que Drumont a été un admirable précurseur. Certes, j’en parle sans partialité car Drumont, que je ne connais pas, a écrit sur moi les articles les plus violents et les plus injustes, je les relisais encore hier. Mais cela ne saurait m’empêcher d’apercevoir désormais la part considérable de vérité que son œuvre exprime. Le premier volume de la France juive dont je n’avais pas pu lire cent pages il y a seize ou dix-sept ans, tout cela me paraissait faux et exagéré, m’est tombé par hazard sous la main à la campagne pendant ces dernières vacances et je l’ai « dévoré ». C’est pour moi aujourd’hui un des plus beaux livres que je connaisse.
[…]
L’affaire Dreyfus m’a éclairé parce qu’après avoir cru à un beau mouvement d’humanité j’ai vu les juifs en faire une affaire juive. Les intrigues de Rennes, la grâce, l’amnistie, l’infâme attitude de la famille Dreyfus, de Reinach, de presque tous les « gros juifs » après Rennes et spécialement à mon endroit, la politique de M. Waldeck-Rousseau, instrument servile des juifs, l’anticléricalisme sectaire et violent, […] tout cela n’a pas d’autre explication.