Hier, 18 octobre, il a été question du roman de Robert Harris (dont nous avons précédemment parlé ; voir ici) dans l’émission de Michel Field sur la chaîne Histoire : « Historiquement show ». Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, en a fait une présentation qui indique bien une fois encore le problème que pose ce livre, tout autant formidable roman que détestable livre sur l’Affaire.
La chose est donc entendue et prend force de fait et de vérité historiques : Picquart se sépara de Dreyfus après la grâce et refusa pour cela de le voir, ne l’acceptant que « très très tard, après la fin de l’Affaire ». Encore une fois tout cela est inexact : Picquart regretta certes la grâce mais ne le regretta qu’à partir de 1900 quand, avec Labori et dans un entraînement mutuel, les deux amis se mirent à soupçonner puis à accuser par voie de presse la famille Dreyfus d’œuvrer en secret pour faire passer l’amnistie de « leur ami » Waldeck-Rousseau. Nous avons précédemment ici même publié cette lettre inédite de Picquart à Dreyfus du 19 novembre 1899, deux mois après la grâce donc, qui montre bien que les relations entre Picquart et Dreyfus étaient encore bonnes à ce moment et qu’en aucun cas le premier ne reprochait au second son acceptation de la grâce. Redonnons-la une nouvelle fois :
Il faudrait revenir au texte, et en l’occurrence aux Carnets de Dreyfus, pour voir que les deux hommes se virent en effet à plusieurs reprises et voir, surtout, ce que fut précisément la conduite de Picquart à l’égard d’un homme auquel il niait tout droit d’agir suivant d’autres méthodes que les siennes. Enfin, nous avons tout de même légèrement progressé puisqu’il n’est plus question, dans la présentation par ailleurs remarquable de Thierry Lentz, de l’ingratitude de Dreyfus (il aurait négligé de rendre visite à « son sauveur » et de le remercier nous dit Harris) mais du simple refus de Picquart de voir l’homme qui avait donné son nom à l’Affaire et n’avait pas été capable d’en comprendre et le sens et les enjeux.
Qu’on comprenne bien que la chose n’est pas sans importance et n’est pas un « pinaillage » d’historien. Sans même prendre en considération la question essentielle de la vérité historique et du respect qui lui est dû, ces faits ouvrent le débat sur ce que fut le dreyfusisme (ou plutôt les dreyfusismes) et sur la manière dont à un moment, une partie des défenseurs de Dreyfus et parmi les plus importants, Picquart et Labori en tête, crurent bon de défendre des points de vue qui les faisaient rejoindre, à sa grande jubilation, l’autre camp. En témoigne d’ailleurs cette carte postale qui fut éditée au moment de la brouille Picquart-Labori/Reinach-Lazare-Dreyfus en novembre 1901 :
Ils posent aussi la question essentielle, qu’avec un optimisme inconsidéré on avait pu croire réglée, de qui fut Dreyfus et de ce que fut son rôle et sa perception dans et de sa propre affaire. Relisons (ou lisons ?) donc ses Carnets, relisons (ou lisons ?) la biographie de Dreyfus par Vincent Duclert, et revenons à l’histoire.
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