7Nous reprenons ici, comme nous l’avons fait pour la correspondance de Lazare avec les Dreyfus (ici) et celle avec Drumont (ici), un document que nous avions publié en 1999 dans le volume Bernard Lazare anarchiste et nationaliste juif (Honoré Champion), aujourd’hui difficile à trouver : le mémoire que Lazare écrivit pour Reinach et à sa demande au sujet de son engagement et de son action dans l’Affaire. Nous en avons repris les notes, pour les actualiser et en corriger quelques points dont nous n’avions alors pas les réponses.
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Mémoire de Bernard Lazare sur ses activités pendant l’affaire Dreyfus
Le 26 février 1893[1] Jean Grave est déféré devant la cour d’assises pour provocation au pillage, au meurtre, au vol, à l’incendie, pour son livre La Société mourante et l’anarchie paru en 1892 chez Stock (le prétexte des poursuites était une réédition populaire faite par le journal La Révolte, journal de Grave)[2].
Grave qui a 48 ans maintenant est un ancien cordonnier. Ce sont les idées de Reclus qui influèrent sur lui et c’est grâce à lui qu’il entra dans la presse militante anarchiste. Il écrivit au Révolté de Genève et à La Révolte qu’il dirigea. En relation aussi avec Kropotkine.
Au moment de son procès Grave que j’avais connu en même temps qu’Élisée Reclus, me cita comme témoin à décharge et je témoignais en sa faveur[3]. C’est Bulot[4] qui prononça le réquisitoire. Grave fut défendu par Saint Auban[5]. Grave fut condamné à deux années de prison.
C’est au moment du procès de Grave que je publiais quelques articles de protestation dans le Journal notamment un contre Lepelletier qui demandait la tête de quelques écrivains[6].
Fénéon avait quand je le connus, en 93, 32 ans. Je le connus à l’En Dehors (sic) dirigé par Zo d’Axa[7] où il avait donné quelques notes d’art[8]. Nous nous étions d’autres fois rencontrés mais sans avoir de relations. Il avait été mêlé au mouvement symboliste, avait publié des articulets de critique littéraire dans la Revue indépendante de Dujardin[9], puis collaboré aux Entretiens politiques et littéraires que je rédigeais avec Henri de Régnier, Paul Adam et Francis Vielé-Griffin (un de mes premiers abonnés avait été Du Paty de Clam[10]). Au moment du développement anarchiste, Fénéon avait suivi le mouvement avec curiosité, comme l’avaient fait beaucoup d’entre nous. Dans les bureaux de l’En Dehors (sic), défilait tout le personnel théoricien et actif de l’anarchie – j’y ai vu Émile Henry[11] –, c’est pour cela que Fénéon, comme moi le fréquentâmes. C’est après l’affaire Henry que Fénéon dénoncé par sa concierge comme ayant des relations avec des anarchistes – notamment avec Cohen[12] – fut arrêté. Une perquisition faite dans son bureau – il était employé au ministère de la guerre – amènera la découverte de quelques cartouches dans son pupitre. Il fut violemment pris à parti dans la presse. Je le défendis dans un article du Journal (avril ou mai 1894)[13] où je protestais contre les accusations de ceux qui le présentaient comme un propagandiste par le fait[14]. Fénéon fut compris dans le procès des Trente avec Grave, Paul Reclus, Pouget, Alexandre Cohen, Matha, Constant Martin, Sébastien Faure, etc. Fénéon fut défendu par Demange. Il fut acquitté comme tous les écrivains impliqués dans ce procès où ne furent condamnés que les pseudo-anarchistes convaincus de vol : Ortiz, Chericotti et Bertani.
Dans la deuxième quinzaine de février 1895, je reçu chez moi la visite de M. Joseph Valabrègue, beau-frère du capitaine Dreyfus. J’avais connu jadis la famille Valabrègue, à Carpentras où j’avais des parents. M. Valabrègue se présentait chez moi avec deux lettres d’introduction de ses parents qui le rappelaient à mon souvenir (souvenir d’adolescent) et une lettre d’Alfred Naquet alors député. M. Valabrègue me dit qu’il était le beau-frère du capitaine Dreyfus. Je lui exprimais aussitôt ma sympathie et la conviction que j’avais de l’erreur commise et de l’innocence du capitaine. La campagne m’avait éclairé, et de tous les faits suivis au jour le jour, analysés et discutés, la certitude était née en mon esprit que l’affaire était le résultat d’une machination antisémite [c’est encore mon opinion aujourd’hui, tout en tenant compte des éléments que je n’avais pas à ce moment et du fait que la machination n’a pas été originelle, mais secondaire][15]. M. Valabrègue me demanda alors si je voulais recevoir M. Mathieu Dreyfus frère du capitaine plus au courant que lui de toute l’affaire. J’y consentis volontiers et le lendemain ou le surlendemain M. Valabrègue revint chez moi avec M. Mathieu Dreyfus.
J’ai su par la suite les circonstances qui avaient amené chez moi Valabrègue et Mathieu. Avant son départ pour St Martin de Ré, Alfred Dreyfus avait été détenu à la Prison de la Santé où venaient le voir les membres de sa famille. Le Directeur de la prison [il s’appelait Bastide[16] je crois (à vérifier) et est mort depuis] paraissait bienveillant, comme tous ceux – sauf Deniel[17] – qui ont approché le capitaine. Un jour alors qu’une personne de la famille (est-ce Madame Dreyfus, Madame Valabrègue, Madame Mathieu, ou une autre, c’est à vérifier[18]) protestait de l’innocence du malheureux, disait qu’ils étaient prêts à tout pour le démontrer, et parlait de leur isolement, du manque d’appui qu’ils trouvaient, le Directeur leur dit : deux hommes seulement pourraient prendre la cause du capitaine Dreyfus en mains : Drumont (qui doit être écarté : pour cause) et Bernard Lazare. Pourquoi mon nom fut-il donné par ce Bastide que je ne connaissais pas. Je suppose qu’il avait eu à la Santé pendant les années précédentes des anarchistes et des révolutionnaires qui avaient parlé de moi. Pendant en effet toute la terreur anarchiste j’avais défendu autant qu’il m’était possible de la faire et notamment dans le Journal les anarchistes traqués, j’avais pris la défense de Fénéon accusé de détenir des explosifs dans son bureau du ministère de la guerre, j’avais témoigné en faveur de Grave à la cour d’Assises de la Seine (alors que Grave était défendu par St-Auban), et j’avais violemment polémiqué contre Lepelletier qui, dans l’Écho de Paris demandait la tête des intellectuels (le mot n’était pas encore dans la langue journalistique[19]) qui défendaient les dynamiteurs. En tout cas, ce fut après cette désignation que Valabrègue qui se souvint de mon nom et de mes parents de Carpentras leur demanda une introduction pour lui et vint me voir.
C’est donc de fin Février 1895 que datent mes rapports avec Mathieu Dreyfus. Le capitaine n’était pas encore arrivé à l’Île du Diable que je me décidais à tout faire pour l’en arracher. A ce moment-là trois personnes s’intéressaient activement au sort du malheureux : Demange, Mathieu et moi. Je n’ai vu Demange qu’après la publication de ma première brochure (celle de Bruxelles), publication qu’il a connue seulement lors de la parution, c’est par Mathieu que j’ai été mis au courant de tout, par ses récits d’abord, par la communication des notes prises par son frère sur les témoignages, par la communication des charges de l’acte d’accusation, des témoignages, des procédés inquisitoriaux, de l’existence enfin de la pièce secrète [vous connaissez la façon dont elle fut connue – Félix Faure, docteur Gibert – Demange et un vieil avocat[20]]. J’ai suivi au jour le jour les recherches de Mathieu et c’est ainsi que j’ai eu les détails sur l’affaire Millescamps[21] par exemple, sur la filature exercée sur l’employé du ministère de la guerre dont le nom commençait par un D[22].
Dans le courant de l’été 1895, j’écrivis une première brochure un exemplaire manuscrit doit être encore dans les mains de Mathieu). J’y prenais dogmatiquement toutes les charges du procès, je les discutais et j’établissais par les seuls documents que je possédais, logiquement et irréfutablement l’innocence de Dreyfus. Si on reprenait ce travail initial on y trouverait tout le fond de l’affaire Dreyfus[23]. Cette brochure achevée j’en remis un double à Mathieu et j’en donnais lecture chez lui (il residait alors 64 rue de la Victoire) –, à Madame Lucie Dreyfus que je voyais pour la première fois. Il fut décidé que j’attendrais un moment favorable pour publier cette première protestation. Je devais attendre un an. Je crois que j’aurais marché plus tôt si Mathieu n’avait pas été retenu par Maître Demange dont la prudence redoutait toute manifestation. A plusieurs reprises je voulus publier. Cette année-là (Août 95 à Août 96) n’apporta aucun renseignement à Mathieu. Ce fut pu piétinement sur place, des pistes policières suivies et abandonnées, ou qu’on persista à suivre[24], ce fut une année de travail de la part de Mathieu avec Léonie la voyante du docteur Giber (sic) [demandez détails à Mathieu][25].
Au mois de mai de cette année 96 à la suite d’un article de Zola publié par le Figaro j’entrepris une campagne contre Drumont, dans le journal Le Voltaire, campagne terminée par un duel avec Drumont [voir brochure Contre l’Antisémitisme[26]] et par les marchandages de M. L. L. Klotz[27]. J’ai vécu cette année-là dans l’attente et l’impatience, dans la fièvre d’agir. Je n’ai eu aucun confident de mes actions, ni de mes désirs.
C’est à l’automne 96, que la campagne s’amorça. Vous savez comment. Un article de J. (sic) Calmette dans Le Figaro, article qui avait pour origine des conversations de Calmette avec l’ancien gouverneur de la Guyane parut à Mathieu annoncer le moment favorable[28]. Il s’entendit avec un journaliste anglais[29] [demandez-lui des détails] et parut la fausse nouvelle de l’évasion de Dreyfus qui enflamma la presse[30]. Suivirent les articles du Jour (campagne arrêtée par Vaughan qui flairait une opération malpropre de Vervoort, ce qui était en effet le fond de la campagne de ce personnage[31]) celui de L’Autorité[32], enfin les articles de L’Éclair[33] qui donnaient de si précieux aveux et confirmaient des choses que nous savions[34], en même temps qu’un texte tripatouillé du bordereau [il serait peut-être intéressant ce qu’on n’a pas fait encore d’étudier ce tripatouillement du texte. Le texte fut-il tripatouillé pour qu’on n’osa (sic) pas le communiquer exactement à L’Éclair ou fut-il tripatouillé dans un sens spécial et ce tripatouillement avait-il un but].
J’étais à ce moment-là à Nîmes. C’est là que je reçus une lettre de vous à laquelle je répondis. De là datent nos relations[35]. J’eus une correspondance avec Mathieu et je rentrai à Paris. La publication de ma brochure fut définitivement décidée, mais je voulus la modifier et je pris pour base du travail nouveau les articles de l’Éclair.
Quand la brochure définitive fut terminée j’en donnai lecture encore à Mathieu, à Madame Dreyfus et à Monsieur Hadamard que je voyais pour la première fois.
Sur ces entrefaites j’étais venu vous voir et c’est à ma seconde visite que je vous entretins de mes projets. Après moi, vous avez été le premier dreyfusard et le plus ardent.
En octobre 96 je partis pour Bruxelles où je voulais faire imprimer ma brochure pour éviter les indiscrétions possibles dans les imprimeries parisiennes. Elle fut imprimée par Mme Vve Monnom [32 rue de l’Industrie à Bruxelles] et tirée à 3500[36] exemplaires que je décidai d’envoyer de Paris, de Bruxelles et de Bâle, en enveloppe fermée à 0,50 d’affranchissement [le coût des brochures fut de 186 francs, il faut ajouter à cela 1500 f de mise sous bande, sous enveloppe et affranchissement. Ce fut-là la formidable dépense qui fit soupçonner l’existence d’un syndicat !][37]
Au retour à Paris, avant le tirage de la brochure et lorsque j’en eus les bonnes pages je me préoccupais de savoir si la presse n’organiserait pas l’étouffement. C’était ma seule préoccupation. Me poursuivrait-on sous différents prétextes peu m’importait, au contraire j’estimais que si on me poursuivait la cause du vrai serait ainsi mieux servie.
Je fis une démarche auprès de Périvier que je trouvai très favorable. J’en fis une auprès de de Rodays[38]. De Rodays me répondit qu’il avait toujours été convaincu de l’innocence de Dreyfus. Je ne lui demandai qu’une chose : donner une analyse de ma brochure pour qu’elle ne fut (sic) pas étouffée. Il hésita et me dit qu’il ne voulait pas en parler le premier.
Je me décidai à aller voir Rochefort, j’avais pensé au Journal, à l’Écho de Paris, mais je préférais m’adresser à l’Intransigeant. Quand ma visite fut décidée, Mathieu qui m’avait souvent parlé de Forzinetti et qui m’avait dit quelle avait été sa conduite[39] me demanda si je voulais que Forzinetti m’accompagna (sic). J’acceptai et vis pour la première fois Forzinetti, le matin d’Octobre 96 où il vint avec moi chez Rochefort. Je vis Rochefort, causai avec lui, lui demandai s’il voulait voir Forzinetti que j’avais laissé dans la voiture qui attendait devant la porte. Rochefort reçut très bien Forzinetti, écouta tout avec grand intérêt. Je ne trouvai chez lui qu’une résistance médiocre. Toute sa croyance en la culpabilité de Dreyfus reposait sur les racontars [jeu, femmes, etc.] qu’on lui avait rapportés. Il était cependant assez disposé à croire que Charles Dupuy avait commis d’abominables gredineries. Somme toute il se demandait intérieurement de quel côté il polémiquerait. Il me promit cependant qu’un compte rendu impartial de ma brochure serait fait dans l’Intransigeant. J’ai su depuis qu’un homme avait empêché Rochefort de marcher contre les bourreaux de Dreyfus : c’est Vaughan[40] qui lui conseilla de ne pas défendre le condamné. L’Intransigeant aussi publia une analyse plutôt malveillante[41]. Cependant Rochefort n’était pas convaincu de la culpabilité de Dreyfus. Quelques jours après la publication de ma brochure je le vis à la réunion du Comité pour Cuba libre dont je faisais partie et qu’il présidait. A la fin de la séance Bauer[42] et Cipriani[43] qui étaient là me dirent toute leur sympathie pour moi et pour la cause que je défendais. Bauer interpella Rochefort et celui-ci dit qu’il trouvait très courageux de ma part d’avoir marché, mais ajouta-t-il : « jamais on ne remontera ce courant » et comme Bauer insistait, il s’éclipsa très gêné[44].
La Petite République fut plus violente, j’y fus insulté par le sieur Zévaès[45], j’écrivis immédiatement à Millerand, lui disant que je m’adressais à lui pour protester. Millerand ne me répondit pas, mais toute attaque cessa. J’avais vu, avant les attaques de La Petite, Jaurès. Forzinetti voulut encore m’accompagner. Je trouvai Jaurès très froid, presque hostile, ou il n’avait pas lu, ou il ne trouvait pas que logiquement j’avais raison, ou il hésitait pour des raisons politiques. J’ai eu l’occasion cette année-là de le revoir, je lui ai même écrit, je n’ai pu lui faire comprendre l’importance sociale de la question, ni même son intérêt capital pour la cause socialiste.
Je ne dis rien des injures et des insultes, ni des accusations[46]. Rien de l’attitude de la presse qui me fut dès ce jour fermée. Du jour au lendemain je fus un paria – un long atavisme m’ayant préparé à cet état je n’en souffris pas moralement. Je n’en souffris que matériellement[47]. Vous savez que cela ne m’a pas découragé, ni arrêté dans l’œuvre entreprise.
Toute l’année 1896-97 fut employée par moi à des démarches pour amener des convictions et des appuis pour le malheureux, c’est une œuvre que de votre côté vous aviez entreprise, elle fut employée aussi à des consultations graphologiques et à la préparation de la seconde brochure[48]. Les recherches de Mathieu que je vous amenai seulement après la publication de ma brochure ne donnèrent vous le savez aucun résultat.
La première démarche faite par moi fut auprès de M. Bérenger[49]. Je pensais que le légiste serait révolté par le coup de la pièce secrète. Il me reçut mal, me déclara même qu’il était contrarié de me voir, je lui répondis que je comprenais sa contrariété, qu’il en était toujours ainsi quand la vérité venait troubler la quiétude des consciences. On dit me répliqua-t-il que vous êtes l’avocat payé de la famille Dreyfus. Je protestai. L’assertion de l’existence de la pièce secrète le troubla cependant. Il ne voulait pas y croire. Je lui demandai s’il voulait voir Demange [que j’avais connu au lendemain de la publication de ma première brochure]. Il me répondit que oui. Demange alla le voir. Bérenger ne fit rien.
Les autres visites faites par moi furent Zola, que je trouvai plein de sympathie, mais que la grâce ne frappa que lorsque le drame complet, avec Esterhazy le traître, et Picquart le bon génie[50] et Dreyfus le martyr, saisit son imagination de romancier. Je vis aussi Mirbeau[51], Séverine[52] très sympathiques, mais impuissants et ne pouvant exprimer leurs idées dans les journaux où ils écrivaient[53].
Pendant un an je fus à l’affût de toute occasion. J’écrivis à Berthelot le sénateur, il me répondit de voir un jurisconsulte[54], j’écrivis à Lepelletier à la suite d’un article dans l’Écho de Paris. Il me donna rendez-vous, nous discutâmes graphologie sans résultat quoiqu’il me parût porté à la bienveillance[55]. Je vis Judet, il me déclara que peut-être n’était-il pas aussi complètement convaincu de la culpabilité de Dreyfus qu’au premier jour, mais qu’il fallait apporter des faits, des preuves. Il est certain qu’il fut longtemps hésitant et la campagne hostile du Petit Journal en 97-98 fut relativement tardive[56]. Je vis feu Isaac le sénateur qui était un convaincu mais dont l’action était nulle[57]. Je vis l’abbé Charbonnel, non encore défroqué[58], les pasteurs Wagner et Decoppet[59]. J’écrivis à de Mun[60] qui ne voulut pas accepter de conversation. J’écrivis à Goblet[61] qui me répondit que ces questions-là étaient du domaine de l’avocat de Dreyfus et qu’elles ne l’intéressaient pas je lui répondis que comme député elles devaient l’intéresser[62]. Je vis Sarcey, je trouvai la brute indifférente et tremblant devant l’opinion publique, fermé à toute générosité, à tout élan[63]. Je vis Gohier, sympathique mais ne pouvant parler[64]. Enfin, je vis Ranc[65], vous savez comment, et je vis Scheurer[66]. Je vis aussi Claretie[67] en 97. Il a raconté exactement ma visite dans le Temps aux débuts de l’affaire Picquart, si vous avez l’article vous pourrez vous y reporter[68].
Je n’ai pas parlé des traquenards tendus par Henry, des policiers envoyés chez Mathieu et chez moi[69].
Pendant ce temps des amitiés spontanées étaient venues je ne parle pas seulement des rares hommes de lettres qui m’avaient assuré de leur sympathie (Valdagne[70], Brulat[71], Georges de Peyrebrune[72], Quillard[73]) mais des amitiés actives [lecture incertaine] comme celles de Herr[74], de Salomon Reinach[75], de Gabriel Monod[76] que Salomon amena chez moi. C’est Monod qui le premier fit sur le fac-similé du bordereau une expertise. Après lui, pendant que des amis de Mathieu s’adressaient à Rougemont de Genève, à Walter de Gray Birch en Angleterre, à Carvalho en Amérique, je vis à Paris le docteur Héricourt, je fis consulter Preyer en Allemagne [illisible]. Je vis à Rouen Crépieux-Jamin, à Issoudun et à Bourges Bridier, à Bruxelles et Malines M. De Marneffe, à Londres Holt Shooling, à Genève Paul Moriaud. On a suggéré que des sommes énormes avaient été données à ces experts. On ne leur a donné que des honoraires légitimes demandés par eux suivant l’importance qu’ils attribuaient à leur travail. 26 livres sterling à Holt Shooling ; 300 francs à Marneffe ; 1000 francs à Paul Moriaud ; 1500 francs à Bridier ; 3000 francs à Crépieux-Jamin. Le concours de Héricourt, de Hevert, de Rougemont fut tout gracieux. Héricourt et Rougemont furent des militants [lecture incertaine]. Ainsi Lombroso auquel j’avais écrit et qui m’envoya une expertise[77].
C’est en Mars ou avril 1897 que je vis Scheurer pour la première fois[78]. Ranc avait pris pour moi un rendez-vous. Nous causâmes longuement avec Scheurer. Il n’était pas convaincu de l’innocence de Dreyfus, le raisonnement n’était pas suffisant pour amener chez lui une certitude. Nous discutâmes point par point ma brochure. Il me rapporta des assertions venues du côté hostile. Il me demanda si je pouvais les combattre, notamment l’histoire de Dreyfus possédant à Paris des maisons à l’insu de sa famille, l’histoire des visites fréquentes en Alsace. Je prouvai à Scheurer l’inexactitude de ces propos. J’amenai chez lui un rédacteur de la Patrie, M. Destès[79] (sic), aujourd’hui rédacteur en chef du journal le Messin, qui lui rapporta une conversation surprise par lui en wagon, le soir de la condamnation de Dreyfus, entre un officier et le commandant Gallet, un des juges. Gallet disait combien sa conscience était troublée. Tous ces faits, vous le savez, n’étaient pas concluant pour Scheurer[80]. Je l’amenai chez Demange dans les premiers jours de Juin[81], Demange lui exposa de nouveau toute l’affaire. La conversation fut très longue, elle n’acheva pas de convaincre Scheurer. C’est en sortant de chez Demange que Scheurer me dit que Billot auquel il avait dit qu’il s’occupait de l’affaire lui avait répondu : « Si ton cœur t’y pousse, tu fais bien ». Vous savez depuis ce qui s’est passé. En Juillet je reçus une lettre de Scheurer qui me disait ne plus vouloir me voir dans l’intérêt de la cause[82]. Ce fut l’erreur fatale celle dont Scheurer n’est pas responsable mais qui retombe tout entière sur Leblois et sur laquelle un jour je m’expliquerai. C’est de Scheurer que vinrent les retards dans la publication de ma seconde brochure, c’est de lui, ou plutôt de Leblois que vinrent toutes les hésitations[83].
Je n’ai pas à faire l’histoire de ces mois de juillet, d’Août et de Septembre[84]. En Octobre j’entrai à l’Aurore. La condition mise par Clemenceau était que je ne parlerais pas de l’affaire Dreyfus[85]. Ma brochure parut[86], et je me tus désormais jusqu’au lendemain de la condamnation de Dreyfus[87] où je publiai, avant le J’accuse de Zola, ma brochure : Comment on condamne un innocent. J’y accusai Mercier, du Paty, etc.[88] [Après la publication de ma seconde brochure j’ai encore revu vainement Jaurès[89]].
Quand (sic) à mon rôle constant vous le connaissez, je n’ai plus rien à vous en dire. Cependant si je me suis tu dans la presse vous savez que Mathieu le premier me demanda de laisser faire les autres et de me taire. J’ai souscrit ayant plus le souci de la justice que de moi-même[90].
Je fus voir Zola[91] dans le mois qui suivit la publication de ma première brochure, c’est-à-dire en novembre 96. J’avais beaucoup combattu Zola écrivain dans les jeunes Revues et même dans les journaux, j’étais très hostile à sa conception d’art, mais je l’avais dit d’une façon beaucoup plus polémique que critique[92]. Je m’étais rapproché de lui au moment de la publication de Rome pour des raisons plus politiques que littéraires et je lui avais écrit pour lui dire ce que je pensais de cet acte de combat et émettre l’espoir que Paris serait l’œuvre sociale qu’il fallait écrire. Il me répondit que ma lettre, venant d’un adversaire l’avait touché, cela se passait en 96 avant la publication de ma brochure[93]. Quand je fus le voir, je n’avais pas l’espoir de l’amener à moi, je pensais qu’il ne marcherait pas parce qu’un appareil abstrait de vérité ou de justice ne le séduirait pas, mais je cherchai à savoir l’effet produit par mon livre sur des esprits libres et susceptibles d’apporter un appui moral à la cause que je défendais. Je trouvai de la sympathie, l’acte lui plaisait mais il n’avait aucune idée sur l’affaire et je sentais qu’à cette heure elle ne l’intéressait pas, elle ne l’intéressa que quand le mélodrame fut complet et quand il en vit les personnages.
Chez Coppée
C’est au moins de mai 1897 que je fus chez Coppée. Je le trouvai malade encore. C’était peu de temps après les opérations qu’il avait subies. Je lui parlai de l’affaire Dreyfus. Il me répondit qu’il ne connaissait rien de l’affaire. Il n’avait même pas lu ma brochure. Je le lui reprochai, lui disant que comme en 1894 il avait exprimé une opinion défavorable[94] il n’avait pas le droit de négliger ce qui était apporté de nouveau. Il me répondit que j’avais raison. Je lui dit tout ce que j’avais fait, je lui parlai des expertises et lui promis de lui envoyer ma brochure et des fac-similés, ce que je fis le lendemain. J’y retournai quinze ou vingt jours après. Je fus reçus d’abord par Mlle Coppée qui sachant ma venue avait tenu à me voir. Elle me dit que la lecture de ma brochure avait beaucoup ému « François », qu’elle en avait été tourmentée ainsi que lui, au point de ne pouvoir dormir. Je revis Coppée, nous causâmes longuement, il me fit force compliments sur mon acte[95], me dit combien il était troublé, combien lui était affreuse cette pensée qu’un innocent peut-être était au bagne et y souffrait. Cependant les écritures l’embarrassaient, il trouvait que l’écriture de Dreyfus ressemblait à celle du bordereau. Je le revis une fois encore, avant que publiquement les intentions de Scheurer aient été connues. Je lui en parlai, lui dis que sûrement le grand honnête homme qu’était Scheurer ne resterait pas inactif. Il me promit sa sympathie pour la cause. Vous savez comment il a agi depuis et sous quelles influences. Je ne l’ai pas vu au moment où furent faites les démarches de Prévost. Vous n’ignorez pas qu’il avait écrit un article favorable que Le Journal n’inséra pas[96].
« J’insérerais volontiers ça » dans Le Journal, lui dit Xau, « mais pas avant vingt-quatre heures. C’est grave. Si dans ce délai vous êtes toujours dans les mêmes dispositions, nous marcherons ». Mais l’hésitant François Coppée laisse passer le délai sans prendre de décision.
Zola[97] était parti le 18 juillet 1898 pour Londres. Dans la précipitation du départ on avait oublié de lui faire signer quelques pièces nécessaires. Je partis le 19 juillet pour Londres porter ces pièces et chercher les signatures indispensables. Je trouvai à la gare du Nord Desmoulin[98] et nous fîmes le voyage ensemble par une nuit fraîche et pluvieuse pendant laquelle on grelottait sur le pont du bateau. Nous arrivons à Londres le 20 au matin, à 6 heures et allâmes directement à Grosvenor Hôtel – près la station Victoria – trouver Zola qui était descendu là sous le nom de Pascal. Desmoulin et moi donnâmes de faux noms à l’hôtel pour ne pas que notre visite compromette l’incognito de Zola et le faire trouver soit par les reporters, soit par les huissiers possibles. Je me donnais le nom de Robert. Zola fut très joyeux de nous voir. Il était parti si précipitamment qu’il n’avait pas emporté de linge avec lui, il n’était pas couvert suffisamment et avait gelé sur le bateau pendant la traversée. La veille il avait vainement essayé de se faire comprendre dans une chemiserie où il voulait acheter des faux-cols. Il se trouvait dépaysé, [illisible], lamentable dans cette ville où aucun ami ne l’entourait. Notre présence lui fit du bien, le ragaillardit, il émit un premier espoir, celui de pouvoir demander du beurre pour son déjeuner. J’étais chargé de lui expliquer pourquoi l’Aurore n’avait pas publié un large papier de lui qu’on trouvait imprudent. Il prit bien la chose et modifia ce qu’il avait à dire[99].
Au déjeuner il avait retrouvé sa gaieté et le repas fut très joyeux. Zola riait comme un enfant de se faire appeler mon cher Pascal, et riait autant en m’appelant mon cher Robert, ce côté conspirateur le ravissait visiblement. Il y avait à déjeuner un personnage vague et falot, traducteur des romans de Zola en anglais[100] et auquel Zola s’était accroché dangereusement dès l’arrivée. Le gentilhomme était d’ailleurs chargé de trouver un retrait sûr. Je conseillai à Zola de quitter au plus vite Grosvenor Hôtel et j’eus raison car un journal anglais, peu de jours après annonça qu’il était là, mais cette information parut au milieu de tant d’informations contradictoires qu’elle passa inaperçue. A deux heures je repartis pour Paris muni des pièces signées et de l’article de Zola.
[1]Ce mémoire, conservé dans les papiers Reinach (BNF n.a.fr. 24897) a été écrit à la demande de Joseph Reinach, vers 1899-1900, pour son Histoire de l’affaire Dreyfus. Il a été publié – incomplètement et fautivement – par Robert Gauthier dans Dreyfusards, Paris, collection Archives, Julliard, 1965.
[2]Publiée au tout début de l’année 1894. Le Parquet prit le prétexte de l’adjonction d’un chapitre (cf. Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Paris, Flammarion, 1973, p. 304).
[3]Cf. Lazare, Lettres à Jean Grave, Paris, Au Fourneau, collection noire, 1994.
[4]Bulot, avocat général qui avait requis contre les compagnons Decamps, Dardare et Léveillé, la peine capitale. C’est contre lui que Ravachol dirigera son second attentat le 27 mars 1892. Il sera l’avocat général de la plupart des procès contre les anarchistes où, chaque fois, il fera preuve d’une extrême sévérité.
[5]Émile de Saint-Auban était aussi l’avocat attitré d’Édouard Drumont et sera celui de la veuve Henry dans son procès avec Joseph Reinach. Cet antisémite et anti-maçon convaincu publiera quelques textes sur le sujet dont une étude sur le meurtre rituel. Sa plaidoirie en défense de Grave – qui fut pour lui l’occasion de dénoncer une fantasmatique « pieuvre cosmopolite dont les hideux tentacules enlacent tous les peuples et leur sucent tout leur sang » – a été publiée dans L’Histoire sociale au Palais de justice, Paris, A. Pédone, 1895.
[6]Principalement dans « La Pitié », L’Écho de Paris, 13 décembre 1893. Bernard Lazare, en deux articles (« Anarchie et littérature, Le Peuple, 18 janvier et « Quelques mots », Le Journal, 5 mars 1895 ; le premier article est reproduit dans Bernard Lazare anarchiste et nationaliste juif (Paris, Honoré Champion, 1999), le second l’a été dans les Lettres à Jean Grave, op. cit.), répliqua avec une extrême violence. Lepelletier, quelques mois plus tard, répondra laconiquement à Lazare, « plumitif très ignoré qui s’est rebiffé l’autre jour » (« Une Bombe intelligente », L’Écho de Paris, 8 avril 1894. Cette « bombe intelligente » est celle qui blessa, au restaurant Foyot, Laurent Tailhade, poète anarchisant. Lepelletier se réjouissait ici que cette bombe explosât avec autant d’à propos). La polémique en restera là. Sur Edmond Lepelletier, cf. infra, note 55.
[7]Zo d’Axa, écrivain et publiciste anarchisant, publiera, à partir de 1897, La Feuille. À son propos, on pourra lire la biographie que j’ai coécrite avec Jean-Jacques Lefrère, Zo d’Axa, la feuille qui ne tremblait pas, Paris, Flammarion, 2013.
[8]Il y publiera aussi les anonymes et très anarchistes « Hourras, tollés et rires maigres ».
[9]En fait, Félix Fénéon fut directeur, avec Georges Chevrier, d’une première série de La Revue indépendante entre mai 1884 à mai 1885 (13 numéros). Une seconde série, qui vécut de novembre 1886 à mars 1893, fut successivement sous la responsabilité d’Édouard Dujardin et de Teodor de Wyzewa – avec, pour deux mois, Fénéon comme rédacteur en chef –, de Gustave Kahn (1888), puis de François de Nion et de Georges Bonnamour (1889-1893). Fénéon y collabora en 1888-1889 avec le mensuel « Calendrier » et quelques articles plus importants de critique littéraire et picturale.
[10]De même, on retrouve parmi les abonnés des Entretiens politiques et littéraires, Quesnay de Beaurepaire.
[11]Émile Henry fut l’auteur des attentats de la rue des Bons-Enfants et de l’Hôtel Terminus. Jugé le 21 mai 1894, il fut guillotiné.
[12]Alexandre Cohen, traducteur et journaliste néerlandais, signa aux Pays-Bas une traduction d’Au bonheur des dames et offrit au public français de lire Âmes solitaires de Gerhart Hauptmann (Paris, L. Grasilier, successeur de Savine, 1894) et de découvrir le grand Multatuli qu’il publia à La Société Nouvelle et au Mercure de France, en attendant d’en donner, en 1901, une édition de morceaux choisis (Société du Mercure de France). Il était à Paris le correspondant du journal néerlandais Recht voor Allen. Inculpé sous le motif d’association de malfaiteurs, il devait être du procès des trente. Absent, il fut condamné par contumace à vingt ans de travaux forcés. Fénéon, qui l’avait toujours aidé, continua, après le procès, à lui être utile. Le 27 août 1895, il écrivit à Zola pour lui demander d’intercéder en faveur de son ami : « Il est indubitable que Cohen sera acquitté, sans débats, comme l’ont été les autres contumaces du même procès. Mais il voudrait que l’arrêté d’expulsion pris contre lui le 12 décembre 1893 fût rapporté, ou tout au moins il voudrait que son séjour en France fût toléré. Voudriez-vous […] avoir l’obligeance insigne, si vous venez à Paris avant la fin de la semaine, d’aller au ministère de l’Intérieur pour essayer d’obtenir […] que Cohen puisse rester en France ? Et si vous ne venez pas à Paris, veuillez, je vous en prie, écrire dans le même sens, dès maintenant, au ministre Leygues » (coll. Dr F. Émile-Zola, citée in Zola, Correspondance. VIII. 1893-1897, Paris/Montréal, Éditions du CNRS/Presse de l’Université de Montréal, 1991, p. 249).
[13]« Félix Fénéon », Le Journal, 27 avril 1894 (repris dans Le Réveil, n° 4, avril 1894 et dans Le Peuple, 29 avril 1894). À paraître, avec l’ensemble des articles et volumes de Lazare, aux éditions du Sandre dans les œuvres complètes de Bernard Lazare.
[14]La biographie de Félix Fénéon par Joan U. Halpérin (Paris, Gallimard, 1991), a réédité l’exploit. Nous nous permettrons, à ce sujet, de renvoyer à notre petit opuscule : A propos de l’attentat Foyot, Paris, Au Fourneau, collection noire, 1992.
[15]Cf. à ce sujet l’article de Pierre Bertrand (« A Bernard Lazare », Le Journal du Peuple, n° 118, 5 juin 1899) et le volume de Jean-Bernard (Le Procès de Rennes. 1899. Impressions d’un spectateur, Paris, Lemerre, 1900, p. 329-331).
[16]D’une autre main, à la mine de plomb, ce nom est biffé et remplacé par Fabre ou Favre. Le directeur de la Santé se nommait en fait M. Patin.
[17]Sur le rôle de Deniel, qui nous semble être à relativiser, voir à notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les belles Lettres, 2014, p. 263-268.
[18]Il s’agissait en fait des sœurs du détenu, Mesdames Cahn et Schil. Cf. Mathieu Dreyfus, L’Affaire telle que je l’ai vécue, Paris, Grasset, Cahiers rouges, 207, p. 92.
[19]Lazare l’emploiera à cette occasion dans l’article « Anarchie et littérature », cité.
[20]Émile Salles, à qui un juge militaire avait révélé l’irrégularité, irrégularité dont Demange, qui pendant longtemps ne voulut pas croire qu’elle fût possible (cf. la lettre de 9bre 96 de Demange à Lazare publiée dans le Bulletin de la Société Internationale d’Histoire de l’Affaire Dreyfus, n° 2, automne 1996, p. 72), eut une confirmation par Ludovic Trarieux. Le docteur Gibert, quant à lui, médecin au Havre, avait demandé à Félix Faure une audience au cours de laquelle son vieil ami, alors Président de la République, lui avait, sous le sceau du secret, confié que le capitaine avait été condamné sur une pièce secrète. Voir L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 119, 205, 207, 228.
[21]Cf. Mathieu Dreyfus, op. cit., p. 62-63.
[22]Une enquête eut lieu en avril 1894 quand la pièce fut interceptée. Deux personnes soupçonnées furent filées : Dacher et l’imprimeur Dubois. Le D. de la pièce interceptée désignait un autre Dubois, employé à la section topographique, qui délivrait à l’attaché militaire italien les « plans directeurs ».
[23] Sur cette première version de sa brochure, bien différente de celle qui sera publiée fin octobre 1896, voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les belles Lettres, 2014, p. 210-213 et ici.
[24]« Je me débattais dans le vide », note Mathieu dans ses souvenirs (op. cit., p. 75).
[25]Mathieu, désespérant de pouvoir trouver des pistes, aura recours à Léonie qui, en état de somnambulisme provoqué par son médecin, le docteur Gibert, avait de troublantes visions. Cf. Mathieu Dreyfus, op. cit., p. 48 et suivantes.
[26]Au sujet de cette campagne, du duel et de la brochure, cliquer ici.
[27]Louis-Lucien Klotz, futur ministre, député de la Somme, dirigeait Le Voltaire. Augustin Hamon, dans son journal, nous apprend que « Klotz […] a traité avec Drumont après les articles de Lazare ; Klotz est candidat à Montdidier et Drumont ne l’attaquera point. Voilà le traité » (Augustin Hamon, Mémoires d’un en-dehors. Les années parisiennes (1890-1903), Brest, UBO, 2013, p.242).
[28]« La Captivité de Dreyfus », 8 septembre 1896.
[29]Les mots : « Clifford Millage, correspondant du Daily Chronicle » sont biffés.
[30]La fameuse nouvelle parut dans un journal de Newport, le South Wales Argus, le 2 septembre 1896. De là, elle se répandit partout. Lazare commet donc ici une erreur de chronologie, puisque l’article du Figaro parut le 8. Sur cette fausse nouvelle, cf. Mathieu Dreyfus, op. cit., p. 79-81 et notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 228.
[31]Rédacteur en chef du Jour et beau-frère de Rochefort. Vervoort fit passer dans son journal deux articles favorables à Dreyfus (« La Captivité de Dreyfus », 9 septembre et « L’Affaire Dreyfus », 11 septembre 1896) et demanda au grand rabbin de lui verser une importante somme d’argent pour continuer. Voir Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 231.
[32]« Le Doute », 14 septembre 1896. Voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 231.
[33]« S’est-il évadé », 5 septembre ; « Le Traître », 10 septembre ; « Le Traître Dreyfus », 11 septembre ; « La Politique », 14 septembre et « Le Traître Dreyfus », 15 septembre 1896.
[34]Comme, par exemple, dans l’article du 15 septembre, qu’une pièce avait été montrée aux juges pendant le délibéré. Le texte en était donné mais lui aussi, comme dit à la suite, tripatouillé : Ce canaille de D. était devenu Cet animal de Dreyfus. Sur ces tripatouillements, cf. Une erreur judiciaire. La Vérité sur l’affaire Dreyfus, Bruxelles, Veuve Monnom, 1896 et Paris, P.-V. Stock, 1897. Voir aussi notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 231-233.
[35]Lazare oublie la lettre importante qu’il avait écrite à Reinach le 28 août précédent. On pourra la lire dans notre Bernard Lazare, Paris, Stock, 2003, p. 239.
[36]3 500 surcharge 3000, précédemment écrit.
[37]Il faut mettre ces comptes en regard de ceux que Lazare communiqua à Jean-Bernard. Si le calcul de la mise sous pli et de l’affranchissement demeure identique (1 500 francs) le coût de la brochure varie. Lazare donne en effet à Jean-Bernard (op. cit., p. 333-334) le chiffre de 800 francs. Cette différence est due au fait qu’il y eut deux tirages – fin octobre et début novembre – de ce premier mémoire : un premier, à environ 1 500 exemplaires, bel in-16 sur papier de qualité, 10,5 par 16,5 centimètres, de 66 pages et un second, 13 par 20 centimètres sur un papier plus grossier et en une composition plus serrée, de 24 pages. Le premier tirage ne dut pas être suffisant. Lazare fit alors recomposer le texte pour économiser du papier et choisit une présentation moins élégante mais plus économique. C’est ce second tirage qui valut 186 francs (voir la facture reproduite dans notre Bibliographie de Bernard Lazare, Paris, S.A.B.L., 1994, p. 15). Le coût du premier dut donc, en toute vraisemblance, s’élever à 614 francs. Ce premier tirage, dont nous ne connaissons d’autre exemplaire que le nôtre, est inconnu de toutes les bibliographies de l’Affaire.
[38]Périvier et de Rodays étaient les directeurs du Figaro.
[39]Gouverneur du Cherche-Midi où fut emprisonné Dreyfus avant son procès. Convaincu de son innocence, il se prit de sympathie pour le prisonnier et fut un des plus actifs parmi les dreyfusards de la première heure. Voir à son sujet l’article récent de Michel Drouin : « Le Commandant Forzinetti : autour d’une correspondance inédite », Les Cahiers naturalistes, n° 70, 1996. Dans sa « Lettre à Trarieux » (L’Aurore, 7 juin 1899), Lazare rendra hommage à Forzinetti « qui souffrit des souffrances journalières de l’innocent et qui, simplement, héroïquement, rompant avec ses vieux préjugés militaires, sut se sacrifier pour proclamer hautement la vérité ».
[40]Administrateur de L’Intransigeant. Il créera et dirigera, deux ans plus tard, L’Aurore.
[41]« Le Traître Dreyfus. Une brochure sensationnelle », 9 novembre 1896. L’année suivante, Rochefort publiera un article racontant la visite de Forzinetti (« Un bail de trois ans », L’Intransigeant, 1er novembre 1897), article qui sera à l’origine de la révocation de Forzinetti.
[42]Henry Bauër. Ancien communard et publiciste à L’Écho de Paris. Il avait défendu les anarchistes, dénoncé les lois scélérates et rejoint le camp dreyfusard. En 1894, il avait été un des seuls à refuser le jeu de la « presse de sang » et à « faire un effort de vérité en présentant les éléments contradictoires » (« Chronique », L’Écho de Paris, 10 décembre 1894). Il collaborera à L’Écho de Paris, où ses opinions dreyfusardes ne plaisaient guère et où il ne pouvait parler en toute liberté (« […] je suis lié à un journal où il m’est interdit de dire mon angoisse, de réclamer la vérité et la lumière » – lettre à Zola du 1er décembre 1897 citée in Marcel Cerf, Le Mousquetaire de la plume, Henry Bauër, Paris, Académie d’Histoire, 1975, p. 86), jusqu’à la fin du mois d’août 1898.
[43]Amilcare Cipriani. Révolutionnaire italien et fondateur de l’Internationale.
[44]Cet extrait, concernant Rochefort, fut reproduit dans une interview de Joseph Reinach donnée au Temps du 26 avril 1904. Citant Lazare, Reinach voulait répondre à ce qu’avait déclaré le directeur de L’Intransigeant lors de son audition à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il avait dit, rapporte Le Temps du 25 : « […] comment Bernard Lazare, que je ne connaissais pas, avait fait tenter de m’embaucher au commencement de la campagne en faveur du traître. Il m’apportait les bonnes feuilles d’une brochure qu’il venait de faire pour démontrer l’innocence du condamné et, en me regardant dans le blanc des yeux, il me dit, sur un ton significatif, “qu’aucun sacrifice ne serait épargné”. Si je lui avais dit que pour s’assurer certains concours et pour faire face à des dépenses inévitables j’avais besoin de deux ou trois millions, certainement on me les aurait donnés ». La calomnie n’était pas nouvelle et on peut se demander pourquoi, si Rochefort ne mentait pas, il avait cru bon taire le nom de Lazare lorsqu’il avait parlé de la visite qu’il lui avait rendue avec Forzinetti (cf. l’article cité en note 41), perdant ainsi une bonne occasion d’édifier ses lecteurs sur les mœurs du « syndicat » ? Quoi qu’il en fût, Rochefort répondit à la publication des lignes de Lazare dans L’Intransigeant du lendemain. Il s’y montra insultant – vexé surtout par les propos qui pouvaient laisser entendre qu’il fût inféodé à Vaughan – et persista, on s’en doute, à faire croire que Lazare avait été envoyé pour l’acheter : « Il n’y a pas dans cette narration un mot qui tienne debout. Pourquoi, je vous le demande, aurais-je reçu très bien le Forzinetti, qui était un vulgaire gardien de prison et dont je n’avais de ma vie entendu parler ? Bernard ajoute qu’il ne trouva chez moi qu’une “résistance médiocre”. Depuis trois ans je ne cessais, avec Clemenceau, avec Jaurès, de protester contre l’indulgence du conseil de guerre, qui avait épargné le poteau de Satory au félon qui livrait contre argent à l’étranger l’armée et les officiers, ses camarades. Et, comme ça, toute suite, sur une simple conversation avec un juif que je n’avais jamais vu, j’allais prendre parti pour le pensionnaire de l’île du Diable ! / Je résistais bien, mais “médiocrement”. Et ce Bernard Lazare, ayant sans doute à sa disposition des rayons Rœntgen, voyait parfaitement que je me demandais “intérieurement” de quel côté je polémiquerais. / Cet homme, qui lisait si bien dans les intérieurs, oublie de dire dans ses racontars posthumes que si je m’étais décidé à polémiquer de son côté, c’est que j’aurais, comme tant d’autres, accepté les subventions qu’il eût été heureux de m’offrir. Un peu plus, il ajouterait que j’avais déjà fait mon prix. / Néanmoins, comme il ne peut nier, puisque les articles sont là, il reconnaît qu’à la suite de notre entrevue, l’Intransigeant a publié “une analyse plutôt malveillante” de la brochure dont il m’apportait les bonnes feuilles. / Mais c’est M. Vaughan, administrateur de l’Intransigeant, qui m’a donné le conseil de ne pas défendre le condamné. C’est maintenant à l’administration de mon journal que je m’adresse pour savoir quelles sont mes opinions politiques ! Quoi ! Je me suis fait condamner deux fois à mort pour des articles que me dictait l’administrateur de mon journal ! / D’autant que ce même Vaughan, actuellement fonctionnaire, a quitté l’Intransigeant pour entrer à l’Aurore, feuille ultra-blocarde, où il a embrassé violemment la cause de celui qu’il m’aurait conseillé de ne pas défendre. / C’est vraiment tout profit pour moi d’avoir comme adversaires des êtres qui se noient ainsi dans leurs crachats. Je pourrais certainement aller donner brutalement à Reinach la leçon qu’il mérite pour s’être permis de contredire avec cette impertinence la déposition faite sous serment devant la Chambre criminelle. Mais ce sale juif est, comme son ami Lazare, tellement au-dessous de la bêtise, qu’il y a bénéfice à les laisser s’enferrer » (« La Résurrection de Lazare »).
[45]« Une apologie de Dreyfus », 10 novembre 1896. Lazare y était décrit comme un « représentant du high life anarchiste » et « un des plus fidèles admirateurs de sa Majesté Rothschild ».
[46]La presse fut en effet unanime pour condamner la démarche de Bernard Lazare. Seul, Le Matin, bien que ne doutant pas une minute de la culpabilité de Dreyfus, laissa la parole à Lazare. Il publia, dans son numéro du 9 novembre, une longue interview dans laquelle Lazare présentait son action comme personnelle et en tout indépendante de la famille Dreyfus (« Sa famille ? Je l’ignore »), et insista sur l’illégalité d’un arrêt fondé sur une unique pièce soustraite à la défense.
[47]Lazare n’aura, en effet, à partir de ce moment, plus guère de revenus et ne pourra jamais retrouver une place fixe dans la presse. En 1901, après la courte accalmie que lui avait offerte l’Agence nationale (cf. la correspondance avec les Dreyfus, ici), il se retrouva à nouveau sans la moindre ressource. Salomon Reinach écrira alors aux dirigeant de la JCA pour que lui fût accordée une situation de rédacteur-enquêteur : « […] Lazare, qui avait une belle situation dans le journalisme français, l’a perdue par suite des circonstances que vous savez ; sa signature effraie et, si l’on parle toujours volontiers de ce qu’il fait, les directeurs de journaux craignent d’effaroucher leur public en se l’attachant, comme autrefois, à titre permanent. Le Juif qui a le plus fait, depuis Montefiore et Crémieux, pour arrêter l’antisémitisme, qui lui a infligé les plus retentissantes défaites, se retrouve sans situation, sans ressources régulières, sans l’emploi normal de ses brillantes facultés » (Fonds Lazare, A.I.U.).
[48]Une erreur judiciaire. L’Affaire Dreyfus, Paris, P.-V. Stock, 1897. Rééditée en 1993, sans les expertises d’écriture, aux éditions Allia.
[49]René Bérenger, sénateur, vice-président du Sénat à partir de 1894, ancien ministre et membre de l’Institut. Lazare, à propos de son action à la présidence de la Ligue contre la licence des rues qui fut à l’origine des troubles du Quartier Latin en mai 1893, lui avait consacré un article dans Le Figaro du 9 juillet (« M. Bérenger »). Il y défendait celui que tous attaquaient après ces événements tragiques et avaient oublié le législateur qui avait su proposer et faire adopter des lois « humaines » visant à améliorer le sort des inculpés en attente de jugement et des condamnés primaires. Dans un autre article, en 1896, il s’était montré nettement plus critique. Si sa loi sur l’atténuation des peines était une « bonne loi », qui accordait le sursis aux condamnés primaires et leur garantissait de garder un casier judiciaire vierge, elle était toutefois facile à pervertir dans la mesure où si le bénéficiaire de cette loi était un jeune homme n’ayant pas encore fait son temps d’armée, il serait en effet en liberté et sans casier mais serait, le jour du tirage au sort, envoyé directement à Biribi. Son passage aux Compagnies de discipline, mentionné sur le livret militaire exigible par tout employeur, valant tous les casiers judiciaires. « M. Bérenger est-il satisfait de son œuvre, ou plutôt de ce qu’on en a fait ; s’il est content, sa philanthropie est facile », concluait Lazare (« Les Bienfaits d’une loi ». L’Écho de Paris, 1er février 1896). C’est lui, comme Président de la commission d’instruction de la Haute-Cour, qui dirigera, en 1899, les poursuites contre les ligueurs Déroulède, Guérin, etc.
[50]On sent bien ici toute l’antipathie qu’éprouvait Lazare pour Picquart. « Antipathie réciproque », comme l’écrira Salomon Reinach à Péguy en août 1910 (dans une lettre citée par Jacques Viard, « Prophètes d’Israël et annonciateurs chrétiens ». Revue d’Histoire Littéraire de la France, mars-juin 1973, p. 378). Rivaux au panthéon du dreyfusisme, appartenant à des mondes antagonistes et ennemis, d’avis radicalement différents sur les moyens de mener l’Affaire et de la comprendre, le premier, Juif conscient et fier, l’autre, antisémite, ne pouvaient, même dans la perspective de la défense de Dreyfus, se retrouver. On connaît, assez précisément, les sentiments de Lazare pour Picquart (cf. les réflexions inédites de Lazare sur l’Affaire publiées en annexe à notre article des Cahiers naturalistes, n° 70, 1996). Ceux de Picquart, pour Lazare et pour les Dreyfus, peuvent se lire dans des lettres écrites en décembre 1901 à l’occasion de la vive polémique qui opposa Lazare à Labori, et dans laquelle il fut question de lui. Après la publication, dans L’Écho de Paris, d’une interview par Marcel Hutin « d’un ami de M. Joseph Reinach et de la famille Dreyfus », qui n’était autre que Lazare, Picquart écrivit à Madame Havet : « Je vous communique une coupure de l’Écho de Paris d’hier. / Je savais que je serais un jour attaqué par les juifs et notamment par les Dreyfus. Je ne savais pas que le jour serai si proche et qu’on emploierait pour cela la plume du juif Hirsch (alias Marcel Hutin), de l’Écho de Paris » (Lettre du 1er Xbre 1901 à Madame Havet, B.N. n.a.fr. 24503, f. 213). Quelques jours plus tard, il écrivait à Reinach : « Vous possédez des amis politiques dont la manière de faire a eu le don de m’étonner dès le premier jour où je les ai vus à l’œuvre, et de me révolter, plus tard, quand j’ai commencé à comprendre. / Comme vous avez eu l’occasion d’agir dans leurs vues ou d’accord avec eux, en plus d’une circonstance, il était à prévoir qu’il se produirait un jour où l’autre entre vous et moi de profondes divergences. Il en existe dès à présent d’essentielles » (13 décembre 1901, B.N. N.a.fr. 24898, f. 215). Les sentiments qui étaient ceux de Picquart pour Lazare, à quelques variations près, peuvent encore se lire sous ceux d’Olympe Havet, épouse de Louis, qui écrivit le 4 décembre 1901 à Reinach : « […] rien ne m’étonne de Bernard Lazare en fait de lâcheté. […] Bernard Lazare qui a sur Mathieu et sur Alfred une si néfaste influence, qui a toujours tout empêché de noble et de bien. A Rennes, j’ai vu beaucoup de monde chez Lucie [Dreyfus] et mon classement a été vite fait entre les grandes âmes et les âmes basses : Bernard Lazare m’a produit une impression d’antipathie insurmontable, plusieurs amis ont voulu nous faire rencontrer avec lui et je m’y suis toujours refusée et, comme vous êtes infiniment délicat, vous avez compris que nous ne pourrions aller ensemble et vous ne nous avez jamais invité avec lui. / Ce que Bernard Lazare a fait dans l’Écho de Paris […] s’appelle une infamie. Penser que vous êtes l’ami d’un pareil misérable, au point de ne pas le désavouer dans un moment pareil, j’avoue que j’en ai gros sur le cœur. Penser que d’autres, qui ne vous connaissent pas comme nous vous connaissons, s’imaginent que vous aussi, vous vous déshonorez en agissant ainsi envers le colonel Picquart, cela me fait tant de peine et tant de mal ! / Dieu qu’il est grandi encore par toutes ces infamies notre admirable ami, et comme je comprends maintenant son mépris pour l’humanité. / Comme je ne cache rien de ce que je dis et de ce que je fais, je tiens et j’aime à vous dire que j’ai vu beaucoup de monde depuis Lundi et qu’à tous j’ai crié le nom de Bernard Lazare comme celui d’un traître » (B.N. n.a.fr. 13574, f. 177-179). Sur cette polémique, cf. Alfred Dreyfus, Après le procès de Rennes, Paris, Calmann-Lévy, 1998, p. 97-105 et notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 957-972.
[51]Sur Octave Mirbeau et son engagement dreyfusard, nous renvoyons aux nombreux travaux de Pierre Michel et de Jean-François Nivet.
[52]Sur Séverine, qui n’est pas plus à présenter que Mirbeau, cf. les communications de Maire Cross et de Colette Cosnier au colloque de Tours (actes publiés dans la revue Littérature et Nation, n° hors-série, 1997).
[53]Si on en croit Jean Ajalbert, Mirbeau aurait essayé, fin 1897, de faire passer dans Le Journal un article en défense de Dreyfus que Fernand Xau aurait refusé (« Les Complices » in Sous le sabre, Paris, Éditions de La Revue Blanche, 1898, p. 31. Ce texte avait précédemment paru dans Les Droits de l’Homme du 20 janvier 1898, sans cette information).
[54]Marcelin Berthelot, ancien ministre, sénateur et chimiste, futur académicien français. En 1892, à l’époque des attentats anarchistes, dans les « Notules » des Entretiens politiques et littéraires, Bernard Lazare, pour répondre à Jules Simon qui demandait que fussent sévèrement punis les journaux qui divulguaient la formule des explosifs, somma le Parquet de poursuivre Berthelot, coupable d’avoir donné dans son Traité élémentaire de chimie organique la formule et la préparation de la nitroglycérine. Lazare promettait, s’il n’était pas donné suite à sa requête, que les Entretiens « publieraient dans leur prochain numéro, la formule et la préparation d’un explosif nouveau, de fabrication facile, et sept fois plus puissant que la dynamite » (n° 26, avril 1892).
[55]Edmond Lepelletier, important publiciste, futur biographe de Verlaine et de Zola, choisira finalement l’autre camp. Dans son Émile Zola, sa vie, son œuvre (Paris, Mercure de France, 1908), il se souviendra de la visite de Lazare en ces termes : « […] Un matin d’avril 1897, si mes souvenirs sont bien exacts, un homme de lettres, un confrère de la presse, se présenta chez moi. Il venait de publier un volume, et comme j’étais alors chargé de la critique littéraire à l’Écho de Paris, il m’apportait son ouvrage, pensant qu’au lieu de le faire parvenir au journal il serait préférable de me le remettre lui-même, sage précaution d’auteur. Je pris le livre, intitulé les Porteurs de torches, et je causai amicalement avec l’auteur, Bernard Lazare. Nous parlâmes de sujets analogues à celui qu’il avait traité : des Derniers jours de Pompéi, de Bulwer Lytton, de Fabiola du cardinal Wiseman, de Byzance et de l’Agonie de Lombard. Il s’agissait d’une évocation de la société antique et des cruels jeux du Cirque (sic !). La conversation purement littéraire, s’épuisait, quand Bernard Lazare, tirant un papier de sa poche, aborda brusquement le motif principal de sa visite. Il me parla de la condamnation de Dreyfus qui était, disait-il, le résultat d’une erreur et d’une machination. Il me montra des fac-similés autographiés du fameux bordereau et la plupart des pièces en fac-similé qui, depuis, ont été tant de fois cités et reproduits. Bernard Lazare me demanda de m’intéresser à la cause de celui qui, à ses yeux, était bien innocent, et, avec force compliments, il m’incita à discuter favorablement dans la presse les documents qu’il me soumettait. Nous nous quittâmes sur le ton de la plus parfaite cordialité. Je dois déclarer que, dans cette conversation, dans cette tentative pour obtenir mon concours, comme il me disait avoir déjà sollicité et obtenu celui de plusieurs confrères, il n’était nullement question d’une campagne violente à entamer contre l’armée en général, encore moins de faire appel aux anti-militaristes » (p. 424-425). La date que donne Lepelletier (avril 1897) est logique, qui correspond à celle de la publication des Porteurs de Torches. Mais cela dit, à quel article de Lepelletier Lazare peut-il faire allusion ? « Les Légendes » (L’Écho de Paris, 12 novembre 1896) qui rendait compte du premier mémoire de Lazare ? Il se pourrait, plutôt, qu’il soit question, et ainsi concorderaient les deux versions, d’un article purement littéraire, comme celui, publié dans L’Écho de Paris du 4 mai, qui rendait compte des Deux rives, roman de Fernand Vandérem, dont « l’aspect sociologique » et « l’allure doctrinale » notés par Lepelletier permettent un possible rapport avec le volume de Lazare.
[56]A Jean-Bernard, Lazare raconta en ces termes sa visite au directeur du Petit Journal : « “Êtes-vous absolument convaincu de la culpabilité de Dreyfus ?” – “Non, me répondit Judet, tout ce que vous venez de me raconter me trouble ; je n’écrirais pas aujourd’hui ce que j’ai écrit jadis ; mais tout ce que vous me montrez ne constitue pas, pour moi, des certitudes d’innocence ; apportez-moi des preuves plus précises, plus positives et je verrai.” – Je ne devais plus le revoir puisque, sans attendre une nouvelle visite, il partit en guerre avec la bonne foi que vous savez » (Le Procès de Rennes, op. cit., p. 337).
[57]Alexandre Isaac, sénateur de la Guadeloupe de 1885 à sa mort, en 1899, était un distingué juriste. Il se joindra, en 1898, aux fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme.
[58]Victor Charbonnel deviendra, après avoir quitté les ordres, un infatigable organisateur de conférences anticléricales. En 1899, il fondera le journal La Raison, organe de l’Association des Libres Penseurs de France. Il deviendra plus tard, avec Henry Bérenger, le directeur de L’Action.
[59] Charles Wagner, pasteur, membre fondateur de L’Union par l’Action morale et de l’Université populaire, professeur à L’École morale, donna de nombreuses conférences. Celle qu’il donna, en compagnie d’Anatole Leroy-Beaulieu, le 15 janvier 1898 à l’Hôtel des sociétés savantes, fut l’occasion d’un extraordinaire chahut et de quelques rixes qui opposèrent les partisans de Zola aux nationalistes et antisémites venus nombreux (cf. Le Temps du 16). Dreyfusard en 1897, il écrira à Scheurer-Kestner dès le 18 novembre pour lui dire son soutien (BNF n.a.fr. 23819, f. 270-271) et signera en 1898 la Protestation Picquart. Il signera aussi l’Appel à l’Union (Le Temps, 7 février 1899). Il fut peut-être bien dreyfusard plus tôt et fut peut-être de ceux qu’évoquera Henri Vaugeois dans ses souvenirs : « […] les recruteurs de cette sorte de croisade pour « la Justice et la Vérité » s’adressèrent, dès le début, à ceux d’entre les professeurs de l’Université qui, par l’objet même de leur enseignement, leur semblaient prédisposés à s’engouer d’une « idée » si générale, si généreuse : le Droit. Je fus, pour ma part, sollicité de venir dîner, chez tels maîtres les plus éminents et les plus chers, avec Bernard Lazare, à seule fin de l’écouter plaider la cause de son « innocent ». Mes collègues du Comité de l’Union pour l’Action morale me demandaient avec insistance de consentir à être « éclairé » (La Fin de l’erreur française, Paris, Librairie d’Action française, 1928, p. 288). Quant au pasteur Decoppet, il signera la première protestation de janvier 1898, la Protestation Picquart, l’Appel à l’Union, la Souscription pour propager la vérité, le Monument Scheurer-Kestner et l’Adresse à Dreyfus. Il adhérera aussi, à sa fondation, à la Ligue des droits de l’homme.
[60]Albert de Mun, député du Finistère, futur membre de l’Académie française.
[61]René Goblet était avocat, député de Paris, ancien ministre et ancien Président du Conseil.
[62]Racontant à Jean-Bernard, le refus de Goblet, Lazare ajoutera : « Il manqua ce jour-là une belle occasion de se préserver de l’oubli qui attend toutes les médiocrités que les caprices de la politique portent aux sommets du pouvoir » (Op. cit., p. 336). À la fin du mois de novembre 1897, René Goblet, lors de la réunion mensuelle du comité radical socialiste du premier arrondissement de Paris, déclara : « […] M. Bernard Lazare est venu à mon domicile, tout au début de cette affaire, et m’a écrit pour me prier d’examiner le dossier qu’il avait constitué et de l’aider ensuite dans la tâche qu’il avait entreprise. J’ai examiné le dossier, n’y ai rien trouvé de ce que l’on espérait m’y faire voir et l’ai renvoyé incontinent à M. Bernard Lazare » (Le Matin, 29 novembre 1897). Le lendemain de la publication de cette information, Maurice Sarraut, dans La Dépêche, donna les détails qu’il tenait de Goblet sur la visite de celui qui avait fait le rêve de former un « syndicat moral », « d’organiser une sorte de consortium, d’association, de cercle d’hommes éminents, qui, s’appuyant les uns sur les autres, auraient présenté au public, avec l’autorité qui s’attachait à leurs noms, la défense du déporté de l’île du Diable ». Le 4 mai 1897, Lazare avait déposé chez Goblet un dossier qu’il lui avait demandé d’examiner. Le 7, Goblet écrivait à Lazare ces quelques lignes : « Monsieur, / J’ai en horreur le crime imputé au capitaine Dreyfus, et rien ne m’autorise à croire que les officiers français qui l’ont condamné à la suite d’une instruction régulière, et malgré les efforts de son éminent défenseur aient pu s’égarer au point de commettre l’irréparable erreur que vous supposez. / Si des doutes sérieux subsistaient sur la culpabilité du capitaine Dreyfus, ce serait à son avocat de les faire valoir. Pour moi, je n’ai aucune qualité, ni aucune raison, pour intervenir dans cette affaire ». En réponse à ces informations, Lazare, le 2 décembre, fit parvenir une lettre à l’Agence nationale dans laquelle il s’indignait qu’on pût lui prêter l’intention d’avoir voulu constituer un syndicat. « J’ai simplement fait appel à la conscience de quelques-uns », rectifiait-il. Quant à Goblet, qu’il croyait « un homme intègre, de conscience droite », il s’était « adressé à lui croyant qu’il pourrait partager mon indignation. Je pensais qu’il était capable de s’intéresser à une cause de justice et d’humanité ; il paraît que je me suis trompé. J’en fais toutes mes excuses à M. Goblet ». A la suite, Lazare donnait la lettre qu’il avait envoyée le 7 mai à Goblet – lettre qui insistait sur la pièce secrète dont l’utilisation lors du procès « inquisitorial » de 1894 ne pouvait laisser indifférent un avocat – et la réponse qu’il avait reçue, dans laquelle Goblet répétait ce qu’il avait écrit la première fois : « Si vraiment la condamnation a été déterminée par la production d’un document d’apparence décisive porté secrètement à la connaissance des juges, en dehors de l’accusé et de son défenseur, c’est à celui-ci qu’il appartiendrait, selon moi, d’élever la voix contre un semblable procédé, et je ne vois pas qu’il l’ait fait » (La Dépêche, 2 décembre 1897). À la suite de ces « révélations », La Libre parole, qui ne voulait pas être en reste, publia des renseignements au sujet de la visite qui fut faite à de Mun pour essayer de lui « forcer en quelque sorte la main » (A. de Boisandré, « M. de Mun et le Syndicat Dreyfus ». La Libre parole, 1er décembre).
[63]Quelques années avant, Lazare, en bon symboliste, avait eu la dent très dure pour le plein de « bon sens » critique du Temps et de L’Écho de Paris.
[64]Urbain Gohier, écrivain et publiciste, collaborateur au Soleil, se rattrapera et deviendra bientôt un ardent dreyfusard. Son antimilitarisme forcené en fera, pour beaucoup, un allié bien encombrant. Son antisémitisme, un peu calmé à l’époque, se réveillera après l’Affaire. Il dirigera L’Œuvre, antisémite et anti-maçonne, et sera un des premiers éditeurs français des Protocoles des Sages de Sion. Lazare l’avait précédemment attaqué dans son journal L’Action sociale (n° 5, 29 février 1896 : « Analogies »).
[65]Arthur Ranc, publiciste et sénateur. A la mort de Lazare, il lui consacrera dans Le Radical un vibrant hommage. Il s’y souviendra de cette rencontre : « Un jour, Bernard Lazare, que je n’avais jamais vu, mais qui par des amis communs savait mon état d’esprit, m’apporta les fac-similés du bordereau et de l’écriture d’Alfred Dreyfus. Nous passâmes la matinée à les examiner mot par mot. Ah ! il n’y avait pas besoin d’être expert assermenté ni professionnel de la graphologie pour que la vérité éclatât aux yeux. Il n’y avait qu’une vague ressemblance entre les deux écritures. Le bordereau n’était pas du capitaine Dreyfus. Dès cet instant, ma résolution fut prise. C’est donc à Bernard Lazare que je dois l’honneur de m’être jeté l’un des premiers dans la bataille pour la justice, pour la vérité, pour le bon renom de la France, de la France de la Révolution » (4 septembre 1903).
[66]Cf. infra.
[67]Jules Claretie, écrivain et auteur dramatique, membre de l’Académie française et administrateur général de la Comédie française.
[68]« La Vie à Paris », 4 novembre 1897 : « J’avais reçu déjà, il y a deux mois, la visite de M. Bernard Lazare, qui venait tenter de m’associer à la campagne entreprise en faveur du condamné. M. Bernard Lazare, qui est un romancier de talent et un écrivain excellent, est un fort éloquent avocat. Il parle de l’innocence du capitaine avec une telle foi vibrante qu’on douterait un moment si l’on pouvait mettre en doute la conviction de tout un jury, qui a dû juger sur preuves flagrantes avant de dégrader un officier français. M. Lazare, très ardent, n’avait pourtant guère réussi à m’émouvoir que lorsqu’il me dit, le plus simplement du monde : “Depuis que j’ai entrepris cette réhabilitation, je me suis fermé tous les journaux !” / Je ne dis pas que le défenseur de Dreyfus ne soit point courageux et même téméraire et ne risque pas de laisser un peu de lui-même, de ses relations de publiciste, dans l’aventure ; je dis qu’on a quelque mérite à lui résister. Au total, un homme qui plaide l’innocence d’un autre homme semble avoir tout naturellement le beau rôle. Il représente, ou paraît représenter, la pitié, la justice, le droit, l’équité, l’humanité, toutes les vertus. L’interlocuteur qui lui répond : “Que voulez-vous ? Je suis persuadé de la culpabilité de votre client et vous ne me ferez jamais croire que tout un conseil de guerre soit composé d’imbéciles dont la sottise serait, d’ailleurs, extraordinairement criminelle”. Cet interlocuteur, au contraire, incarne l’arrêt implacable et la condamnation sans appel. Mais si le verdict est mérité ! / – Eh bien ! répliquait M. Bernard Lazare qui est tenace, interrogez M. Scheurer-Kestner, interrogez M. Gabriel Monod. / Je crois même qu’il me cita un autre nom, d’une importance plus décisive encore. Et, depuis, j’ai reçu d’Alsace plus d’une lettre où des gens du pays plaidaient, eux aussi, la cause du capitaine déporté. Encore une fois, j’attends ; mais je crois bien qu’en dépit de l’intervention d’un homme tel que M. Scheurer-Kestner, j’attendrai longtemps la preuve capitale qui rendra éclatante une erreur dont la lourdeur et l’horreur dépasseraient en épouvante les drames judiciaires les plus renommés ». Il semble qu’il l’aura en 1899. Il écrira alors aux membres du Conseil de guerre de Rennes une lettre ouverte les exhortant à acquitter le capitaine Dreyfus.
[69]Suit une phrase difficilement lisible. On lira le détail de ces traquenards dans les souvenirs de Mathieu (op. cit., p. 109 et suivantes).
[70]Pierre Valdagne, romancier et auteur dramatique, publiciste à La Liberté, directeur littéraire des éditions Ollendorff, sera parmi les premiers signataires de la pétition de L’Aurore (deuxième liste).
[71]Cet ardent dreyfusard, ami de Zola, auteur du recueil d’articles sur l’Affaire Violences & Raison (Stock, 1898), collaborateur des Droits de l’Homme et fondateur de l’éphémère quotidien dreyfusard La Lumière, avait, l’année précédente, accusé réception de la première brochure de Lazare en ces termes : « Votre brochure ne m’a pas absolument convaincu. Il faudrait avoir en main toutes les pièces du procès. Mais vous aurez, je crois, fait naître le doute dans l’esprit de beaucoup de gens. Et je n’en loue pas moins votre courage et l’éloquence de votre conviction » (Chalom, septembre 1933).
[72]Georgine de Peyrebrune, dite Georges, romancière prolixe. On retrouve son nom dans la cinquième liste de L’Aurore.
[73]Le grand ami de Lazare. Cf., à son sujet, la lettre xvi de la correspondance avec Alfred et Mathieu Dreyfus (ici).
[74]Il n’est pas nécessaire de présenter Lucien Herr. Renvoyons simplement aux travaux de Daniel Lindenberg et à la biographie de Charles Andler (Paris, François Maspero, 1977). Rappelons que c’est sans doute par l’intermédiaire du même Charles Andler, collaborateur en 1892 des Entretiens politiques et littéraires, que Lazare fit sa connaissance. Dans son testament, c’est à lui et à Émile Meyerson que Lazare confia le soin de publier ce Fumier de Job auquel il attachait tant d’importance. Avec les amis Herold, Fontainas, Ajalbert, Adam, Salomon Reinach, Gabriel Monod, Meyerson, Andler, Lucien Herr sera du Comité que Quillard fondera dans le but de faire vivre la mémoire de Lazare et de lui faire élever une statue à Nîmes, sa ville natale.
[75]Salomon Reinach, frère de Joseph, archéologue et membre de l’Institut. Il publia, sous le pseudonyme de L’Archiviste, Drumont et Dreyfus, études sur la « Libre Parole » de 1894 à 1895 (Paris, P.‑V. Stock, 1898). Sur l’engagement dreyfusard de Salomon Reinach, cf. Hervé Duchêne, « L’Archéologue de l’Affaire », L’Histoire, n° 173, janvier 1994.
[76]Gabriel Monod, professeur et historien, membre de l’Institut. Il fut un des fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme. Son engagement est bien connu. Notons, toutefois, qu’il publia chez Stock en 1899, sous le pseudonyme de Pierre Molé, un Exposé impartial de l’affaire Dreyfus. A son sujet, cf. les articles de Rémy Rioux, « “Saint-Monod-la-critique” et “l’obsédante affaire Dreyfus” » (Mil neuf cent, n° 11, 1993), Olivier Dumoulin, « Les Historiens » et André Encrevé, « Les Protestants » (L’Affaire Dreyfus de A à Z (Michel Drouin dir.), Paris, Flammarion, 1994, p. 393-394 et 450-451).
[77]Ces expertises – à l’exception de celle de Lombroso – seront publiées par Lazare dans son second mémoire (P.-V. Stock, 1897).
[78]La première brochure de Lazare, écrit Scheurer-Kestner dans ses mémoires l’avait « troublé profondément » (Mémoires d’un sénateur dreyfusard. Strasbourg, Bueb et Reumaux, p. 61).
[79]Ils s’étaient rencontrés en 1895 à l’occasion des fêtes de Copenhague que Lazare avait couvertes pour L’Écho de Paris et Destez pour La Presse. Une photographie, prise à bord du Prince Waldemar, bateau qui les mena à Copenhague, les montre côte à côte (La Revue illustrée, n° 231).
[80]Le 15 juin 1897, Lazare se rendit en effet chez Scheurer avec le journaliste Destez. Lors de cet entretien, Destez nia avoir dit à Lazare que le commandant Gallet s’était refusé a voter la condamnation de Dreyfus. Voici une note inédite que prit Scheurer le jour de cette visite et qui complète le récit qu’il en fit dans ses mémoires (op. cit., p. 74 à 76) : « Récit de M. Destès (sic). Le soir du jugt j’étais dans le train – je somnolais – j’ai entendu le Com. Gallais (sic) dire au lieutenant que je connaissais pour avoir souvent voyagé avec lui de Paris à St Germain : Je suis éreinté physiquement et moralement – ce que nous avons fait aujourd’hui ne me satisfait pas. Nous avons jugé non sur des faits mais sur ce qu’on nous a dit. / Moi – mais M. Gallais (sic) n’a-t-il pas dit qu’il n’avait pas voté la condamnation. / Destès (sic) – Non ! il n’a rien dit de son vote. / Moi – Mais alors ce n’est pas ce que m’avait dit M. Bernard Lazare. / B. Lazare – Je l’ai cru – / Destès (sic) – C’est une erreur je n’ai pas dit cela. / Destès (sic) – Au sortir du wagon le lieutt qui me connaissait a dit à Gallais (sic) que j’étais journaliste et le Comdt Gallais (sic) m’a dit qu’il espérait que je n’en ferais pas d’interview ; j’ai répondu : je ne fais pas d’interview forcée » (Collection particulière).
[81]Dans les derniers jours de juin, plutôt, comme le confirme Scheurer dans ses mémoires (op. cit., p. 77), puisque l’entrevue avec Destez, antérieure, eut lieu le 15. Notons que parlant, après, de la deuxième édition (Stock) de la première brochure de Lazare, Scheurer se trompe de date, la faisant paraître vers juillet 1897 quand elle parut dans la troisième semaine de novembre 1896. La lecture de cette nouvelle version, écrit-il, « causa chez moi une très grande agitation intérieure » (op. cit., p. 78).
[82]Dans ses Mémoires, Scheurer écrira à ce sujet : « Je commençais à me préoccuper des apparences que je risquais de donner en me laissant envahir par des ingérences juives. Jusque-là, j’avais agi tout seul ; la correspondance que j’entretenais avec Joseph Reinach n’était à mes yeux que des échanges d’idées personnelles et le moyen pour moi de rester au courant de ce qui se disait à Paris sur cette affaire ; du reste, il était bien entendu entre nous qu’il fallait éviter, comme le feu, toute apparence de commerce avec la société juive. Je me fis donc une règle de n’avoir aucun rapport avec aucun israélite au sujet de l’Affaire Dreyfus et de résister énergiquement à toute tentative de rapprochement de ce genre. Je fus du reste vite compris » (op. cit., p. 108). Sur cette question voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 368-369.
[83]Scheurer-Kestner, en effet, ne voulait pas que le second mémoire de Lazare parût avant qu’il n’eût lui-même agi pour ne pas sembler « être affilié à la bande » (lettre à Joseph Reinach du 11 Sept. 97. B.N. N.a.fr. 24898, f. 258. Cf. Aussi Mémoires d’un sénateur dreyfusard, op. cit., p. 111 ; « Contribution à l’histoire de l’affaire Dreyfus. Lettres de M. Scheurer-Kestner et de M. Leblois (1897) », Le Siècle, 7 mai 1901 – lettres reprises dans Leblois, L’Affaire. L’iniquité. La réparation, Paris, Librairie Aristide Quillet, 1929, p. 500-503 – et Joseph Reinach, Histoire de l’affaire Dreyfus. II. Esterhazy, Paris, Eugène Fasquelle éditeur, 1903, p. 554). De plus, Scheurer considérait que la publication de ces expertises, contradictoires, était « dangereuse » et « de nature à effacer tout le reste, dans l’esprit du gros public » (lettre à Reinach du 22 Septembre 1897, id., f. 262). Il écrira au même, le 27 septembre : « […] je trouve cette publication, au moins inutile et tout ce qui est inutile, dans pareille circonstance, est nuisible. Je considère, par exemple, la conclusion de M. Crépieux-Jamin comme extrêmement dangereuse, par ce qu’elle est fausse. Il dit qu’il est probable que la pièce a été fabriquée dans l’intention de nuire à Dreyfus – c’est faux – archifaux – » (id., f. 264-265). En fait, Lazare, comme Mathieu Dreyfus (op. cit., p. 385-387 et note p. 388-389) se trompaient, attribuant à Leblois des difficultés qui étaient de la responsabilité de Picquart (voir notre Faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes, Paris, Grasset, 2019). En revanche, Lazare ignorait quels étaient, à cet égard, les sentiments de Reinach. Les lettres des 22 et 27 septembre que lui envoya Scheurer indiquent qu’ils agirent de concert et, même, qu’ils envisagèrent d’empêcher la parution du second mémoire. Dans la lettre du 22, Scheurer répondit à Reinach : « […] j’ai eu assez de peine à obtenir l’ajournement de la publication pour que je n’essaye pas d’en demander la suppression ». Finalement, il écrira au même, vraisemblablement au début du mois de novembre : « Je vois qu’il faut que je renonce à empêcher cette sotte publication » (lettre sans date, Samedi, id., f. 274).
[84]Lazare passa tout l’été 1897 dans sa famille, à Nîmes. Sur cette question voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 359, 368, 525. Concernant Leblois et sa stratégie, voir ibid., p. 473-474.
[85]Ce que confirme Vaughan dans ses Souvenirs sans regrets : « Bernard Lazare nous avait fait à Clemenceau et à moi l’offre d’un capital. Il se chargeait de trouver des actionnaires. Nous aurions pu paraître au mois de mars [1897]. Pas de conditions. Bernard Lazare acceptait notre programme. Il se réservait seulement la faculté d’entreprendre la campagne de presse en faveur de la révision du procès Dreyfus ou plutôt de la continuer, ses premières brochures ayant déjà paru. / Nous refusâmes avec ensemble. Nous avions, à la fois, raison et tort. Raison, parce que notre conviction n’était pas faite et que, sans mettre en doute l’incontestable bonne foi de notre ami, nous le supposions guidé plutôt par d’affectueuses sympathies que par des convictions basées sur des preuves matérielles et mathématiques ; tort, en ce que, huit ou neuf mois après, nous nous jetions, à sa suite, à corps perdu dans la mêlée – pour rien » (Paris, Félix Juven éditeur, [1905], p. 44-45). Vaughan raconte encore qu’en réponse à Lazare qui le soupçonnait, une fois L’Aurore fondée, de ne pas vouloir, par antisémitisme, de sa collaboration, il répondit : « Ah ! ça par exemple vous vous trompez. Vous figurerez, en bonne place sur nos affiches ; mais vous me promettez de ne pas vous occuper de l’affaire Dreyfus » (ibid., p. 66). Les articles qu’il donna sur d’autres sujets furent, quand même, l’occasion de parler à mots couverts de l’Affaire (« Nos Mœurs » et « L’Opinion », 21 et 25 octobre 1897).
[86]Stock, 1897. Rééditée en 1993 – sans les expertises d’écritures – aux éditions Allia.
[87]Ou plutôt l’acquittement d’Esterhazy, qui était par contre coup la confirmation de la condamnation du capitaine. Le 12-13 janvier 1898, donc.
[88]La brochure fut publiée par Stock. On aura compris que Lazare veut, par ces derniers mots, dire qu’une nouvelle fois il avait précédé Zola.
[89]Lazare oublie quelques visites, comme celles faites aux anarchistes, à Léon Bourgeois (. S., « L’affaire Dreyfus », La Dépêche, 30 novembre 1897), Lucien Muhlfeld, Léon Blum (Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire, Paris, Gallimard, Folio histoire, 1993, p. 38-39 et 40) et les autres rédacteurs de La revue blanche (Bernard Lazare, op. cit., p. 207), Paul Appell (Lettre de Lazare à Joseph Reinach du 14 août 1897, BNF n.a.fr. 24897, f. 188), Gérault-Richard (Gérault-Richard, « En mémoire de Bernard Lazare », L’Aurore, 18 juillet 1906), Tchékhov, un peu plus tard (Michel Cadot, « Tchékhov et l’Affaire » dans Géraldi Leroy, Les Écrivains et l’affaire Dreyfus, Orléans, PUF, collection université d’Orléans, 1983, p. 88-89), Georges Darien, l’auteur de Biribi et de « l’anti-drumontien » Les Pharisiens, fréquenté du temps de L’Endehors, à qui il avait demandé « de l’épauler, de fortifier par un roman son Dreyfus » (Lettre de Darien à Émile Janvion d’octobre 1904 citée in Valia Gréau, Georges Darien et l’anarchisme littéraire, Tusson, Du Lérot, 2002, p. 382), au pasteur Wagner (Henri Vaugeois, La Fin de l’erreur française, Paris, Librairie d’Action française, 1928, p. 288), à Georges Lecomte (Ma traversée, Paris, Robert Laffont, 1949, p. 345-346). Comme l’écrira Gabriel Bertrand : « Ceux qui ont connu Bernard Lazare en ces premiers mois terribles de l’âpre et rude combat garderont le souvenir ému de sa merveilleuse opiniâtreté et de son courage. Il n’est pas un ami, pas un camarade du journalisme qu’il ne tentait de convaincre, de gagner à la cause de la vérité » (« Bernard Lazare », La Petite République, 3 septembre 1903). Voir aussi le témoignage de Stock : « Que de démarches il a faites pour amener à la cause, et les convaincre, des savants, des journalistes, des écrivains, des hommes politiques, etc. ; jamais rebuté, malgré de cuisants échecs » (Mémorandum d’un éditeur, op. cit., p. 44).
[90]Il se tut en effet. Après cette date, son nom n’apparut plus guère. Il ne collabora pas aux dreyfusards La Volonté, Le Rappel, Le Radical, Les Droits de l’Homme ou au Journal du peuple que fonda et dirigea son ami Sébastien Faure et qui avait fait annoncer sa collaboration qu’il pouvait considérer, à juste titre, comme acquise et ce d’autant plus qu’il en avait assuré le financement (voir notre Bernard Lazare, op. cit., p. 243-247 et notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 677-678 et 806-807). S’il collabora au Siècle, ce ne fut que pour une unique lettre ouverte, en avril 1899. De même, il se fit de plus en plus rare dans L’Aurore où il pouvait, pourtant, maintenant parler, en toute liberté, de l’Affaire. Il ne donna au journal de Vaughan et de Clemenceau que quatre articles – entre le 13 août et le 7 septembre 1898 – et un unique article en 1899. Et encore, ces articles comme la lettre ouverte du Siècle n’étaient-ils que des précisions ou des rectifications sur la façon dont il avait eu connaissance de certains documents. On ne put lire son nom, non plus, dans les deux listes de protestation de janvier 1898 que firent circuler ses amis Lucien Herr et Mathias Morhardt (ou dans « L’Adresse à Zola » des artistes et hommes de lettres, publiée dans L’Aurore du 2 janvier 1898), pas plus que dans la table des matières de L’Hommage des Lettres françaises à Émile Zola à l’origine duquel étaient deux autres grands amis, Mécislas Golberg et Léon Parsons. Il se tenait bien en retrait. Les seuls articles qu’il publia (hormis le remarquable « Henry » dans L’Aurore), dans lesquels il laissait libre cours à ses idées et à ses sentiments, ne furent pas destinés au public parisien. Il les donna au très préfectoral Courrier de Lyon – auquel collaboraient aussi Ranc, Hector Depasse et Parsons – ou à des revues anglaises et américaines : The Graphic, The North American Review et au Chicago Record (cette dernière série publiée dans les Cahiers de l’affaire Dreyfus, n° 1, 2003). Mais s’il se tut, il ne demeura pas inactif. Il faut, pour tout savoir de cela, lire les pages de notre Bernard Lazare, op. cit., p. 275-282. Il reste à se demander pourquoi il fut tenu à l’écart. A la fin de l’année 1897, Lazare, qui avait fait l’actualité avec sa seconde brochure et avec la fable du « syndicat moral » (cf. note 62), devenait un allié dont le nom seul équivalait à une levée de boucliers et qui, ainsi, pouvait compromettre l’action des autres dreyfusards. Mais à côté d’une telle raison, « tactique », il y avait aussi des raisons « politiques » et, même, personnelles. Politique, comme celle due sans doute à l’influence de Scheurer qui ne voulait pas, on l’a vu, que l’Affaire devînt une affaire juive, au moment où Lazare parlait de machination antisémite et commençait à s’engager dans la voie nationaliste juive. Personnelle, aussi, celle qu’il faut sans doute, avec Salomon Reinach, attribuer – après son engagement à partir de juillet 1898 – à Picquart (cf. note 50). Pour plus de détails, voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 525-527.
[91]Cette page, comme la suivante concernant Coppée, figurent sur deux feuillets à part.
[92]On en lira les extraits essentiels dans notre article « Émile Zola et Bernard Lazare », Les Cahiers naturalistes, cité.
[93]En mai. Ces deux lettres sont données intégralement dans « Émile Zola et Bernard Lazare », art. cit.
[94]« Un traître », Le Journal, 23 décembre 1894.
[95]Il lui dira, confiera Lazare à Jean-Bernard : « […] je tiens à vous dire combien ce que vous faites là est courageux et brave. Seul, contre toute l’opinion publique. C’est beau ! » (op. cit., p. 338).
[96]Coppée, en effet, eut bien faillit n’être pas l’antidreyfusard que l’on sait : voir notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 830-831. Dans L’Aurore, le 15 juin 1898, à l’occasion de la parution de La Bonne Souffrance, Lazare écrira : « Jadis, vous auriez peut-être tiré de l’indifférent bongarçonisme du poète l’aumône d’une parole de pitié, sinon un cri de colère contre l’injustice et le mal. N’allez pas aujourd’hui demander au représentant que “la souffrance a rendu meilleur” de tendre la main a quelque misérable, il vous répondra que les actes ne sont rien, que la foi seule sauve. Il a clos ses oreilles et son cœur et, un pied dans la tombe, il n’a plus songé qu’a s’assurer l’éternel délice du paradis. / Je suis allé un jour trouver ce vieillard que “la souffrance a rendu meilleur”, je lui ai dit de parler à ceux qui l’écoutent, je lui ai dit la terrible agonie d’un homme qui sera, pour l’histoire future, un des plus pitoyables martyrs de ce temps qui compte tant de martyrs, martyrs sacrifiés par les haines, l’égoïsme et les préjugés. J’ai fait appel non à sa raison, mais à cette bonté qu’il affichait et dont il tirait profit ; au nom du juif crucifié qu’il adore il a refusé sa pitié au juif que je défendais. D’autres encore, et encore pour le même, on fait appel à lui : il a bavé sur ceux-là, et à ceux qui lui parlaient des innocents qu’on envoie au bagne, des forçats que l’on torture, des révoltés qu’on traque, des humbles soldats qui périssent dans les ergastules d’Afrique ou dans les marais coloniaux – à ceux qui lui disaient le droit méconnu, la justice violée, à ceux-là il a répondu en demandant que la France fût gouvernée par les anciens gardes-chiourmes de Biribi, ou par les bourreaux qui opèrent à Madagascar et à Sikisso. / Pauvre homme qui n’a pas su encore comprendre que la “bonne souffrance” n’est pas celle qui rapproche d’un dieu imaginaire, mais celle qui rapproche de la souffrance, des misères et des douleurs d’autrui ». Sans doute avait-il lu ces quelques propos – pour le moins surprenants – de Coppée, publiés le 1er décembre 1897, dans La Patrie : « J’ai lu – comme tout le monde a pu le faire – la brochure de Bernard Lazare. Je n’y ai rien trouvé qui puisse me faire varier dans mon opinion. / Je suis persuadé, certain, que les sept officiers qui ont jugé Dreyfus, en pleine connaissance de cause, après avoir lu et relu les pièces accusatrices ; vu les preuves palpables de la culpabilité de cet officier félon, ne se sont pas trompés. / Que les défenseurs apportent les preuves de l’innocence de leur protégé, alors on verra ; mais d’ici là, rien ne peut innocenter Dreyfus à mes yeux ». A la question du reporter qui voulait avoir des détails sur « ces gens de la bande qui seraient passés ici pour [le] convaincre », il répondit – plus surprenant encore : « Des gens, dont je ne me rappelle même plus les noms, sont venus il y a quelques mois me parler du déporté de l’île du Diable… émaillant leur conversation de sous-entendus, mettant en doute l’équité du jugement prononcé ; mais ce fut tout. Devant l’effet négatif que leurs insinuations produisirent sur moi, ils s’en allèrent pour ne plus revenir… » (cf. aussi L’Intransigeant du même jour). Inquiétante amnésie ou honorable refus de se joindre au chœur de ceux qui dénonçaient le pseudo-Syndicat ? Sur son passage à l’antidreyfusisme voir aussi notre Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, op. cit., p. 832.
[97]Ces deux pages se trouvent dans le fonds Reinach de la Nationale sous une côte différente de celle des pages précédentes (n.a.fr. 24899, f. 92-93).
[98]Fernand Desmoulin, graveur, était un ami de Zola.
[99]Cet article est inconnu d’Alain Pagès, Cf. Émile Zola, un intellectuel dans l’affaire Dreyfus, Paris, Librairie Séguier, 1991, p. 271-272.
[100]Ernest Vizetelly.
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