Anne-Cécile Lévy-Ouazana, arrière petite-fille du capitaine, a eu la gentillesse de nous faire parvenir un billet inédit de Picquart à Dreyfus, en date du 13 juillet 1906, soit au lendemain de l’arrêt de la Cour de cassation réhabilitant Dreyfus :
Mon cher Dreyfus,
Je vous remercie de votre petit mot. Je me figure votre joie et celle de tous les vôtres. J’aurais préféré, vous le savez, le conseil de guerre, mais je ne m’entête pas. Cela vaut peut-être mieux ainsi.
Mes respects à Madame Dreyfus et cordialement à vous.
G. Picquart.
Ces quelques mots sont passionnants et méritent quelques commentaires. Le premier point est que Picquart répond ici à « un petit mot de Dreyfus » qui, vraisemblablement dès le rendu de l’arrêt (midi et quart), lui avait écrit pour le remercier et partager avec lui ce moment qui était leur victoire. Voici qui annule, encore une fois (voir ici et voir notre essai sur Picquart), la fable du Dreyfus indifférent et ingrat et qui montre aussi la volonté qui fut toujours la sienne de passer sur les affronts, les attaques et les insultes de ceux qui avaient pris sa défense. Souvenons-nous qu’un mois plus tôt, à la première audience des débats de la Cour, Mathieu était venu voir Picquart pour tirer un trait sur les différents à l’origine de leur rupture de 1900. On se souvient peut-être de ce passage des souvenirs de Mathieu Dreyfus :
N’était-ce pas le moment, dans la joie de l’approche de la définitive victoire, dans la sérénité du lieu, d’oublier nos mutuels et mesquins griefs, d’étendre un voile sur nos erreurs pour ne nous souvenir que des souffrances partagées dans la lutte commune ? N’était-ce pas pour moi l’heure, à l’issue de cette première audience de la Cour suprême, d’aller au-devant de Picquart que je n’avais pas revu depuis 1900 et de lui tendre la main ?
Lorsque l’audience fut levée, je me dirigeai vers lui et je lui tendis la main. Picquart la repoussa d’un geste et se tourna d’un autre côté. Mme Zola qui avait vu la scène eut les yeux pleins de larmes et en proie à un trouble profond, elle me dit des mots que je ne compris pas. D’ailleurs j’étais moi-même très ému, très en colère. Cependant je restai impassible sous l’insulte, et je ne prononçai pas une parole au geste de Picquart. Je me hâtai de saluer Mme Zola et de quitter la salle d’audience.
Le second point est que Picquart, qui avait perdu la bataille de la cassation avec renvoi vers un nouveau conseil de guerre – bataille qu’il avait menée dans la presse en sachant les risques que pouvait représenter une nouvelle comparution du double condamné de Paris et de Rennes –, acceptait sa « défaite », se rendant à la raison après avoir extraordinairement soutenu que « jamais un conseil de guerre français ne se solidarisera consciemment avec la fraude et le mensonge. » Mais il acceptait parce qu’il n’avait d’autre choix mais tenait malgré tout à marquer son incertitude du bien-fondé de la solution (« peut-être »). Et si le mois suivant, il pouvait écrire à une amie qu’il fallait se « féliciter d’avoir vu enfin réhabiliter l’innocent », Rennes ayant montré « que malgré les efforts faits ce n’était point chose facile », il n’oubliait pas les griefs qu’il formulait depuis 1900 à l’égard des Dreyfus en notant que « cela avait tant traîné par suite de la lâcheté des uns, de l’indifférence des autres. » La fameuse « pusillanimité de ces juifs » dont il parlait dans une lettre de 1901 à Olympe Havet, pusillanimité qui « nous oblige à nous taire devant cet argument qui est vraiment sans réplique puisque la lâcheté des intéressés ne nous permet pas même de dire qu’ils essaient de se révolter contre la flétrissure dont ils sont marqués ».