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Le nouveau volume d’Adrien Abauzit. Partie I (des mensonges de l’histoire officielle, de la famille franco-allemande de Dreyfus, de ses amies espionnes, de la mort de Félix Faure et de quelques autres sujets, secondaires)

La SIHAD […] n’a rien trouvé à répondre sur l’essentiel du livre,
alors qu’elle sait être bavarde.

Adrien Abauzit a publié il y a quelques mois un nouveau volume, son quatrième, sur l’Affaire : L’affaire Dreyfus. Dérobades et diversions. Il est, pour l’essentiel, une réponse à notre dernière critique (celle de son troisième volume) et, nous dit-il, une démonstration de ce que la SihaD, composée d’« historiens professant le crédo dreyfusard, ne crai[nt] pas, pour bâtir [son] récit, de prendre de grandes libertés avec les pièces du dossier et de passer sous silence la contradiction antidreyfusarde » (4e de couv.). Nous accusant de nous dérober en ne discutant pas son argumentation quand ce n’est pas en l’ignorant tout à fait, de pratiquer aussi par diversion en « focalis[ant] bien souvent l’attention sur des aspects secondaires », Adrien Abauzit annonce dans son propos liminaire qu’il va « remettre l’affaire à l’endroit, ce qui implique d’anéantir les propos boiteux et les sophismes qui [lui] sont opposés », une véritable « démolition de la nouvelle argumentation adverse » (p. 9).

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L’Affaire Dreyfus. Nouvelle réplique au camp dreyfusard par Adrien Abauzit

Adrien Abauzit vient de rééditer l’exploit : écrire sur l’Affaire sur la base d’un corpus minimal dont il ne retient que ce qui « colle » avec sa « thèse », dont il oublie, avec une constance obstinée, ce qui viendrait la contredire et propose au final des interprétations forcées qui feront plaisir à ses lecteurs habituels, ceux qui veulent, parce qu’il le faut, que Dreyfus soit coupable.

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Adrien Abauzit à Radio Courtoisie

On continue…

2’20. Dreyfus innocent, Esterhazy coupable n’est pas le dogme républicain mais la vérité historique.

2’40. Il n’y a pas d’antisémitisme dans l’armée puisqu’à l’époque de l’Affaire, il y avait 300 officiers israélites dans l’armée française dit Adrien Abauzit. Nous sommes heureux de voir qu’Adrien Abauzit a corrigé l’erreur (empruntée sans vérification à Monique Delcroix) de son livre : 10 % d’officiers israélites dans l’armée française ; soit : pour 28 000 officiers, 3 000 officiers israélites ! Il y en avait bien 300 en effet mais que prouve ce chiffre et qu’est donc ce raisonnement ? Eût-il fallu qu’il n’y en eût aucun pour qu’on puisse parler d’antisémitisme ? Ce serait dans ce cas un antisémitisme d’État comme en Allemagne où la carrière militaire était fermée aux juifs. En France, tel n’était pas le cas, et la possibilité d’entrer dans la carrière d’officier en passant par les écoles (Saint-Cyr, Polytechnique, etc.) explique en grande partie que le nombre d’officiers israélites put ainsi passer un peu avant l’Affaire de 2 à 10 pour mille. Certes, les officiers juifs connurent pour la plupart un avancement normal et quelques-uns (plus que rares, à vrai dire) devinrent généraux. Mais cela n’empêche aucunement (et il faut lire les travaux du général Bach, de Pierre Birnbaum, de William Serman, de Jérôme Hélie) que bon nombre d’officiers, issus ou non de la rue des Postes, étaient antisémites…

3’03. Le fait que Dreyfus soit entré à l’État-major n’est aucunement le signe que « l’armée n’était pas structurellement antisémite » mais qu’il avait eu à l’École de Guerre le classement nécessaire pour y entrer. Les 10 premiers y entraient et Dreyfus avait été classé 9e. Un classement inattendu d’ailleurs dans la mesure où il s’était vu attribuer, lui comme son condisciple Picard, autre juif, par le général de Bonnefond, un 5 à la note dite « cote d’amour », note subjective d’appréciation d’aptitude au service d’état-major… Un 5 qui ferma la porte de l’Etat-major à Picard qui passa au-delà de la 10e place mais pas à Dreyfus qui, mauvais calcul, passait de la 5e à la 9e.

3’20. « S’il y avait des individus [antisémites] on ne peut pas dire que structurellement l’armée française était antisémite ». Elle ne l’était pas, « structurellement », parce qu’elle ne pouvait l’être dans une République qui considère ses fils comme étant tous égaux… Une réalité dont souffrirent beaucoup d’officiers supérieurs, monarchistes, nationalistes, antisémites, qui devaient « faire avec » puisque telle était la loi… Elle ne pouvait donc l’être « structurellement » mais le préjugé y était, fort, répandu… Du Paty de Clam, d’ailleurs, dans ses souvenirs inédits (qu’Adrien Abauzit aurait pu lire en allant en bibliothèque), raconte que son chef, le général Delanne, lui avait dit peu avant l’Affaire, quand la possibilité de la venue d’un stagiaire juif à l’État-major s’était présentée : « Pas de Juif ici ! »…

3’29. La confrontation des pièces du dossier. Tout avocat qu’il soit, Adrien Abauzit ne peut nous dire qu’il a confronté les pièces du dossier qu’il a lues en partie et qu’il a vite lues… Il ne cite jamais, dans son ouvrage, que celles de l’accusation, passe sous silence celles de la même source qui contredisent sa thèse (voir https://affaire-dreyfus.com/2018/10/12/un-ersatz-du-dutrait-crozon-laffaire-dreyfus-entre-farces-et-grosses-ficelles-dadrien-abauzit/) et ne fait jamais (ou à de si rares reprises) mention de celles de la défense.

4’55. Monsieur de Latour, le bordereau ne démontre aucunement qu’il y a un traître à l’État-major mais qu’il y a un traître dans l’armée française… La différence est de taille. Et le bordereau dit même qu’il ne peut émaner de l’État-major : pourquoi son scripteur aurait-il écrit, si ce n’était le cas, à propos du manuel d’artillerie, que, « extrêmement difficile à se procurer » il ne pouvait l’avoir à sa « disposition que très-peu de jours. Le ministère de la guerre en a envoyé un nombre fixe dans les corps et ces corps en sont responsables, chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres ? » Seul un officier de troupe pouvait écrire cela… Dommage qu’Adrien Abauzit, qui confronte, n’ait rien confronté à ce sujet et ait préféré passer sous silence cette évidence.

5’44. Jean Jaurès ne réclama jamais la peine de mort… Il fut toujours, comme 99 % des socialistes, contre ! Il déposa, « au nom de [s]es collègues socialistes », une proposition de loi visant, dans la mesure où un officier convaincu de trahison avait eu la vie sauve, à ce que les soldats ne soient plus passibles de la peine de mort pour le moindre manquement à la discipline. Il faudrait vraiment arrêter ces raccourcis vertigineux.

7’13. « Incise »… Non Adrien Abauzit : une parenthèse, une précision, etc.

7’56. Monsieur de Latour, Dreyfus n’a jamais demandé sa grâce. On le lui a offert, il n’en voulait pas et l’accepta finalement…

8’35. La cassation sans renvoi. Elle n’est pas sans raison et ce n’est aucunement un scandale ou une violation du droit… La chose est trop longue à développer ici et nous nous permettons de renvoyer à un ouvrage qui fait le point sur la question : L’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours par Philippe Oriol (Les Belles Lettres, 2014).

11’50. Puisqu’il était question dans le bordereau du canon de 120, le traître devait être passé par l’école de Pyrotechnie et seul Dreyfus y était passé, dit Adrien Abauzit. Dreyfus était certes passé par l’école de Pyrotechnie de Bourges mais de septembre 1889 à avril 1890, autrement dit 4 ans avant l’Affaire. En fait, le bordereau n’a jamais parlé du canon de 120 en soi mais du « frein hydraulique du 120 et [de] la manière dont s’est conduite cette pièce ». Et à vrai dire, non pas du frein hydraulique qui n’était pas le sujet mais du frein hydropneumatique (confusion qu’un artilleur ne pouvait faire). Un frein qui n’a été fabriqué que bien plus tard et dont, dira le commandant Baquet, « les premiers dessins exacts et complets […] ne sont sortis de la fonderie que le 29 mai 1894, où ils ont été envoyé au Ministère pour l’établissement des tables de construction du canon court. » Quant à la première décision de faire des essais – la seule qui compte pour dire comment s’était comporté le frein –, elle ne datait pas du passage de Dreyfus à l’école de Pyrotechnie mais du 13 février 1894, avait été confirmée le 16 mai 1894, et les essais prescrits avaient eu lieu pendant les écoles à feu. Des écoles à feu (5 au 9 août 1894) auxquelles n’assista pas Dreyfus mais auxquelles assista Esterhazy… tiens donc… C’est à ce résultat qu’Adrien Abauzit aurait dû parvenir s’il avait confronté les faits et les documents…

12’37. Dreyfus fréquentait des espionnes. Si Dreyfus eut en effet quelques fréquentations féminines, le fait qu’elles fussent espionnes n’a jamais pu être prouvé. Heureusement qu’Adrien Abauzit est avocat et non pas procureur…

12’46. Les nombreux témoignages contre Dreyfus. Ils furent en effet nombreux ces témoins qui trouvaient que Dreyfus travaillait tard, posait des questions, etc. un peu comme le ferait un bon élève qui veut réussir. Après la réhabilitation, un des camarades qui avait fait partie de ces témoins, écrira à Dreyfus pour expliquer son attitude de 1894 : « Quand, en 1894, le sous-chef d’état-major nous réunit pour nous dire que tu étais coupable et qu’on en avait les preuves certaines, nous en acceptâmes la certitude sans discussion puisqu’elle nous était donnée par un chef. Dès lors nous oubliâmes toutes tes qualités, les relations d’amitié que nous avions eues avec toi pour ne plus rechercher dans nos souvenirs que ce qui pouvait corroborer la certitude qu’on venait de nous inculquer. Tout y fut matière. »

13’20. Le caractère affligeant de la défense. Comment Adrien Abauzit peut-il connaître cette défense d’un procès à huis-clos dont, par définition, ne demeure rien ? Quelle blague !

13’35. La dictée. Dreyfus n’a jamais changé son écriture et il suffit de voir le document pour en être sûr (voir https://affaire-dreyfus.com/2018/10/12/un-ersatz-du-dutrait-crozon-laffaire-dreyfus-entre-farces-et-grosses-ficelles-dadrien-abauzit/). L’avocat de Dreyfus, Demange, a reconnu cette courbe de l’écriture que ne permet pas de voir l’original, c’est vrai. Mais toute sa plaidoirie de Rennes reposait sur le fait de ne jamais contredire les militaires et s’ils avaient vu une courbe, il était prêt à la voir aussi. Quant à Dreyfus, il ne l’a jamais reconnue. Adrien Abauzit doit non seulement ne plus se contenter de dire qu’il confronte les textes mais le faire et surtout ne pas y lire ce qui n’y est pas écrit. Voici exactement ce que dit Dreyfus à Rennes : « Quand le commandant du Paty de Clam m’a fait la dictée, au bout d’un certain nombre de mots, il m’a demandé : “Qu’avez-vous ? Vous tremblez ?” Je ne tremblais pas du tout. L’interpellation m’a paru tout à fait insolite. Faites une interpellation pareille à quelqu’un qui est en train d’écrire, et vous verrez. L’interpellation m’a donc paru insolite. J’ai cherché dans mon esprit pourquoi cette interpellation. Je me suis dit “Il est probable que c’est parce que j’écris lentement, et en effet, j’avais les doigts raidis. Il faisait froid dehors ; c’était le 15 octobre, et il faisait si froid qu’il y avait, il faut bien vous le rappeler, un très grand feu allumé dans le cabinet du chef d’État-major. Je pensais que l’interpellation provenait de ce que j’avais écrit lentement, et c’est précisément parce que j’avais les doigts raidis. C’est pour cela que j’ai répondu “J’ai froid aux doigts”, mais l’interpellation me paraissait tout à fait insolite. » Dreyfus ne reconnaît aucunement avoir changé son écriture. Enfin, relativement à la température, il faisait ce matin-là 9°, ce qui est froid surtout dans les grands appartements de la rue Saint-Dominique ce qui justifiait justement le grand feu dont parle Dreyfus et que personne ne contredira. Pour finir un dernier point. Adrien Abauzit voit dans ce document ce que Du Paty y a vu. Mais il ne faut pas oublier que cette dictée était une mascarade et que contrairement à ce qu’avait dit Du Paty au ministre – à savoir que si l’expérience n’était pas concluante, il n’arrêterait pas Dreyfus –, Mercier lui en avait donné l’ordre. Car le 14, veille de la dictée, Mercier avait signé l’ordre d’arrestation, officiellement confié l’instruction à Du Paty, nommé officier de police judiciaire, et annoncé à Forzinetti, directeur du Cherche-Midi, la visite, pour le lendemain matin 1 heure, du lieutenant-colonel d’Aboville chargé de lui faire « de [sa] part une communication confidentielle ». Dreyfus devait donc se troubler…

16’24. L’hypothèse Esterhazy : farfelue ! Le petit bleu est faux parce qu’il n’est pas signé, qu’il n’est pas de l’écriture de Schwartzkoppen et parce qu’il n’est pas timbré. Tout d’abord, puisqu’il a été trouvé dans la poubelle de l’ambassade d’Allemagne, il ne pouvait être timbré, sans quoi il eût été extraordinaire qu’il s’y trouvât. Comment parti de l’ambassade et arrivé chez Esterhazy aurait-il pu revenir à l’ambassade ? Adrien Abauzit reprend ici encore l’argumentaire de l’accusation mais devrait réfléchir un peu, juste un peu, et un peu plus que ne le firent ses prédécesseurs dont il récupère en se les appropriant les arguments… Pour le reste, c’est justement la meilleure indication de sa véracité. Il n’est pas timbré et est déchiré par ce que finalement il ne fut pas envoyé (d’où sa présence dans la poubelle de l’ambassade), il n’est pas signé parce qu’on signe rarement quand on écrit à un espion et s’il n’est pas de l’écriture de Schwartzkoppen, il pouvait l’être de celle d’un (un, pas « une ») de ses secrétaires. Car enfin, s’il était un faux, réalisé par Picquart comme le soutient Adrien Abauzit, pourquoi faire un document qui pouvait ainsi ouvrir à la discussion ? N’eût-il pas été plus simple, dès le départ, de faire imiter l’écriture de Schwartzkoppen, de signer le faux de son nom, de ne pas oublier l’oblitération, de ne surtout pas le mettre dans les cornets de la Bastian et de faire croire qu’il avait été saisi à la poste ou mieux même, puisqu’Esterhazy était complice, de le lui envoyer ? Et puisqu’il s’agissait de sauver Dreyfus, n’aurait-il pas été aisé et surtout judicieux de ne pas oublier d’y mettre une phrase d’une grande clarté sur son innocence ?

18’16. L’exemple de la lettre de Macron. Si Adrien Abauzit, comme il l’a fait sur Patrioteinfo, nous montre une lettre de Macron, d’une autre écriture, non signée et non timbrée, il s’agira en effet d’un faux. Mais si cette lettre est trouvée dans la poubelle de Macron, nous aurons l’indication qu’elle vient bien de chez lui…

18’28. Qu’Esterhazy ait livré les documents n’est pas démontré. C’est vrai. Mais rien non plus ne prouve que Dreyfus l’ait fait. Et pourtant, à la différence de Dreyfus qui n’a pu livrer la plupart des documents (et la preuve s’en fait sans peine quand on confronte les pièces du dossier plutôt que de l’affirmer), Esterhazy le pouvait grâce à ses séjours au camp de Châlons : Carvallo l’a dit à Rennes, à partir du 7 avril 1894, les officiers d’artillerie avaient eu à leur déposition « une description complète du frein hydropneumatique ». S’étant rendu à Châlons, Esterhazy aurait pu se la procurer. De même de la question des troupes de couverture dans laquelle le 6e corps d’armée jouait un rôle essentiel, 6e corps d’armée basé à Châlons… et si Esterhazy n’avait pu là obtenir les renseignements dont il avait besoin il lui aurait suffi de lire et de résumer le Journal des sciences militaires qui s’était intéressé à la question dans son numéro de mai 1894. Relativement aux modifications apportées aux formations de l’artillerie, nous savons qu’elles avaient été mises en application, toujours à Châlons, et au moment même où Esterhazy s’y trouvait. Concernant Madagascar, on pourrait rappeler les différentes publications qui livrèrent sur le sujet des informations ou, rappeler que le colonel de Torcy, chargé de préparer l’expédition, était alors affecté à Châlons où Esterhazy aurait très bien pu recueillir quelques informations. Le manuel de tir était à la disposition de tous et avait même fait l’objet d’une édition autographiée. Il n’était donc pas difficile de se le procurer, contrairement à ce qu’en dit Esterhazy dans le bordereau pour lui donner de la valeur. Et faut-il rappeler que la phrase du bordereau : « le ministère de la Guerre […] a envoyé un nombre fixe dans les corps et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres » ne peut indiquer qu’une chose : que son auteur ne pouvait être qu’un officier d’un corps, comme l’était Esterhazy et non un officier d’État-major qui n’avait aucune raison de parler de ce qui se passait dans les corps. Demeurent les manœuvres. Marcel Thomas a prouvé qu’Esterhazy avait assisté « à des manœuvres de garnison » à la fin d’août 1894. Cela pourrait suffire dans le cas où nous ne voudrions pas considérer, ce qui nous semble pourtant probable, qu’il ne s’agissait là encore que d’un mensonge visant à rendre intéressante sa « collaboration ». Même écriture, même papier, possibilité de fournir les documents, relation établie avec Schwartzkoppen…

19’03. Esterhazy n’avait aucune chance d’être condamné lors de son procès. C’est vrai… Mais parce que l’instruction avait été dirigée, le conseil de guerre tout autant et cela pour la simple raison que l’État-major ne pouvait revenir sur son erreur de 1894 sans perdre tout crédit et sans envoyer Mercier en prison.

19’33. Comment Esterhazy, ruiné, a-t-il pu vivre en Angleterre ? Grâce à ses petites combines, à des cours de français, à l’aide de quelques amis antisémites (de Boisandré) et surtout à sa collaboration régulière à La Libre Parole puis à L’Éclair alors dirigé par Judet. Mais il eut des moments difficiles, en effet, et des lettres de lui de cette époque, conservées dans quelques bibliothèques ce qu’Adrien Abauzit, comme toujours, ignore, en témoignent. Et c’est étonnant qu’il les ignore puisque Marcel Thomas en parle dans son second livre dont il cite un propos. Il n’en aurait donc lu qu’un page ?

19’57. Esterhazy se déclare auteur du bordereau pour permettre la révision refusée par la commission consultative du ministère de la Justice soutient Adrien Abauzit. Tout d’abord la commission ne vota pas contre mais ne put se départager, à 3 voix contre 3, égalité qui laissait donc la question ouverte… Il faudrait ne pas dire n’importe quoi… Et il ne fallait pas un prétexte au gouvernement qui s’il avait voulu en avoir un, l’avait depuis le faux Henry… La révision était dans les tuyaux depuis cette fracassante nouvelle et c’est pour ne pas la voter que Cavaignac, Zurlinden puis Tillaye avaient auparavant démissionné.

23’17. La réforme de Picquart. En arrivant à la Section de statistique, en effet, il a exigé que tous les documents passassent dorénavant par lui. Pourquoi ? Pour avoir toute latitude pour y introduire des documents ? Enfin… Il fit cela pour remettre de l’ordre dans un service qui était alors désorganisé et pour rétablir la chaîne de commandement. Et d’ailleurs, comme il le racontera, il arrêtera vite, rebuté par l’aspect fastidieux du travail. Et quelles preuves pour affirmer que son introduction du petit bleu dans les cornets de la femme de ménage est « indiscutable ». Quant au procès Zola, sa défense n’est pas affligeante… Elle est en demi-teinte à un moment où il espérait, suivant les promesses qui lui avaient été faites, retrouver les bonnes grâces de ses chefs s’il savait se montrer « bon soldat ».

25’17. Mathieu le farceur. L’affaire de la voyante Léonie est vraie ou tout au moins il est vrai que Mathieu consulta une voyante… Le fait indique bien tout le désespoir du frère, prêt à tout pour trouver la solution. Mais dire que c’est ainsi que Mathieu Dreyfus fut au courant de la violation du droit commis au procès de 1894 est une farce absolue… Mathieu fit en effet ces expériences au cours desquelles Léonie lui parla des pièces secrètes soumises aux juges et, dans ses mémoires, explique qu’il « n’insist[a] pas » (p. 51), n’ayant sans doute pas compris… Ce sont les témoignages de Gibert, Develle, Reitlinger, Salles, etc. qui lui apprirent l’illégalité.

28’45. Le complotisme dreyfusard. Il est clair que les jésuites ne firent pas grand-chose et que les dreyfusards s’emballèrent à ce propos quelque peu. Les Assomptionnistes furent bien plus dangereux et le Comité Justice-Égalité d’une nocivité indiscutable. Mais cela dit, parler de complotisme dreyfusard ne devrait pas se faire en développant un autre complotisme, celui d’une alliance générale contre l’armée et l’Église. Et s’il y eut une volonté politique de républicaniser l’armée (on ne peut reprocher à la République de vouloir républicaniser), fût-ce par des moyens condamnables (l’affaire des fiches, qui soit dit en passant était la manière dont le Comité Justice-Égalité organisait à l’échelle locale les élections), c’était en effet parce qu’elle avait pris de curieuses habitudes et se considérait comme pouvant agir à sa guise au mépris de toutes les règles comme le montra l’affaire Dreyfus. Quant à penser que la République aurait « monté » l’Affaire juste pour mettre au pas l’armée, c’est à crever de rire… Elle avait bien d’autres moyens, tellement plus simples…

Un ersatz du Dutrait-Crozon : L’Affaire Dreyfus, entre farces et grosses ficelles d’Adrien Abauzit

1909 et 1924 : Dutrait-Crozon ; 1925 : Roget ; 1963 : Henriette Dardenne ; 1978 : Tixier-Vignancour ; 1982 : Figuéras ; 1988 : Galabru ; 1989 : Figuéras ; 1993 : Brigneau ; 1995 ou 1996 Galabru ; 1998 : Amyot ; 2000 : Delcroix ; 2010 : Plouvier… un siècle de publications antidreyfusardes…

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Adrien Abauzit sur Temporium Radio

Cette excellente radio recevait le 20 Adrien Abauzit. Comme toujours, nous rectifions les erreurs, approximations, inventions de l’auteur de L’Affaire Dreyfus, entre vérités et grosses ficelles.

La vidéo n’existant aujourd’hui plus, nous ne donnons que nos commentaires….

6’50. « Vous avez repris l’intégralité des procès de cette affaire ». Non ! Adrien Abauzit n’a travaillé sur aucune des procédures non publiées et conservées dans divers centres d’archives : il ignore l’instruction Pellieux, l’ instruction Ravary, les deux instructions Tavernier, l’instruction contre de Pellieux ; et encore les procès connexes : le procès Henry-Reinach, le procès Rochefort Valcarlos, le procès des ligues, le procès en Haute-Cour, le procès Grégori. Il n’a pas travaillé sur les ouvrages parus depuis le Bredin et n’a rien vu de la presse de l’époque ou des sources archivistiques pourtant essentielles à la connaissance de l’Affaire.

8’46. L’ouvrage de Bredin… Un des plus récents… Le Bredin est un un essai historique et littéraire plus qu’un livre d’historien date de 1983 ! Il y a 35 ans… Il a paru tellement de livres depuis, et tellement fondamentaux…

10’51. Le « procès Zola dans lequel on voit […] Picquart […] extrêmement en difficulté et en qualité d’avocat je trouve sa défense lamentable. Si malgré le fait qu’il soit si bien entouré, il n’a que ça à se mettre sous la dent, c’est qu’il y a un problème ». Non. Si Adrien Abauzit avait travaillé sur les sources, avait mieux lu les procédures (tout est dit dans la seconde enquête de la Cour de cassation) ou avait lu quelques livres parus depuis le Bredin, il aurait découvert que Picquart ne se défendit pas au procès Zola parce qu’on lui avait fait miroiter, s’il se conduisait bien, un retour en grâce. Et il y crut…

11’58. « Il y a eu un procès Esterhazy en janvier 1898 si ma mémoire ne me fait pas défaut » !!! Comment un auteur qui fait un livre en grande partie sur Esterhazy peut-il ne pas être sûr de la date du procès du personnage en question ?

12’45 Arrêt de 1906 violation du droit. Non. La rédaction de l’article 445 ne ferme absolument pas la porte à une cassation sans renvoi.

17’40. Bastian ne faisait pas sa livraison tous les jours, un mois après avoir récupéré les documents le plus souvent dit l’interviewer. Et Adrien Abauzit de répondre que « ça dépend », « c’est variable ». Non. Elle livrait plusieurs fois par semaine (donc quelques jours après) et la chose est importante parce qu’elle écroule un argument d’Adrien Abauzit à propos d’une pièce.

18’36. Le bordereau indiquait la présence d’une taupe à l’État-major. Non. Ça c’est la thèse de l’accusation (et d’Adrien Abauzit) que rien ne prouve. Le bordereau indiquait qu’il y avait une taupe dans l’armée ! La différence est essentielle…

19’30. L’influence de l’espionne madame Bodson. Il s’agit là d’une pure invention. Si la relation de Dreyfus avec Bodson est avérée, il ne fut jamais dit, par personne et pas non plus par l’accusation, qu’elle fut une espionne. Rien, nulle part, dans aucun document, dans aucune archive, n’évoque de relations d’espionnage de la Bodson.

19’50 Amorçage qui expliquerait le verdict de Rennes à 10 ans. Quelle preuve de cet amorçage ? Aucune. Et si Dreyfus avait « amorcé », n’aurait-il pas dit pour se disculper ce qu’il avait livré, quand, comment ? Et soutenir que le verdict de Rennes pourrait s’expliquer ainsi est une affirmation gratuite qui relève de l’astrologie.

21’. Attention attirée sur Dreyfus parce qu’il fallait passer par tous les bureaux pour avoir les documents du bordereau et que Dreyfus, stagiaire, est passé par ces bureaux. De plus Dreyfus était artilleur et le bordereau ne pouvait avoir été écrit que par un artilleur. Telle est la thèse de l’accusation que nous savons aujourd’hui fausse. Le bordereau contient des approximations de vocabulaire qu’un artilleur n’aurait pu commettre, la phrase sur le manuel de tir prouve (si on veut bien faire attention au texte) que son scripteur n’était pas à l’État-major et les notes fournies par le bordereau auraient pu être par exemple récoltée au camp de Châlons… Où Esterhazy était en 1894.

22’30. La question de l’antisémitisme aux débuts de l’Affaire. L’Affaire n’est pas une machination contre le juif Dreyfus mais la nécessité pour un ministre en péril d’agir vite pour préserver son portefeuille, nous en sommes tous d’accord. Cela dit, il est impossible d’écarter que l’antisémitisme avéré de Fabre et de d’Aboville, que celui de Bertin-Mourot (qui souffla le nom de Dreyfus à d’Aboville) n’ait pas joué.

23’21. « Il faut distinguer la question de l’antisémitisme dans le cadre du contradictoire et des débats judiciaires ; quelle est son importance concrètement dans les faits et après il y a son utilisation à l’extérieur de l’affaire »… Entre le 15 octobre et la fin du mois, l’antisémitisme ne joue pas à l’extérieur puisque l’arrestation de Dreyfus est tenue secrète. Cela dit, si Adrien Abauzit avait lu attentivement le Procès de Rennes qui est une de ses sources, il aurait appris que Mercier envoya d’Aboville, juste avant le transfert de Dreyfus au Cherche-Midi, pour demander au directeur de bien garder le secret de l’arrestation et le mettre « en défiance contre les démarches que tenterait la “haute juiverie” ». De plus, quand, aux derniers jours d’octobre, l’information de la découverte d’un traître fut livrée à la presse, elle le fut par deux hommes de l’État-major, et le fut à un seul journal : l’antisémite La Libre Parole… L’État-major et nul autre que lui fit de l’affaire du capitaine Dreyfus, et ce dès le début, une affaire ou la question juive comme on disait à l’époque avait à y voir.

23’47. L’expert Gobert « pourrait être pour, il pourrait être contre ; il ne se mouille pas trop ». Gobert ne se montra pas le moins du monde dubitatif. Il écrit dans son rapport : « La lettre anonyme incriminée pourrait être d’une personne autre que celle soupçonnée » et expliquera plus tard : « [Je] dis au général Gonse qu’il y avait lieu de prendre des précautions infinies, que le bordereau ne m’apparaissait pas du tout comme étant de la main de Dreyfus. J’engageai le général Gonse à une très grande circonspection. Je le priai de faire faire des recherches. » Et son rapport fut écarté (une étude entachée « sinon de nullité, au moins de suspicion » dit l’acte d’accusation de 1894) au motif qu’il avait cherché à savoir qui était la personne soupçonnée. En fait, il n’avait rien cherché à savoir mais Du Paty, qui lui avait transmis le dossier, avait laissé à l’intérieur le nom du suspect. Cela dit, en quoi le fait d’avoir cette information rendait son étude irrecevable sinon parce qu’elle n’allait pas dans le sens souhaité ?

26’88. La dictée. Dreyfus « modifie son écriture ». Non, aucunement, et il suffit d’aller voir le document pour en être sûr : https://wp.me/p4v5fs-23J et : https://wp.me/p4v5fs-2aH

27’26. La dictée. L’histoire des 5° degrés. Il faisait froid et d’autant plus froid qu’un grand feu, dont parle Dreyfus et que confirme Gribelin à Rennes, brûlait dans la cheminée. Il était donc imaginable d’avoir froid aux doigts.

30’13. « Pendant ses interrogatoires, Dreyfus va avoir un discours qui entre en totale contradiction avec sa défense ultérieure. » C’est absolument faux… Sa défense demeura la même : celle d’un homme qui criait son innocence et ne varia en rien dans ses explications. Il fut imprécis au début certainement, comme peut l’être un innocent accusé d’un crime dont ne lui parla pas pendant longtemps. Sur des questions précises sur des questions qu’il ne comprenait pas, il tentait de répondre imaginant ce qu’on lui reprochait et ce à quoi pouvait correspondre ce qu’on lui demandait. Dans des notes qu’Adrien Abauzit aurait pu trouver s’il avait travaillé dans les centres d’archives (des notes inédites écrites en 1894 avant le procès et que nous allons publier ici même dans quelques jours), Dreyfus écrit :

Dans les 17 jours qui suivirent, je subis plusieurs interrogatoires, dans ma chambre, à la prison, par l’officier de police judiciaire, Mr le commt du Paty de Clam. il venait vers le soir, avec son greffier, la haine dans les yeux, l’injure sur les lèvres, quand mon cerveau torturé n’en pouvait plus. ah, tout ce que j’ai entendu dans ces jours tristes et sombres ! Mon cœur tressaille encore. Je ne savais pas la moitié du temps ce que je répondais ; on me disait toujours, vous êtes perdu, il n’y a que la Providence pour vous tirer de là. Alors dans mon cerveau brûlé par la fièvre, j’ai inventé roman sur roman pour expliquer une énigme que je ne pouvais pas déchiffrer, pauvre naïf que j’étais. Je demandais toujours quelles étaient les preuves de l’accusation ; mais on refusait toujours de me les montrer. est-ce qu’à un criminel, on ne commence pas par lui montrer l’instrument de son crime, pour lui demander s’il le reconnaît ? – L’instrument du soi-disant crime, c’était comme je l’appris plus tard une lettre ! Pourquoi ne me l’a-t-on pas montrée ? L’officier judiciaire et son greffier me firent dire tout ce qu’ils voulaient ; je n’avais plus conscience de moi-même. Je ne croyais pas non plus qu’il fallût me défendre contre une accusation pareille. Un soir, comme je demandais qu’on me dise enfin de quoi il s’agissait, le greffier me répondit : « Votre situation la voici : supposez qu’on trouve votre montre dans une poche où elle n’aurait pas dû être. » L’officier de police judiciaire acquiesça du geste. Alors je compris que des documents à moi avaient été volés. Aussitôt voilà mon imagination en campagne […]. Personne ne peut se douter de ce que cela est que de se trouver, innocent, dans une sombre prison, en tête à tête avec son cerveau, et accusé du crime le plus épouvantable qu’un soldat puisse commettre. Et puis toujours, comme un spectre, cet horrible commt du Paty qui venait comme un fou, haineux et terrible me disant : « Vous êtes perdu, rien ne peut vous sauver. » Je rageais d’indignation et de douleur. Un soir, comme je disais au commt : « Comment pouvez-vous croire que moi, alsacien, auquel les allemands refusent tous les passeports, je puisse être un traître. » C’était pour mieux cacher mon jeu, me répondit-il. Un autre soir, l’officier de police judiciaire me dit : « On est sur les traces de vos complices, des arrestations sont imminentes, suivant le cas vous passerez devant la juridiction civile ou militaire. » Je devenais littéralement fou, je me voyais enfermé dans une trame inextricable. Un autre soir encore, l’officier de police judiciaire me dit : « Votre arrestation est secrète et cependant elle est connue dans toutes les officines allemandes ; celles-ci tremblent, elles vous brûlent en ce moment. » La nuit qui suivit fut la plus épouvantable de toutes. Je faillis me suicider, j’eus des heures d’égarement. Au milieu de la nuit, dans un moment de fièvre, je pris mes draps et me préparai à me pendre aux barreaux de ma fenêtre. Mais ma conscience veillait, elle me dit : « si tu meurs, tout le monde te croira coupable ; il faut que tu vives, quoi qu’il arrive, pour crier au monde que tu es innocent. » Jamais homme au monde ne souffrit comme moi. Mon cerveau était constamment brûlé par la fièvre. Le médecin dut me prescrire des bains de pied [illisible] ; il me donna également du sirop de morphine pour pouvoir au moins dormir quelques heures. Un jour, ma souffrance devant l’attitude haineuse de l’officier de police judiciaire fut telle que je lui dis, je crois : « Écoutez, déclarez que je suis innocent et je me tue ; j’en ai assez de la vie. » un soir, comme je lui criais encore que j’étais innocent, car c’était le seul mot que je pusse encore articuler, il me répondit : « L’abbé Bruneau a bien dit aussi qu’il était innocent et il est mort sur l’échafaud. » Enfin le 15e jour après mon arrestation, on me montra la photographie de la pièce accusatrice : c’était une lettre qu’on m’imputait. Cette lettre je ne l’ai pas écrite et les experts qui déclarent que c’est mon écriture se trompent. Si on m’avait montré dès le premier jour la pièce accusatrice j’aurais compris et j’aurais pu répondre victorieusement. Mais on me montrait des bouts de papier, des bouts de mots, on me posait des phrases ambiguës a double entente ; on faisait divaguer mon cerveau.

32’00. Les aveux. « Les contradicteurs dreyfusards diront que c’est faux ». ça l’est en effet et nous l’avons maintes fois montré dans nos travaux. La meilleure preuve du mensonge en étant d’ailleurs le faux que commettra Gonse, comme je l’ai montré dans mon Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours. Mais ce qui est étonnant, c’est le changement de cap d’Adrien Abauzit. Il défend ici les aveux et écrit dans son livre : « « Dreyfus, condamné pour ce qui est perçu comme étant à l’époque le pire des crimes, doit probablement se sentir couvert de honte et terriblement isolé. Les paroles qu’il adresse à Lebrun-Renault [sic pour Lebrun Renaud] sont, je pense, le signe d’un homme, objet d’une vindicte universelle, à la recherche d’un minimum d’empathie. » (p. 85). Dommage, nous préférions cette version. Mais il semble en fait que cette phrase veuille dire autre chose : « un cri du cœur » dit-il ici. Maintenant que nous dit que Lebrun Renaud, comme le montrera Jaurès dans ses Preuves, a bien entendu ce qu’il dit avoir entendu ?… et invoquer le témoignage de d’Attel (qui était d’ailleurs capitaine et non commandant) n’a pas de valeur. Il aurait fallu qu’Adrien Abauzit nous dise que Lebrun Renaud a entendu : « Le ministre sait que je suis innocent, il me l’a fait dire par le Comdt du Paty de Clam, dans ma prison, il y a quelques jours, et il sait que si j’ai livré des documents, ce sont des documents sans importance et que c’était pour en obtenir de plus sérieux des allemands » (drôles d’aveux qui accompagnent une protestation d’innocence) ; et que d’Attel, lui, se souviendra de : « Pour ce que j’ai livré, cela n’en valait pas la peine. Si on m’avait laissé faire, j’aurais eu davantage en échange ». Comment deux témoins ont-ils pu, au même moment, entendre des propos si différents ? Si Adrien Abauzit avait mieux travaillé, il aurait même pu en trouver d’autres des témoignages… qui tous donnent une déclaration encore différente.

35’18. La date du bordereau. « on a rattaché dans l’acte d’accusation en réalité des documents qui existaient mais qui n’étaient pas ceux vraiment visés ». Mis à part le fait que cette phrase n’a aucun sens, les documents de 1894 demeurèrent à charge contre Dreyfus jusqu’à Rennes et le sont encore dans le livre d’Adrien Abauzit. Le problème n’était pas là. L’accusation avait daté le bordereau d’avril pour qu’il collât avec les dates que l’accusation imaginait alors être celles de quelques-uns des documents. Au procès de 1894, Dreyfus avait fait remarquer que si le bordereau avait été écrit à cette date, il n’aurait pu – s’il l’avait toutefois écrit – annoncer quelque information datant de juillet telle que celle relative aux formations nouvelles d’artillerie. Du Paty avait alors tenté l’hypothèse selon laquelle le bordereau pourrait dater d’août et qu’ainsi « le partir en manœuvres » concernait bien les manœuvres d’automne où Dreyfus, jusqu’au « dernier moment », avait cru devoir aller. C’était pure improvisation de la part de Du Paty puisqu’existait une note officielle du 18 mai, signée du général Gonse, prévenant les stagiaires qu’ils n’iraient pas aux manœuvres. Dreyfus avait demandé que cette note fût versée aux débats. On ne le voulut pas et on était passé à autre chose… La date d’avril-mai avait été maintenue contre Du Paty et il avait été expliqué que la fameuse phrase ne qualifiait aucunement les manœuvres mais bien le voyage d’état-major auquel avait participé Dreyfus en juillet. Mais pourquoi avoir parlé de manœuvres dans le bordereau, dans ce cas ? Sérieusement, le commissaire du gouvernement expliquera dans son réquisitoire que Dreyfus n’avait pas écrit, comme il l’aurait dû, « “Je pars en voyage d’état-major”, car c’eût été signer la lettre-missive ».

37’33. La lettre Davignon. Adrien Abauzit ne se souvient plus si Panizzardi a écrit à Schwartkoppen ou le contraire. Est-ce sérieux ? Et si l’ami dont il est question ici est Dreyfus pourquoi est-il devenu une « canaille » dans une autre lettre quasi-contemporaine et sur laquelle Adrien Abauzit, qui nous révèle ce que fut la véritable affaire, se souvient assez imprécisément ? Est-ce sérieux cela encore ?

40’05. Le « D » de ce « canaille de D » est en effet l’initiale d’un pseudonyme. Que Mathieu ne le sût pas est évident et qu’il cherchât un officier dont le nom commence par « D » quand il apprit l’existence de cette pièce, est logique. Pour Picquart en revanche la chose est différente. Il fit en effet une enquête sur d’Orval (dont l’initiale du nom est « o ») mais il n’en fit jamais sur Donin de Rosière. Cette affirmation, avérée selon Adrien Abauzit, est un mensonge de l’état-major contre lequel s’éleva toujours Picquart et qui semble attesté par le fait qu’autant le dossier de l’enquête d’Orval est toujours dans les archives de la Section de statistique, autant celui sur Donin n’a jamais existé (ce qui est certifié à l’époque par l’accusation elle-même) ! Adrien Abauzit affirme une nouvelle fois quelque chose dont il ignore tout.

42’48. Le « funeste » (dans doute parce que créateur de la LDH) Trarieux et sa loi. Adrien Abauzit laisse entendre que la réforme de l’article 445 aurait été votée dans le but d’aider à la révision de Dreyfus. En 1895, Trarieux est loin, très loin d’être dreyfusard. Affirmation anachronique.

43’40. Léonie (one more time). Cela fait 10 fois qui nous lui faisons la réponse (il devrait vraiment nous lire). Il est inexact, grossier, peu honnête, de dire que Mathieu appris l’illégalité en passant par les services d’une voyante. Il le fit en effet, Léonie lui dit à ce sujet une phrase énigmatique qu’il ne comprit pas et comprit plus tard quand d’autres (Develle, Salles) lui apprirent ce qui s’était passé dans la salle des délibérations en 1894.
Gibert. Comment fut-il convaincu ? Comme beaucoup. Un traître alsacien, militaire, riche et qui ne cesse de clamer son innocence peut aider certains à développer ce genre de conviction. Consulter le dossier n’a rien à y voir. Beaucoup se mobilisèrent pour Sacco et Vanzetti, pour les Rosenberg, pour Ranucci (pour ne prendre que quelques cas connus) sur une intime conviction. Cette intime conviction qu’on demande juste à un juré populaire d’avoir…

46’30. Mathieu « met du gras autour des os » (drôle d’expression). Le témoignage de Félix et Faure et l’avocat non nommé. Dommage vraiment qu’Adrien Abauzit ne lise pas nos réponses. Nous avons ruiné ces âneries, sur lesquelles il s’obstine, à la toute fin de notre dernière (https://wp.me/p4v5fs-2aH), 20 jours avant la diffusion de cette émission. Sur l’avocat dont on n’a pas le nom, je remets le passage en question : « Quant aux autres témoignages, Adrien Abauzit nous montre une nouvelle fois avec assurance son ignorance. Parlant du témoignage du confrère de Demange dont il ignore le nom parce que Mathieu ne le donne pas, il affirme qu’on ne le saura jamais et que cette “confidence invérifiable ne vaut pas grand-chose” (p. 199). On sait qui il était, tout le monde en parle, et même Dutrait-Crozon… Il s’agit d’Émile Salles qui devait déposer au procès Zola mais qui ne le put pas parce que la question ne fut pas posée….. » On sait donc très bien comment les dreyfusards l’ont su : par Develle et Salles et surtout par l’article de L’Éclair du 14 septembre 1896 qui confirmait les témoignages en question… Il est incroyable de passer cette réalité sous silence (il est vrai qu’en parlant plus tard, Adrien Abauzit n’est plus sûr où l’article a été publié et se trompe dans la citation qu’il en fait ; 1’02’19) et de s’accrocher à l’épisode « rigolo » de la voyante. P. 82 de ses mémoires, Mathieu écrit à propos de cet article :

Adrien Abauzit aurait dû lire la totalité du livre de Mathieu Dreyfus.

50’.  L’homme de paille Esterhazy, « conviction étayée par un certain nombre d’éléments de fait ». L’affaire Souffrain. Richard Fremder encourage à lire le livre d’Adrien Abauzit, nous encourageons, sur le cas Souffrain, aberrant, à lire notre réponse : https://wp.me/p4v5fs-2aH (faire une recherche : « entretenir la farce »).

54’18. Le Petit bleu. Le Petit bleu n’est pas signé de Schwartzkoppen, n’est pas de l’écriture de Schwartzkoppen et n’a pas été envoyé. C’est donc un faux. Nous ne développerons pas plus notre réponse ici et renverrons, pour cela comme pour la pseudo-falsification, à une réponse précédente qui montre que la thèse d’Adrien Abauzit est une blague qui joue sur la crédulité de son lecteur. À lire pour en être définitivement convaincu : https://wp.me/p4v5fs-2aH (faire une recherche « improbable Petit bleu »). Et dire que Picquart va « intimer l’ordre » à Lauth de certifier que le petit bleu est bien de l’écriture de Schwartzkoppen est une affirmation qui ne repose que sur le témoignage de l’accusation (Lauth) qui d’ailleurs ne dit pas exactement cela. Quant aux autres témoins, ils diront la même chose que Lauth bien plus tard, quand les hommes de l’état-major auront accordé leurs violons. Auparavant, lors de l’instruction Ravary par exemple, instruction qu’Adrien Abauzit aurait dû lire, Iunck dit exactement la même chose que Picquart, à savoir qu’il avait dit à Lauth que si besoin était, il pourrait toujours dire qu’elle était l’origine de la pièce… ce qui est pour le moins différent.

1’01’15. La relation amoureuse des deux attachés militaires. Affirmation courante mais gratuite. Rien ne l’a jamais prouvé.

1’05’40. Picquart argue le « faux Henry » de faux et après lui les dreyfusards qui sont, dit Adrien Abauzit, « très bien renseignés, semble-t-il ». À présenter les faits ainsi tout est curieux. Déjà si les dreyfusards ont dit que la pièce était fausse c’est parce que Picquart l’avait affirmé au procès… et c’est tout. Et si Picquart put dire qu’elle était fausse, c’est parce qu’il ne l’avait pas vue et que chef encore de la Section de statistique quand elle était censée être arrivée, il aurait dû en avoir communication. C’est pour cela que, dès novembre 1896, quand Billot et Gonse lui en avait parlé, il avait déjà émis de sérieux doutes.

1’06’46 On ne parle pas tant que ça en mai 1898 du fait que Dreyfus soir juif. Comment est-il possible a quelqu’un qui connaît le sujet de soutenir cela sérieusement ? Si beaucoup de dreyfusards évitèrent soigneusement de faire dériver la question sur le sujet, la  presse dreyfusarde en parla quotidiennement et la presse antidreyfusarde, c’est-à-dire à peu près toute la presse, ne fit que cela dès l’arrestation, en 1894.

1’07’10. Cavaignac héros. Il est amusant que là Adrien Abauzit ne revienne pas sur la version de la découverte du « faux Henry » qu’il aurait pu qualifier d’officielle. Dans mon Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, je propose une autre version que je reproduis ici… 8 pages, sur la base des sources et uniquement des sources… Des sources qu’Adrien Abauzit est censée avoir en partie lue et dont il ne tire malheureusement rien :

1’09’17. La commission de révision. Voir encore notre dernière réponse : https://wp.me/p4v5fs-2aH (faire une recherche « commission »).

1’10’00. Le livre d’Armand Israël et son faisceau d’hypothèses troublant. Nous en avons longuement parlé ailleurs : https://wp.me/P4v5fs-fn (faire une recherche : « Les Vérités cachées de l’affaire Dreyfus »).

1’11’15. Les aveux d’Esterhazy, « au moment où le conseil des ministres allait refuser la révision » et où Brisson « ajourne le conseil des ministres », changent tout… Quel délire  et quel scandale de soutenir de telles choses avec une telle tranquillité. Redonnons ici les passages des mémoires de Brisson que nous avons déjà opposé à Adrien Abauzit qui s’obstine dans sa réécriture de l’histoire. Mais pour comprendre rappelons que la décision de la commission fut du 23, les aveux d’Esterhazy furent publiés dans la presse anglaise le 25 et la décision de saisir la Cour de cassation date du 26.

 

1’12’50. Les lettres Callé. Oui, les magistrats reçurent une lettre anonyme qui leur signalait qu’un huissier Callé possédait des lettres d’Esterhazy. Un juge enquêta, rencontra l’huissier qui lui remit en effet une lettre d’Esterhazy écrite sur le même papier que le bordereau et qui indiquait en effet, ce qu’on savait déjà, qu’il était allé au camp de Châlons en 1894. La chose n’est ni extraordinaire ni originale. Ces lettres furent expertisées et il ne fut jamais question de faux mais au contraire d’identité entre ce papier et celui du bordereau.

1’14’37. Le Procès de Rennes. « Reinach à mots couverts confesse une certaine admiration pour Mercier dans son Histoire. » Ah ? Sans doute alors quand il écrit, à propos de la déposition de Mercier à Rennes : « Mercier y procéda avec un art consommé, tronquant les textes, falsifiant les dates, faussant les faits, parfois rien que par l’incorrection et l’obscurité du langage, l’inexactitude voulue, le vague et l’équivoque systématiques, se contredisant dans la même phrase jusqu’à l’absurde, mais toujours de façon à conduire, à ramener les juges à l’abominable mensonge sous-entendu ». On est vraiment dans une gigantesque pantalonnade.

1’15’49. « Les fameux hasards » où Dreyfus était là. Nous avons montré que tout cela était encore un montage ahurissant qui ne fonctionne qu’à condition de lire dans les pièces censées le prouver ce qu’on veut y trouver. Et nous renvoyons à nos deux réponses publiées sur le site de la SIHAD. Dans le premier article, nous écrivions en conclusion, au terme d’une longue démonstration enrichie dans la réponse à sa réponse :

comme nous l’avons montré, il est fort peu probable
Que l’espion fut à l’État-major : c’est que dit clairement mémento Schwartzkoppen ;
Que si l’espion fut au 1erbureau lors du premier semestre 1893, ce puisse être la minute Bayle qui n’a jamais disparue qui le prouvera ;
Que si l’espion fut au 4èmebureau lors du deuxième semestre 1893, ce puisse être la lettre des « chemins de fer » de 1895 qui le prouvera ;
Que si l’espion fut au 2èmebureau lors du premier semestre 1894, ce puisse être les rapports Guénée, suspects, ou la lettre Davignon, qui ne parle pas d’espion, qui le prouveront ;
Que si le nom de l’espion a pour initiale la lettre D., cette initiale, comme en convenait Cuignet, put être celle de son nom et non celle d’un nom de code et que ce D, comme en convenait toujours Cuignet, put être Dreyfus.

1’17’20. Si on pense que les arguments des antidreyfusards sont faux, réfutons-les sans anathème et sans ricanement. C’est ce que nous faisons ici et il ne reste que peu de choses de la thèse d’Adrien Abauzit. Ce n’est pas ce que fait Adrien Abauzit en revanche qui insulte tout au long de son livre les dreyfusards et accuse le grand Marcel Thomas d’avoir tout bonnement inventé un pièce pour servir sa démonstration quand Marcel Thomas en donne les références et que par ailleurs cette pièce se trouve citée partout.

1’17’37. La preuve « Bouton ». Rien ne l’indique et Bouton (qui avait été successivement libraire, éditeur, agent de la police politique du gouvernement de Juillet, militant républicain en 1848, auteur et éditeur, agent secret du ministère de l’Intérieur à partir de 1858, paléographe, peintre héraldique, poète) en parla à deux reprises. Et la première fois, en février 1898, il ne raconta pas que Lazare avait essayé de l’acheter mais qu’après son refus, il lui avait laissé sa carte, lui disant repasser et n’était jamais revenu… La seconde fois, la carte de visite s’était transformée comme par enchantement en une proposition de versement de 100 000 francs. Quel témoignage !

1’19’58. Le chouchou d’Adrien Abauzit : Moiraud… Depuis son baptême le nom de l’écrituriste était Moriaud.

1’21’38. Témoignages antidreyfusards retenus quand il jugeait la contradiction dreyfusarde « nullissime ». C’est un mensonge absolu… Sur la question du contenu du bordereau, par exemple et de l’impossibilité qu’il fût d’un stagiaire et d’un artilleur, Adrien Abauzit ne cite aucune des études des philologues ou l’impressionnant rapport des généraux Brun, Balaman, Séard et VIllien qui ruine le pauvre argumentaire de l’accusation auquel il s’accroche.

1’22’15. Les éléments incontestables que sont le fait que Dreyfus restait tard au bureau. Cet argument qui a l’air de convaincre Richard Fremder est d’une faiblesse totale. Il ne tient que sur des témoignages pour le moins suspects et qui, contrairement à ce que dit Adrien Abauzit, furent contesté (sauf un épisode particulier) par Dreyfus.

1’23’35. Les 10 brouillons avec écritures différentes. Non, il existe en effet des brouillons mais tous avec la même écriture. Et puisqu’Adrien Abauzit parle de nous à la suite, nous nous devons ici aussi de le corriger. Nous n’avons pas écrit que « les choses n’étaient pas aussi nettes que ça et que comme Dreyfus s’ennuyait »… Extraordinaire de bout en bout la méthode Abauzit. Nous remettons donc ce que nous avons écrit :

Une nouvelle fois, Adrien Abauzit, qui n’a pas vu les archives, parle de ce qu’il ne connaît pas et qu’il a récupéré chez la pauvre commandant Carrière. Pourquoi trente brouillons ? Une manière d’occuper son esprit, peut-être… de ne pas devenir fou… à l’image de ces curieux et inquiétants dessins géométriques qu’il reproduisait à l’infini…

Les lettres et brouillons de l’île du Diable, dont la majeure partie nous est parvenue, montrent bien que la graphie de Dreyfus est demeurée la même… Et quand on regarde ces brouillons – dont Adrien Abauzit parle en les imaginant sur la seule base du pathétique réquisitoire de Carrière –, on peut constater que ces réécritures portent sur des améliorations de style et ne sont aucunement la recopie à l’identique d’un même texte…

1’25’00. « Les cartouches sont vidées » entre Adrien Abauzit et nous. En effet, il ne reste rien de sa thèse et nous regrettons qu’il ne réponde pas à notre dernière. Nous étions curieux de voir comment il allait tenter de s’en sortir.

 

Réplique aux historiens dreyfusards d’Adrien Abauzit, auteur de L’Affaire Dreyfus entre farces et grosses ficelles et Réponse à sa réponse

Nous publions ici la réponse d’Adrien Abauzit, publié sur le site de sa maison d’édition, à notre compte rendu de son livre et notre réponse à cette réponse. Pour faciliter la lecture de cette longue discussion, nous ferons figurer nos commentaires en un corps différent, en encadré, au fur et à mesure que ce déroulera le texte que nous donnons bien sûr dans son intégralité et en en respectant l’orthographe.

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Adrien Abauzit… Rectification des faits énoncés dans son interview sur Patriote info

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La SIHAD s’est donnée, à sa création en 1995, une mission de vigilance à l’égard de la vérité historique. Elle la remplit donc en répondant point par point à la dernière tentative antidreyfusarde très récemment publiée.

On trouvera à la suite (en complément à la critique du livre : ici), les commentaires – globalement débarrassés des trop nombreuses coquilles et fautes – laissés sur YouTube à cette vidéo. Chacun donne le moment précis où commence à être développé le propos qui se devait d’être rectifié.

 

4’ 06 : Adrien Abauzit n’a pas tout lu contrairement à ce qu’il affirme avec une fierté un peu puérile : l’affaire Dreyfus ce n’est pas 7 000 pages de débats judiciaires et 9 ou 10 volumes comme on le voit mais 20 volumes et près de 14 000 pages…  À cela il faudrait ajouter les procédures non publiées et conservées dans divers centres d’archives qu’Adrien Abauzit n’a pas plus lues : instruction Pellieux, instruction Ravary, les deux instructions Tavernier, l’instruction contre de Pellieux ; et encore les procès connexes qu’il n’a toujours pas lus ; le procès Henry-Reinach, le procès Rochefort Valcarlos, le procès des ligues, le procès en Haute-Cour, le procès Grégori.

4’40 et 5’04. S’appuyer « sur tout ce qui est disponible » et « assimiler les pièces du dossier intégralement, les pour et les contre », comme l’affirme Adrien Abauzit, c’est, en librairie et en bibliothèques, près de deux mille ouvrages, autant d’articles, et des centaines de milliers de pages inédites conservées dans les centres d’archives. A en lire ses notes en bas de page, si Adrien Abauzit a lu 10 livres, c’est le bout du monde…

14’54. « un frère de Dreyfus va choisir l’Allemagne. Donc la famille Dreyfus est une famille franco-allemande ». Les choses ne sont pas aussi simples que cela… Ayant des intérêts en Alsace, la famille avait décidé qu’un de ses membres, pour ne pas perdre les dits-intérêts, demeurerait en Alsace. Et Jacques fut choisi parce qu’ayant déjà servi dans l’armée française, il était le seul qui ne pourrait pas, ainsi que l’avait concédé Bismarck, porter l’uniforme allemand. Les Dreyfus firent ici un choix douloureux qui fut fait dans de nombreuses familles, juives comme chrétiennes qui ne pouvaient se résoudre à tout perdre.

15’28. « C’est un officier qui a eu des bonnes notes, donc il n’a pas été brimé, soit dit en passant »…  À l’École de guerre, parmi les notes, une « cote d’amour », note subjective d’appréciation d’aptitude au service d’état-major, était donnée. Dreyfus, qui avait brillamment réussi ses examens, s’était vu attribuer un 5 par le général Bonnefond. Un des condisciples de Dreyfus, le lieutenant Picard, juif aussi, avait eu droit à la même note. Deux notes injustifiées qui leur faisaient perdre des places, fermèrent la porte de l’Etat-major à Picard (pouvaient y entrer les 10 premiers) mais pas à Dreyfus qui, mauvais calcul, passait de la 5e à la 9e place.

20’18. Si la relation de Dreyfus avec Bodson est avérée, il ne fut jamais prouvé qu’elle ait été une espionne. Interviewée pour Le Journal du 6 novembre 1894, elle raconta qu’elle, qui recevait beaucoup de militaires, considérait le capitaine comme « le plus patriote », « le plus chauvin » d’entre tous et qu’ils s’étaient brouillés quand Dreyfus avait appris qu’elle fréquentait un officier allemand qu’il refusait de risquer d’être amené à le croiser un jour. Affirmer qu’elle poussa Dreyfus « à se livrer à ce qu’on appelle de l’amorçage » est une affirmation sans preuve et que rien ne peut établir. Il faudrait déjà pouvoir établir qu’elle fût une espionne ce que même Dutrait-Crozon ou l’acte d’accusation de 1894 contre Dreyfus n’osent faire…

23’41. Le télégramme allemand disant qu’il n’a « aucun signe [de l’]État-major » nous dit donc que le traître n’y est pas… et donc comment le faire coller à Dreyfus qui y était ? Quant à la réponse, elle ne dit aucunement que Schwartzkoppen est en négociations avec un officier de l’État-major : « Bureau des renseignements – Aucune relation… Corps de troupe – Importance seulement… Sortant du Ministère… »… autrement dit : je n’ai aucune relation avec le bureau des renseignements et seuls importent les documents sortant du ministère… Quant à la mention « corps de troupe », veut-elle dire que si l’attaché militaire n’a aucune relation avec le bureau des renseignements, il en a avec un officier de corps de troupe ? On peut le comprendre mais rien n’est sûr. Quoi qu’il en soit, il n’est aucunement dit ici que Schwartzkoppen est en négociations avec un officier du ministère. Où si on l’y voie, c’est qu’on force violemment le texte…

24’12. La lettre Davignon qui dit que Schwartzkoppen a un « ami » au 2e bureau de l’État-major où est Dreyfus à ce moment (« J’ai écrit encore au colonel Davignon et c’est pour ce que je vous prie. Si vous avez occasion [de v]ous occuper de cette [que]stion avec votre ami de le faire particulièrement en façon que Davignon ne vient [sic] pas à le savoir. Du reste il répondrai [sic] pas, car il faut jamais [sic] faire savoir qu’un attaché s’occupe de l’autre ». C’est entendu mais l’ami n’est pas Dreyfus mais Davignon. C’est ce que dira d’ailleurs dans un rapport un homme de la Section de statistique, Gribelin : La pièce portant le n° 40 (lettre de Panizzardi à Schwartzkoppen) fait allusion à des renseignements que Panizzardi aurait demandés directement au lieutenant-colonel Davignon, sous-chef du 2e Bureau de l’État-major de l’armée, alors que Schwartzkoppen serait disposé à demander ces mêmes renseignements à la même source, par un autre intermédiaire. Dans une pensée de méfiance, Panizzardi recommande à Schwartzkoppen de ne plus s’occuper de cette affaire, afin que le lieutenant-colonel Davignon ne sache pas que les attachés militaires, italien et allemand, travaillent ensemble les mêmes questions. Un fait se dégage de cette lettre : Panizzardi tient à ce que tout le monde ignore, au ministère de la Guerre français, que les attachés militaires italien et allemand s’unissent dans leurs travaux. (références dans l’article dont un précédent post donne le lien). Il est intéressant de constater qu’Adrien Abauzit qui a « tout lu » ne cite pas l’extrait donné de Gribelin…

25’. « Ce canaille de D. ». « D » comme Dreyfus. Il est clair que les espions avaient des noms de code et que jamais l’attaché militaire n’aurait employé l’initiale du vrai nom de son espion. Le commandant Cuignet, un des principaux accusateurs de Dreyfus, l’expliquera : « Il est plus vraisemblable que l’individu dont il est question dans la lettre de B…, tout en étant un agent d’espionnage, n’est pas désigné sous son véritable nom ; conformément à l’usage constant de B…, usage dont nous avons plusieurs preuves ». Ce qui au final lui fera dire : « Quant à la pièce “ce canaille de D…” (n° 25), rien ne prouve qu’elle désigne Dreyfus, et je serais plutôt de l’avis de M. Picquart, qui estime qu’elle ne peut s’appliquer à lui, étant donné le sans-gêne avec lequel l’auteur de la lettre traite ce D… » Il est intéressant de constater qu’Adrien Abauzit qui a « tout lu » ne cite pas ces deux extraits qui se trouvent dans un des livres posés devant lui.

25’36. Valcarlos informateur. Le rapport qui en parle est un faux fait bien après la condamnation de Dreyfus… Impossible d’en parler ici : la démonstration tient en 5 pages. On la trouve dans L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours.

26’29. « Le fameux bor-de-reau ». Adrien Abauzit truque encore et toujours. Le bordereau n’est pas l’énumération de 5 notes comme le soutient Adrien Abauzit : mais de 4 notes et d’un document : le manuel d’artillerie : « Sans nouvelles m’indiquant que vous désirez me voir, je vous adresse cependant, Monsieur, quelques renseignements intéressants / 1° une note… 2° une note… 3° une note… 4° une note… 5° Le projet de manuel de tir de l’artillerie de campagne (14 mars 1894). » La chose est essentielle parce qu’elle prouve que si Dreyfus était le traître, il avait le manuel au moment de la rédaction du bordereau, ce que contredisent les quelques témoignages des collègues de Dreyfus qui disent qu’il le lui avait demandé le mois suivant (et donc qu’il ne l’avait pas au moment de la rédaction du bordereau). C’est sur cette question qu’Adrien Abauzit développe ses « preuves » dans son livre qui ne tiennent qu’à condition de faire ce petit tour de passe-passe… mais sans doute faudra-t-il y revenir…

27’51. « Des secrets qui ne sont pas minces ». Du premier, le frein hydraulique du 120, canon et frein anciens adoptés depuis plusieurs années, l’Allemagne savait tout depuis 1889 grâce aux aimables Boutonnet et Greiner. Ce canon avait même été présenté aux attachés militaires étrangers en 1891, présentation dont avait rendu compte la presse allemande, et fait l’objet de nombreuses publications dont une description complète qui était à la disposition de tous depuis le 7 avril 1894. Les deuxième et quatrième documents, relatifs aux troupes de couverture et à Madagascar, étaient si peu secrets que plusieurs journaux en avaient largement parlé : le Journal des sciences militaires avait consacré en mai 1894 un article au premier sujet et le Mémorial de l’artillerie de la marine, La France militaire et Le Yacht quelques séries au second, en juin, août et septembre 1894. Le troisième document était lui aussi peu secret, qui avait fait l’objet d’articles dans La France militaire et, mieux même, d’une publication annuelle émanant du ministère de la Guerre. Sujet d’actualité, il avait été aussi au centre de nombreux débats à la Chambre, débats publiés au Journal officiel. Quant au cinquième document, le manuel de tir, si « difficile à se procurer » selon l’auteur du borde­reau, il était à la disposition des officiers dans tous les régiments et avait fait l’objet d’une édition autographiée par une société d’officiers de réserve, la Société de tir au canon. À Rennes, le sous-lieutenant Bruyerre racontera même se l’être procuré contre vingt centimes à la presse régimentaire.

28’55. « Il fallait être passé par tous les bureaux ». Non ! puisqu’il s’agit de notes, c’est-à-dire de mémos, qu’il était possible de faire sur la base des articles évoqués dans le post précédent.

29’35. Le canon de 120, sujet très technique dont seul aurait pu parler un artilleur. Non et pour les mêmes raisons que vus dans les post précédents. De plus le vocabulaire employé dans le bordereau n’est pas celui d’un artilleur. Un artilleur, en effet, n’aurait jamais parlé de « corps » mais de « régiment », du « 120 » mais du « 120 court de campagne », de « conduite » de la pièce mais de « comportement », de « frein hydraulique » mais de « frein hydropneumatique », de « manuel de tir de l’artillerie de campagne » mais de « manuel de tir d’artillerie de campagne ».

29’35. Dreyfus était « le seul à être passé à l’école de Pyrotechnie au moment où était fabriqué le canon de 120 ». Dreyfus fut certes à l’école de Pyrotechnie de Bourges de septembre 1889 à avril 1890 mais tout cela est sans intérêt. Le bordereau n’a jamais parlé du canon de 120 court en soi mais du « frein hydraulique du 120 et [de] la manière dont s’est conduite cette pièce ». Et à vrai dire, non pas du frein hydraulique qui n’était pas le sujet mais du frein hydropneumatique (confusion qu’un artilleur ne pouvait faire ; voir post précédent). Un frein qui n’a été fabriqué que bien plus tard et dont, dira le commandant Baquet, « les premiers dessins exacts et complets […] ne sont sortis de la fonderie que le 29 mai 1894, où ils ont été envoyé au Ministère pour l’établissement des tables de construction du canon court. » Quant à la première décision de faire des essais – la seule qui compte pour dire comment s’était comporté le frein –, elle datait du 13 février 1894, avait été confirmée le 16 mai 1894, et les essais prescrits avaient eu lieu pendant les écoles à feu. Des écoles à feu (5 au 9 août) auxquelles n’assista pas Dreyfus mais auxquelles assista Esterhazy… tiens donc… Il faudrait donc éviter de dire n’importe quoi…

30’31. « Le 11 octobre, un conseil restreint des ministres, décide donc de l’arrestation de Dreyfus ». Non. La décision fut du seul Mercier et pas celle du gouvernement. Mercier avait promis à ce conseil de ne pas donner suite si d’autres preuves n’étaient pas trouvées. « [J]’obtins de lui, racontera Hanotaux, l’engagement que s’il ne trouvait pas d’autres preuves contre l’officier dont il s’agissait et dont nous ignorions le nom, la poursuite n’aurait pas lieu. » Mais Mercier avait pris sa décision. « […] je ne veux pas qu’on m’accuse d’avoir pactisé avec la trahison !… », déclara-t-il, « inébranlable », à Hanotaux, « préoccupé », qui était passé le voir dans la soirée pour une nouvelle fois lui demander de « renoncer à une procédure qui pouvait [les] entraîner vers les plus graves difficultés internationales ».

30’41. La preuve de la culpabilité pendant la dictée et le changement de disposition des mots quand Dreyfus reconnaît qu’il s’agit du bordereau. J’invite à aller voir sur le lien donné sur le premier post la reproduction de la dictée (ici)… On n’y verra aucunement le changement affirmé qui n’est qu’un pur fantasme. C’est drôle comme on peut voir ce qu’on veut voir… Quant à Dreyfus qui aurait reconnu avoir modifié son écriture sous prétexte qu’il avait froid aux doigts, là encore Adrien Abauzit se livre à son bricolage habituel. Voici ce que dit Dreyfus : « Quand le commandant du Paty de Clam m’a fait la dictée, au bout d’un certain nombre de mots, il m’a demandé : “Qu’avez-vous ? Vous tremblez ?” Je ne tremblais pas du tout. L’interpellation m’a paru tout à fait insolite. Faites une interpellation pareille à quelqu’un qui est en train d’écrire, et vous verrez.  L’interpellation m’a donc paru insolite. J’ai cherché dans mon esprit pourquoi cette interpellation. Je me suis dit “Il est probable que c’est parce que j’écris lentement, et en effet, j’avais les doigts raidis. Il faisait froid dehors ; c’était le 15 octobre, et il faisait si froid qu’il y avait, il faut bien vous le rappeler, un très grand feu allumé dans le cabinet du chef d’État-major. Je pensais que l’interpellation provenait de ce que j’avais écrit lentement, et c’est précisément parce que j’avais les doigts raidis. C’est pour cela que j’ai répondu “J’ai froid aux doigts”, mais l’interpellation me paraissait tout à fait insolite. » Dreyfus ne reconnaît aucunement avoir changé son écriture. Enfin, relativement à la température, il faisait ce matin-là 9° ce qui est froid surtout dans les grands appartements de la rue Saint-Dominique et qui justifiait justement le grand feu dont parle Dreyfus et que personne ne contredira.

34’54. « Dreyfus avait attiré l’attention de nombre de ses camarades »… curiosité, etc. Que valent des témoignages de subordonnés recueillis par des supérieurs au sujet d’un homme présenté comme un traître ? Après la réhabilitation, un de ces « camarades » écrira à Dreyfus pour expliquer son attitude de 1894 : « Quand, en 1894, le sous-chef d’état-major nous réunit pour nous dire que tu étais coupable et qu’on en avait les preuves certaines, nous en acceptâmes la certitude sans discussion puisqu’elle nous était donnée par un chef. Dès lors nous oubliâmes toutes tes qualités, les relations d’amitié que nous avions eues avec toi pour ne plus rechercher dans nos souvenirs que ce qui pouvait corroborer la certitude qu’on venait de nous inculquer. Tout y fut matière. »

35’31. Les espionnes. Nous avons déjà parlé de madame Bodson qui jamais ne fut espionne contrairement à ce que dit Adrien Abauzit. Notons d’ailleurs qu’il la fréquentait en 1886 ou 1887 à l’époque où il était lieutenant au 31e d’artillerie et ne risquait pas là d’avoir accès à grand-chose. Quant à ce que dira Dreyfus à Rennes à ce sujet, ce n’est pas encore ce que nous dit Adrien Abauzit : « Mon colonel, vous comprenez bien par quel sentiment de discrétion je ne parlerai ici ni de M. ni de Mme Bodson ; je n’ai pas à parler des relations anciennes que j’ai eues avec une personne et vous comprendrez très facilement toute ma discrétion à cet égard. Les relations que j’ai eues avec Mme Bodson ont cessé vers 1886 ou 1887 ; à partir de cette époque, je n’ai revu ni M. ni Mme Bodson. »

36’18. « L’estocade fatale » : le manuel de tir et les témoignages de Jeannel, Brault et Sibille. Si Jeannel avait prêté à Dreyfus le manuel en juillet, comme il le dira dans ses dépositions et qu’e Dreyfus le lui avait « rendu 48 heures peut-être ou trois jours après », comme l’ajoutait Jeannel, pourquoi se renseigner auprès d’autres le mois suivant ? Pour savoir si le manuel était à jour, comme le dit Adrien Abauzit (38’30) ? Si Dreyfus avait eu le manuel entre les mains et même s’il n’avait jamais su avant qu’il en existait un, il avait dû comprendre, au millésime présent sur la couverture (voir photo reproduite dans le compte rendu correspondant au lien donné dans le premier post ; ici), que le manuel sortait tous les ans. Le prochain, édition de 1895, sortirait donc en toute probabilité l’été suivant. De plus, si Dreyfus est le traître, et s’il a envoyé à Schwartzkoppen non une note sur le manuel mais le manuel lui-même comme nous l’avons expliqué précédemment (le bordereau liste : 1° une note… 2° une note… 3° une note… 4° une note… 5° Le projet de manuel de tir de l’artillerie de campagne ; ce qui écroule donc la « démonstration » d’Adrien Abauzit), il l’a donc fait en juillet comme le dit Jeannel. Il n’a donc aucune raison de se renseigner auprès de Sibille et de Brault… L’accusation comprit d’ailleurs tellement bien la faiblesse du témoignage de Jeannel et son incompatibilité avec ceux de Brault et de Sibille, que Jeannel ne sera pas cité à comparaître en 1894 et ce malgré les demandes réitérées de Dreyfus lui-même. Jeannel, à Rennes, racontera que d’Ormescheville lui avait dit : « Nous avons d’autres preuves de culpabilité suffisantes pour obtenir la condamnation, nous ne retiendrons pas la question du manuel de tir. » Surprenant pour une « estocade fatale ». Dommage qu’Adrien Abauzit, ici comme dans son livre, passe ce fait passionnant et si significatif sous silence. Quant à Dreyfus, il affirmera en effet avoir tout ignoré du manuel de tir français mais avoir demandé à Jeannel pour un travail qu’il avait à faire celui de l’artillerie allemande…
Mais le plus beau n’est pas là. À son habitude, Adrien Abauzit a lu de travers. Les témoignages de Jeannel et de Brault et Sibille ne sont pas liés : Jeannel parlait du manuel d’artillerie ; Brault et Sibille de celui de l’infanterie !!!

42’57. Le dossier secret et la manière dont les dreyfusards en furent au courant. L’affaire de la voyante Léonie est vraie ou tout au moins il est vrai que Mathieu consulta une voyante… Le fait indique bien le désespoir du frère. Mais dire que c’est ainsi que Mathieu Dreyfus fut au courant de la violation du droit commis au procès de 1894 est une farce absolue qui est une nouvelle indication des méthodes abauzitiennes… Mathieu fit en effet ces expériences au cours desquelles Léonie lui parla des pièces secrètes soumises aux juges et, dans ses mémoires, explique qu’il « n’insist[a] pas » (p. 51), n’ayant sans doute pas compris… Ce sont les témoignages de Gibert, Develle, Reitlinger, Salles, etc. qui lui apprirent l’illégalité. Dans le bricolage narratif qu’il livre ici, Adrien Abauzit passe bien sûr cette réalité sous silence ; une réalité présente dans les mémoires de Mathieu (p. 68-69 de l’édition de 1978) qu’il a consultées et qu’il oublie consciencieusement pour ne conserver que cette histoire de voyante en faisant dire à Mathieu des choses qu’il n’a jamais dites ou qui, sorties de leur contexte et de la chronologie, lui permettent de nous faire cette petite blague qui le réjouit tant… Et le pire, c’est que la malhonnêteté éclate plus fracassante encore quand on voit la page en effet consultable sur Gallica où juste après la citation donnée (p. 51), Mathieu raconte la visite que lui avait faite Gibert après avoir reçu les confidences du président de la République et la révélation de l’illégalité. C’est ainsi que Mathieu comprit, ainsi qu’il le raconte, les paroles de Léonie. Jamais, dans ses mémoires, il ne dit autre chose et certainement pas ce qu’Adrien Abauzit nous rapporte…

47’. La dégradation. Adrien Abauzit nous dit que Dreyfus a déclaré : « c’est vrai que j’ai livré des documents mais je l’ai fait pour en obtenir d’autres ». Adrien Abauzit demeure dans son registre en bricolant les citations. La phrase exacte rapportée par Lebrun Renaud est : « Le ministre sait que je suis innocent, il me l’a fait dire par le Comdt du Paty de Clam, dans ma prison, il y a quelques jours, et il sait que si j’ai livré des documents, ce sont des documents sans importance et que c’était pour en obtenir de plus sérieux des allemands. » Pas de « c’est vrai », et une proclamation d’innocence en parallèle qui est pour le moins curieuse pour quelqu’un qui ferait des aveux… De plus, d’Attel n’a pas entendu ces mêmes propos, comme le soutient encore Adrien Abauzit mais : « « Pour ce que j’ai livré, cela n’en valait pas la peine. Si on m’avait laissé faire, j’aurais eu davantage en échange ». Comment deux témoins ont-ils pu, au même moment, entendre des propos si différents ? Que nous dit donc qu’ils aient bien entendu ? Que nous dit que Dreyfus ait dit « sait » et non « pense » ou « croit » ou « dit »… ce qui changerait de tout au tout le sens de la phrase ? Pour un avocat, Adrien Abauzit à une curieuse conception de la preuve…

49’22. Reinach. Il est, nous dit Adrien Abauzit, « le fils d’un banquier israélite allemand ». C’est faux ! Hermann-Joseph Reinach, né en 1814 à Francfort n’est pas allemand mais d’origine allemande. Il fut naturalisé en 1838 et donc était français depuis 18 ans à la naissance de Joseph.

53’10. « Esterhazy était au final un sale type ». Première vérité en presqu’une heure. J’avais raison de ne pas désespérer.

53’26. Picquart. Ma joie fut de courte durée… Quelques secondes… Adrien Abauzit nous dit que Picquart va succéder à Sandherr, à la Section de statistique, grâce aux réseaux gambettistes et grâce à Galliffet. Eh bien non ! Il va lui succéder grâce au général Millet et surtout grâce au général de Boisdeffre…

54’03. Picquart découvre Esterhazy. Passons sur la date fausse (février pour mars) et l’avancement anticipé de Lauth (capitaine qui ne sera commandant qu’en septembre 1897)… C’est dans l’ordre des choses quand on ne connaît pas son dossier… Donc le petit bleu est un faux parce qu’il n’est pas de l’écriture de Schwartzkoppen, qu’il n’est pas signé et qu’il n’est pas timbré. L’écriture : il arrive que parfois des hommes tels que des attachés militaires utilisent les service d’un secrétaire qu’ils paient pour cela… Signature : il ne me semble pas extraordinaire qu’un employeur écrive à son espion… pas extraordinaire à une seule condition qui est de ne pas signer… Pas timbré : comment le petit bleu aurait-il pu l’être s’il a été trouvé par la Bastian dans la corbeille à papier ? S’il l’avait été, la chose aurait paru curieuse… Donc : Schwartzkoppen n’aurait-il pu faire écrire son secrétaire à son espion puis se raviser et jeter la lettre à laquelle il avait renoncé à la poubelle ?

58’40. Picquart a introduit le petit bleu dans le paquet apporté par la voie ordinaire. Admettons cela. Mais si cela était, il faut convenir que Picquart était un âne. N’eût-il pas été plus simple, dès le départ, si le grand complot avait existé, de faire un document intact, sans déchirure, de profiter de l’occasion pour faire imiter l’écriture de Schwartzkoppen, de le signer de son nom, de ne pas oublier l’oblitération, de ne surtout pas le mettre dans les cornets de la Bastian et de faire croire qu’il avait été saisi à la poste ou mieux même, puisqu’Esterhazy était complice, de le lui envoyer ? Et puisqu’il s’agissait de sauver Dreyfus, n’aurait-il pas été aisé et surtout judicieux de ne pas oublier d’y mettre une phrase d’une grande clarté sur son innocence ?

59’19. Les truquages de Picquart. Impossible de montrer ici les erreurs et les errances d’Adrien Abauzit. Ce serait trop long. Je renvoie une nouvelle fois à L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours. Mais toutefois, une remarque… Si Picquart a demandé à Gribelin de faire timbrer le petit bleu, ce ne pouvait être sur les photos demandées à Lauth mais inévitablement sur l’original. Un timbre sur une photo aurait été pour le moins surprenant… Du coup pourquoi avoir fait faire des photos pour faire disparaître les déchirures ? Simplement parce que Picquart ne voulait pas, quand il montrerait les photos, qu’on sache la provenance du petit bleu et certes pas pour faire croire ce qui n’était pas. Et s’il avait demandé de faire timbrer l’original pour faire croire ce qui n’était pas, il est vraiment un âne… On ne pouvait faire timbrer que le document reconstitué : donc les timbre aurait été sur les bandes de reconstitution !!!! Allons allons Adrien, il faut réfléchir… Pourquoi le timbre alors ? Toujours pour qu’on ne sache la provenance du petit bleu. Mais pourquoi cela ? Parce que l’arrivée du bordereau avait été si mal gérée en 1894 que Picquart voulait éviter la même catastrophe. Il arrive, Adrien Abauzit, que les choses soient simples…

1’00’31. Les témoins Iunck et Valdant. Que ces deux-là témoignent avec Lauth contre Picquart qui était devenu l’ennemi aurait tendance à relativiser leur témoignage… ni parents, ni alliés…..

1’02’27. Cuers et la « collusion germano-dreyfusarde ». Trop long toujours pour réduire à néant autant d’arguments qui n’en sont toujours pas et ne sont que des affirmations que ne soutient pas la moindre preuve. Toutefois… si Cuers était la preuve de cette « collusion germano-dreyfusarde », pourquoi donner une description du traître qui pouvait concerner une cinquantaine de personne et ne pas simplement dire que le traître était Esterhazy ? De même, Cuers, à Bâle, vit Henry et Lauth. Pourquoi si tout était prévu, Picquart, qui était le chef, ne fut-il pas du voyage ? Car en effet, ces deux-là avaient intérêt à empêcher Cuers de parler et en tout cas, comme ils le feront dans leur rapport, de ne rien dire au sujet de la question de l’innocence de Dreyfus à laquelle, au passage, Picquart ne porta pas la moindre attention. Mais pourquoi Henry et Lauth avaient-ils intérêt à empêcher Cuers de parler ? Parce que revenir sur le procès Dreyfus était ouvrir le procès de l’État-major et de la Section de statistique : Henry avait fait un faux témoignage au procès de 1894, le dit-procès était illégal et tous le savaient et il fallait protéger Mercier, initiateur de cette illégalité, qui au début de 1895 avait fait promettre à tous le silence. Pour le détail de ces faits, voir une nouvelle fois L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours qui ne se contente pas d’affirmer…

1’07’26. « Mathieu Dreyfus va payer extrêmement cher un journaliste anglais pour qu’il publie dans son journal la rumeur selon laquelle Dreyfus se serait évadé ». D’où sort cette information que Mathieu a « payé extrêmement cher » ? Mathieu dans ses mémoires (qu’Adrien Abauzit a lus) n’a jamais parlé de cela et personne d’autre que lui n’aurait pu le dire preuves en main… Mathieu ne parle que de l’offre de concours que Clifford Millage, convaincu de l’innocence de son frère, lui avait faite…

1’07’57. L’article de L’Éclair. Le premier article ne demandait pas quelles étaient les preuves sur lesquelles Dreyfus avait été condamné comme l’avance avec assurance Adrien Abauzit mais promettait au contraire de les donner si la campagne qui commençait ne s’arrêtait pas (articles qui parlaient de doute et avaient paru dans Le Jour nationaliste et dans L’Autorité bonapartiste et antisémite qu’on ne peut pas soupçonner de faire partie du syndicat). La promesse fut tenue puisqu’en effet quelques jours plus tard était publié l’information de l’illégalité de 1894 qui bien évidemment n’était pas donnée comme telle. Adrien Abauzit se garde bien de le dire, bien qu’il ait dû le lire puisque l’information est dans un des volumes qui est devant lui. On sut plus tard qu’avant d’être retouché par l’antidreyfusard Georges Montorgueil l’article avait été porté à L’Éclair par Lissajoux, journaliste au Petit Journal, et tout autant antidreyfusard que le précédent, à partir des informations, affirmait-il assurément pour protéger sa source, obtenues par plusieurs personnes ». Pourquoi Adrien Abauzit ne dit-il pas cela qu’il a du lire ? Du coup, qui est donc la source ? Il est probable que ce fût bien un homme du ministère. Le premier article de L’Éclair ne dissimulait d’ailleurs pas sa source qui en avait promis un second, de l’avis « du monde militaire », si devait s’accentuer la campagne visant à insinuer le doute. Un homme du ministère, si ce n’était l’ancien ministre de la Guerre, Mercier, lui-même, qui, plus que quiconque, avait tout intérêt à mettre fin aux rumeurs en parant par avance la possible découverte de l’illégalité. Mercier n’avait d’ailleurs pas hésité, aux premiers jours de l’affaire, à aller voir Judet, directeur du Petit Journal, pour l’inviter à « soutenir » son action… Ce n’est qu’une hypothèse dont la démonstration, trop longue à reproduire ici peut se lire dans L’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours déjà citée.

1’09’40. La mission de Picquart en Tunisie. Là nous frisons la blague… Adrien Abauzit nous dit que ses amis ne savent pas qu’il est parti parce que sa mission est top secrète et que donc qu’ils continuent à lui écrire au ministère. Et en décembre, nous dit Adrien Abauzit un peu plus d’une minute plus tard (1’11’09), il aurait reçu cette lettre qui lui disait : « votre malheureux départ à tout dérangé ». Mais puisqu’ils l’ignoraient ? Vraiment… On imagine donc que le sachant parti, les complices de Picquart ne lui auraient pas écrit où il était ? Et admettons qu’ils n’aient pas son adresse tunisienne, lui auraient écrit une lettre qui prouvait sa culpabilité non chez lui mais au ministère ? Enfin… ce n’est pas sérieux… Picquart n’a sans doute pas tort d’arguer de faux une telle missive… Et comment Adrien Abauzit peut-il se contredire ainsi et aussi souvent ?

1’11’55. Scheurer-Kestner. Adrien Abauzit nous dit que SK avait demandé à Billot de rouvrir le dossier Dreyfus dès « le printemps 1896 ». Billot, en effet, dira à Rennes que « M. Scheurer-Kestner, vice-président de la Haute Assemblée, est venu à mon banc me demander confidentiellement si je ne voudrais pas m’occuper de l’affaire Dreyfus. » Scheurer-Kestner, dans ses mémoires qu’Adrien Abauzit aurait dû lire, à une tout autre version, ne donne pas cette date et en donne deux autres. SK explique tout d’abord, qu’après avoir reçu en février 1895 la visite de Mathieu qui lui demandait son aide, il refusa mais avait été troublé. Il s’était donc adressé à Billot pour en savoir plus et Billot l’avait dissuadé de s’intéresser à cette affaire. Ensuite, SK explique qu’en juillet 1897 (mais la date semble plutôt fin 1896), il avait demandé à Billot de lui « donner quelques preuves inédites, c’est-à-dire convaincantes, de la culpabilité de Dreyfus ». C’est tout.
Parole contre parole… Il est dommage qu’Adrien Abauzit, avocat, refuse systématiquement de connaître, et d’évoquer quand il la connaît, la parole de la défense et n’écoute que celle de l’accusation.

1’12’44’. Faux Henry. Adrien Abauzit affirme que les antidreyfusards ne firent qu’un faux quand les dreyfusards en firent « des légions » [sic] dont le plus frappant est le petit bleu. Non. Les antidreyfusards ou plus exactement la Section de statistique en firent de nombreux. Nous en avons ainsi retrouvé un nouveau, récemment, indiscutable, preuves à l’appui : une lettre de Gonse à Boisdeffre au sujet des aveux qu’il serait trop long d’expliquer ici mais dont on pourra retrouver l’explication dans L’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours déjà citée. À cela on pourrait ajouter la pièce des chemins de fer dont Adrien Abauzit parle longuement dans son livre et n’évoque pas ici (le faux y consiste en un changement de date), les rapports Guénée et quelques autres. Quant aux faux « dreyfusards », encore faudrait-il les prouver avec d’autres arguments que ceux avancés pour le petit bleu dont on a vu la faiblesse. Pour qu’un chose soit, il ne suffit pas de dire qu’elle est, il faut le prouver. Et le prouver avec de vrais arguments, non des déductions qui reposent sur de simples affirmations ou des « développements » qui font le tri dans les faits. Quant à la « blague Macron », elle ne démontre pas grand-chose si ce n’est qu’Adrien Abauzit a un sens de l’humour assez pauvre.

1’16’02. Picquart n’a pas fait venir à la Section de statistique Leblois en septembre-octobre 1896 pour lui communiquer des dossiers secrets. Il a été prouvé qu’à ces dates Leblois n’était pas à Paris et en dehors des témoignages non concordants et évolutifs d’Henry et de Gribelin, rien ne put jamais prouver qu’il lui avait communiqué le dossier secret. Si Adrien Abauzit avait réalisé un réel travail d’historien, il aurait pris les différents témoignages des deux sur cette question et aurait pu observer de quelle manière ils furent préparés et évoluèrent au gré des besoins. Peut-être aurait-il pu ainsi comprendre que dans une affaire judiciaire, les témoignages d’une même partie doivent être évalués et qu’ils peuvent parfois n’être pas la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

1’16’38. La « jonction » Leblois-SK. Adrien Abauzit nous la dit « complètement bidon » et qu’elle devait être bien antérieure à ce que les deux intéressés en dire. « Devait » ? Il faudrait quelques preuves qu’Adrien Abauzit ne donnera jamais. Si elle ne repose que sur le témoignage Billot vu précédemment, ce ne peut suffire. Parole contre parole. Nous avons aujourd’hui tous les originaux de la correspondance Leblois-SK qui indique bien ce que fut leur relation. Pourquoi Adrien Abauzit n’est-il pas allé la voir ?

1’17’07. Les événements d’octobre-novembre 1897. Dommage qu’Adrien Abauzit n’ait pas préparé son dossier. Il aurait pu découvrir les souvenirs de Du Paty de Clam et un certain nombre de documents dont les autres lettres d’Esterhazy à Billot, lettres dont il ignore tout, et qui détruisent sa narration. Pour le détail réel de ces événements, nous renvoyons encore à L’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours.

1’24’47. LE MEILLEUR. On a là un parfait échantillon de la méthode abauzitienne, pour ainsi dire une synecdoque. « Sans [s]e vanter », Adrien Abauzit nous révèle un scoop extraordinaire, « une analyse et une conclusion nouvelles » qui prouve tout. Souffrain, agent du Comité de défense contre l’antisémitisme, est l’auteur des faux télégrammes adressés à Picquart. Pour commencer la chose n’est pas nouvelle, ni comme exposition, ni comme analyse, ni comme conclusion, et se trouve tout entière en mieux écrite dans le Dutrait-Crozon, bible antidreyfusarde publiée en 1924, p. 98. Adrien Abauzit ou l’art de faire du vieux avec du vieux. Adrien Abauzit découvre donc du connu et emprunte à ses aînés sans le dire ce qui leur appartient et auquel ils attachaient d’ailleurs si peu d’importance qu’ils ne l’exploitèrent pas. Mais peu importe. Ce qui compte ici, comme toujours avec Adrien Abauzit, c’est ce qu’il ne dit pas. Pourquoi, puisque la chose se trouve dans un des volumes présents devant lui, n’explique-t-il pas comment il est possible que si Esterhazy est un agent du syndicat, c’est lui, qui dès l’instruction de Pellieux, le 24 novembre 1897, parle à l’enquêteur du rôle de Souffrain et de ses liens avec le « Syndicat » ? Voici ce qu’il dit, évoquant la fameuse et fantasmatique dame voilée qui l’aurait renseignée : « Au cours d’une de ses conversations, elle est entrée dans de très grands détails sur l’organisation de ce qu’elle appelait « la bande », et elle m’a dit notamment qu’un M. Isaïe Levaillant avec l’ancien agent Souffrain s’occupaient très activement de l’affaire ; et que, notamment, M. Isaïe Levaillant avait eu pouvoir du colonel Picquart de se faire remettre sa correspondance au domicile qu’il avait conservé à Paris ». Quel intérêt pour le syndicat de jouer cette partition ? Mais il y a encore mieux… Pourquoi le 19 novembre, donc quelques jours plus tôt, le même Esterhazy avait lui-même publiquement accusé Souffrain et Levaillant en déclarant à Charles Roger de l’Intransigeant qui s’était empressé de l’imprimer que : « L’affaire est machinée de toutes pièces par trois [sic] personnes : M. Isaïe Levaillant, ancien haut fonctionnaire de la police ; l’ex-agent Souffrain, qui a échangé récemment des télégrammes avec ce dernier ; l’avocat L…, et le colonel Picquart » ? Pourquoi encore le 17 novembre, Esterhazy avait-il, sous son pseudonyme de « Dixi », rendu la chose pour la première fois publique en publiant dans La Libre Parole : « À Monsieur Scheurer-Kestner. M. Scheurer-Kestner n’a pas répondu à nos questions concernant la parenté entre : 1° Le juriste M. L. qui a fouillé dans les dossiers du service des informations du ministère de la guerre et son juriste conseil. 2° Le capitaine Lebrun-Renault, qui a reçu les aveux de Dreyfus. 3° L’ex-agent Souffrain qui, avec Isaïe Levaillant, mène la campagne policière pour Dreyfus. Si M. Scheurer-Kestner veut des renseignements complémentaires, nous lui dirons ceci : Dès que Souffrain sut qu’il s’était montré comme un novice en apprenant qu’on faisait une petite enquête sur des télégrammes imprudents et affolés, il a essayé de se rattraper en prévenant son compère et ami par l’intermédiaire d’un Juif de Tunis. Le compère va protester qu’il n’a jamais connu Souffrain. Nous chargeons Mlle S… de le démentir. » Quel intérêt pour le complice Esterhazy d’impliquer ainsi SK, Leblois, Picquart, de révéler les télégrammes et l’identité de Souffrain et de Levaillant avec lesquels il est censé travailler, et, dans le dernier, de parler des aveux…. Adrien Abauzit, il faut nous expliquer, sans vous vanter, quelle est cette stratégie….

1’31’22. Esterhazy auteur des télégrammes. Adrien Abauzit réfléchit pour une fois à l’endroit mais le problème c’est qu’il en arrive tout de même à une conclusion qui n’est pas la bonne. Une conclusion qui n’est pas la bonne et en induit une autre qui est la nôtre, à nous « historiens de la vulgate ». Comment Esterhazy a-t-il pu, martèle-t-il, parler des télégrammes envoyés à Picquart, s’il ne les a pas écrits ? Il joue donc la partition du « Syndicat ». C’est vrai qu’Esterhazy en parle et que s’il peut en parler, c’est qu’il les a écrits ou tout au moins qu’il en connaît l’existence. Mais ne pouvait-il justement le savoir parce que, protégé par l’État-major, comme le dit plus tôt Adrien Abauzit, les gens de l’État-major lui en avaient parlé et que s’ils lui en avaient parlé, c’est parce qu’ils en étaient à l’origine ? Ils lui en avaient parlé ou les lui avait fait écrire ? C’est ce que dira d’ailleurs Esterhazy dans ses mémoires inédites qu’une nouvelle fois Adrien Abauzit s’est bien gardé d’aller voir. Parce que si Esterhazy est complice de Picquart, il faut vraiment, comme nous le disions dans le dernier post, qu’Adrien Abauzit nous explique pourquoi Esterhazy pouvait dans les articles de La Libre Parole y dénoncer ses complices : Picquart, Leblois, Souffrain, Levaillant et même rappeler à tous ceux qui n’y pensaient plus que Dreyfus avait fait des aveux. Et puisque nous en sommes à demander des explications, il faudrait aussi qu’Adrien Abauzit explique pourquoi il évoque ces articles sans jamais dire qu’Esterhazy y livre au public le nom de ses complices… Et c’est d’autant plus amusant qu’à la suite, Adrien Abauzit vient attaquer Marcel Thomas qui fut un grand historien et lui reprochant de passer des faits sous silence. La poutre dans l’œil d’Adrien Abauzit et si épaisse et si bien enfoncée qu’ainsi doivent s’expliquer ses constantes erreurs de lectures…

1’32’03. Les contradictions de Marcel Thomas. Oui, Marcel Thomas s’est contredit d’un livre à l’autre sur un point de détail qui n’intéresse personne et surtout pas la justice de l’époque qui fut saisie et n’inquiéta jamais Souffrain. Cela prouve juste que Marcel Thomas travaillait et qu’il était un vrai historien, c’est-à-dire quelqu’un qui qui sait que l’histoire est une matière vivante et que toute hypothèse, toute thèse peut-être à tout moment remise en question par la découverte d’une nouvelle source… et même quand cette thèse est celle qu’on a soi même défendue. Ce qui est d’ailleurs amusant, c’est que Souffrain fut découvert avant l’instruction Ravary (contre Esterhazy) et que le commandant Ravary refusa de l’entendre… Celui qui déposa plainte le 4 janvier 1899 contre Souffrain était… Picquart… et qu’il n’y fut pas donné suite… Pourquoi Picquart déposa-t-il plainte contre celui censé être son complice… Cela fait partie du grrrrrand complot ? Mais dans ce cas pourquoi un homme de l’État-major refusa-t-il d’entendre dans le cadre d’une procédure judiciaire un suspect qui était présenté comme la cheville ouvrière du Syndicat ?

1’34’43. Esterhazy n’était pas en mesure de livrer les documents énumérés au bordereau. Carvallo l’a dit à Rennes, à partir du 7 avril 1894, les officiers d’artillerie avaient eu à leur déposition « une description complète du frein hydropneumatique ». S’étant rendu à Châlons, comme nous le savons, il n’aurait pas été d’une extrême difficulté à Esterhazy de se la procurer. De même de la question des troupes de couverture dans laquelle le 6e corps d’armée jouait un rôle essentiel, 6e corps d’armée basé à Châlons… et si Esterhazy n’avait pu là obtenir les renseignements dont il avait besoin il lui aurait suffi de lire et de résumer le Journal des sciences militaires qui s’était intéressé à la question dans son numéro de mai 1894. Relativement aux modifications apportées aux formations de l’artillerie, nous savons qu’elles avaient été mises en application, toujours à Châlons, et au moment même où Esterhazy s’y trouvait. Concernant Madagascar, on pourrait rappeler les différentes publications qui livrèrent sur le sujet des informations ou, rappeler que le colonel de Torcy, chargé de préparer l’expédition, était alors affecté à Châlons où Esterhazy aurait très bien pu recueillir quelques informations. Le manuel de tir était, nous en avons parlé dans un précédent post, à la disposition de tous et avait même fait l’objet d’une édition autographiée. Il n’était donc pas difficile de se le procurer, contrairement à ce qu’en dit Esterhazy dans le bordereau pour lui donner de la valeur. Et faut-il rappeler que la phrase du bordereau : « le ministère de la Guerre […] a envoyé un nombre fixe dans les corps et ces corps en sont responsables. Chaque officier détenteur doit remettre le sien après les manœuvres » ne peut indiquer qu’une chose : que son auteur ne pouvait être qu’un officier d’un corps, comme l’était Esterhazy et non un officier d’État-major qui n’avait aucune raison de parler de ce qui se passait dans les corps. Demeurent les manœuvres. Marcel Thomas, lui-même… Adrien Abauzit, a prouvé qu’Esterhazy avait assisté « à des manœuvres de garnison » à la fin d’août 1894. Cela pourrait suffire dans le cas où nous ne voudrions pas considérer, ce qui nous semble pourtant probable, qu’il ne s’agissait là encore que d’un mensonge visant à rendre intéressante sa « collaboration ». Même écriture, même papier, possibilité de fournir les documents, relation établie avec Schwartzkoppen… il n’en faut souvent pas autant pour convaincre le plus retors des policiers…

1’35’14. Zola « couillon », Jaurès « raclure », soit. Mais ce n’est pas le général de Boisdeffre qui parle au procès Zola de la pièce qu’on découvrira être un faux mais le général de Pellieux…

1’39’14. La saisie de la commission de révision. Elle vota contre dit Adrien Abauzit. C’est faux. Elle n’a pas pu se départager, à 3 voix contre 3, égalité qui laissait donc la question ouverte… La source vient de Dardenne qui raconte, comme souvent, n’importe quoi. Il faut aller voir les sources primaires, Adrien Abauzit, et ne pas se contenter des livres des autres même (surtout ?) quand ce sont des amis politiques…

1’41’10. Les « experts en graphologie [sic] ». La graphologie n’étant pas une science et graphologue n’étant pas un métier, mieux vaut avoir en face de soi des chartistes et des philologues pour analyser une écriture et tenter de proposer une attribution… Qu’il y eut donc un seul graphologue parmi les experts dreyfusards est rassurant. Adrien Abauzit devrait comprendre la différence entre un graphologue et un expert en écritures. Quant à se gausser du fait qu’un d’eux pût être dentiste… on voit bien des avocats spécialistes du droit du travail se lancer dans l’histoire…

1’44’00. Le vote de la commission de révision (bis). Comme, nous dit Adrien Abauzit, la commission de révision s’étant opposé à la révision, il fallut trouver une solution, une solution que donna Esterhazy. Avant d’en parler, une petite parenthèse. Pour ne pas être désobligeant, je n’avais pas jusqu’à présent relevé les approximations de vocabulaire fréquentes d’Adrien Abauzit. Je ne peux pas laisser passer celle-ci dans la mesure où elle est presque un lapsus : voulant parler d’enchaînement, de succession, peut-être d’imbrication, sûrement de synchronisation, Adrien Abauzit, pour « faire bien », mais toujours « sans se vanter », parle de la synchronicité des événements. Synchronicité : Apparition simultanée d’événements qui semblent être étroitement liés mais qui n’ont aucun lien de causalité visible »… Aïe ! Revenons à Esterhazy. La révision aurait été possible uniquement parce que juste après la décision de la commission de révision, Esterhazy aurait dans la presse avoué avoir écrit le bordereau, influant ainsi sur le gouvernement pour démentir juste après quand aucun retour en arrière n’était possible, la révision ayant été décidé. « On se fout de nous ! », s’exclame Adrien Abauzit. C’est Adrien Abauzit qui se fout de nous. Cette « démonstration », en partie empruntée d’ailleurs à Dutrait-Crozon, repose, nous l’avons dit dans un post précédent, sur une énième erreur qui écroule encore une fois le fragile édifice : la commission de révision n’a pas voté contre mais n’a pas pu se départager, à 3 voix contre 3, laissant la question ouverte… Mais cela dit, Esterhazy avouera bien avoir écrit le bordereau sur ordre de Sandherr et démentira en effet. Mais il ne démentira pas avoir écrit le bordereau dont il rééditera à plusieurs reprises l’aveu. Le 26, le jour même où la nouvelle des déclarations d’Esterhazy était publiée par la presse française, le conseil des ministres, tôt le matin, décidait la révision. Tout cela est vrai. Mais que permet de dire que les aveux d’Esterhazy jouèrent dans la décision ? Rien… Adrien Abauzit se perd encore en ces affirmations péremptoires qu’il est si prompt à reprocher aux historiens qu’il tient à qualifier de « dreyfusards ». En fait, et c’est une évidence, la révision était dans les tuyaux depuis la mort d’Henry et c’est pour ne pas la voter que Cavaignac, Zurlinden puis Tillaye avaient démissionné. Il avait été question d’enfin en finir, après tant d’atermoiements, dès le conseil du samedi 24 septembre mais la discussion avait dû être repoussée au 26 du fait de l’absence de deux ministres. Le Journal des Débats notait ainsi dans son édition du 24 : « On s’attendait à apprendre d’un moment à l’autre que le Conseil des ministres avait autorisé M. Sarrien à saisir la Cour de cassation de la révision du procès Dreyfus (et à un moment, donc, où l’information des aveux d’Henry n’avaient pas passé le Channel). Et si le 26, elle fut donc votée, ce ne fut pas sans difficulté. Un Sarrien, par exemple, ministre de la Justice, qui jusqu’à présent s’était plutôt déclaré pour, avait résisté longtemps avant d’être convaincu par les arguments de Bourgeois. L’idée du gouvernement n’était donc pas ici d’obéir au fantasmatique syndicat – et à quel titre ? – mais de « faire rentrer l’affaire dans le domaine judiciaire », autrement dit d’en finir, ce qui peut expliquer qu’un Chanoine, ministre de la Guerre, bien qu’antidreyfusard, s’abstint. Les aveux d’Esterhazy n’ont rien à y voir et il est significatif qu’aucun antidreyfusard de l’époque n’en fît d’ailleurs un argument.

1’46’23. La cassation du procès de 1894. « Absolument scandaleux » nous dit Adrien Abauzit parce que l’arrêt repose essentiellement sur les trois « experts bidons » du procès Zola. « Bidons », Meyer, Giry et Molinier ? Soit. Encore une fois Adrien Abauzit ne dit qu’une partie des faits et ne conserve ce qui l’arrange. Il faut donc donner le texte :

La Cour,
Ouï M. le président Ballot-Beaupré dans son rapport, M. le procureur général Manau dans ses réquisitions, et Me Mornard, avocat de la dame Dreyfus, ès qualités, intervenante, en ses conclusions,
[…] Sur le moyen TIRÉ de ce que la PIÈCE SECRÈTE, « CE CANAILLE DE D… », AURAIT ÉTÉ COMMUNIQUÉE AU CONSEIL DE GUERRE :
Attendu que cette communication est prouvée, à la fois, par la déposition du président Casimir-Perier et par celles des généraux Mercier et de Boisdeffre eux-mêmes ;
Que, d’une part, le président Casimir-Perier a déclaré tenir du général Mercier que l’on avait mis sous les yeux du conseil de guerre la pièce contenant les mots : « Ce canaille de D… », regardée alors comme désignant Dreyfus ;
Que, d’autre part, les généraux Mercier et de Boisdeffre, invités à dire s’ils savaient que la communication avait eu lieu, ont refusé de répondre, et qu’ils l’ont ainsi reconnu implicitement ;
Attendu que la révélation, postérieure au jugement, de la communication aux juges d’un document qui a pu produire sur leur esprit une impression décisive et qui est aujourd’hui considéré comme inapplicable au condamné, constitue un fait nouveau de nature à établir l’innocence de celui-ci ;
Sur le moyen concernant le bordereau :
Attendu que le crime reproché à Dreyfus consistait dans le fait d’avoir livré à une puissance étrangère ou à ses agents des documents intéressant la défense nationale, confidentiels ou secrets, dont l’envoi avait été accompagné d’une lettre missive ou bordereau, non datée, non signée, et écrite sur un papier pelure « filigrané au canevas après fabrication de rayures au quadrillage de quatre millimètres en chaque sens » ;
Attendu que cette lettre, base de l’accusation dirigée contre lui, avait été successivement soumise à cinq experts chargés d’en comparer l’écriture avec la sienne, et que trois d’entre eux, Charavay, Teyssonnières et Bertillon la lui avaient attribuée ;
Que l’on n’avait, d’ailleurs, ni découvert en sa possession, ni prouvé qu’il eût employé aucun papier de cette espèce et que les recherches faites pour en trouver du pareil chez un certain nombre de marchands au détail avaient été infructueuses ; que, cependant un échantillon semblable, quoique de format différent, avait été fourni par la maison Marion, marchand en gros, cité Bergère, où l’on avait déclaré que « le modèle n’était plus courant dans le commerce » ;
Attendu qu’en novembre 1898 l’enquête a révélé l’existence et amené la saisie de deux lettres sur papier pelure quadrillé, dont l’authenticité n’est pas douteuse, datées l’une du 17 avril 1892, l’autre du 17 août 1894, celle-ci contemporaine de l’envoi du bordereau, toutes deux émanées d’un autre officier qui, en décembre 1897, avait expressément nié s’être jamais servi de papier calque ;
Attendu, d’une part, que trois experts commis par la Chambre criminelle, les professeurs de l’École des chartes, Meyer, Giry et Molinier, ont été d’accord pour affirmer que le bordereau était écrit de la même main que les deux lettres susvisées, et qu’à leurs conclusions Charavay s’est associé, après examen de cette écriture qu’en 1894 il ne connaissait pas ;
Attendu, d’autre part, que trois experts également commis : Putois, Choquet, président honoraire de la Chambre syndicale du papier et des industries qui le transforment, et Marion, marchand en gros, ont constaté que, comme mesures extérieures et mesures de quadrillage, comme nuance, épaisseur, transparence, poids et collage, comme matières premières employées à la fabrication, « le papier du bordereau présentait les caractères de la plus grande similitude » avec celui de la lettre du 17 août 1894 ;
Attendu que ces faits, inconnus du Conseil de guerre qui a prononcé la condamnation, tendent à démontrer que le bordereau n’aurait pas été écrit par Dreyfus ;
Qu’ils sont, par suite, de nature, aussi, à établir l’innocence du condamné ;
Qu’ils rentrent, dès lors, dans le cas prévu dans le paragraphe 4 de l’article 443 ;
Et qu’on ne peut les écarter en invoquant des faits également postérieurs au jugement, comme les propos tenus le 5 janvier, par Dreyfus, devant le capitaine Lebrun-Renaud [sic] ;
Qu’on ne saurait, en effet, voir dans ces propos un aveu de culpabilité, puisque non seulement ils débutent par une protestation d’innocence, mais qu’il n’est pas possible d’en fixer le texte exact et complet par suite des différences existant entre les déclarations successives du capitaine Lebrun-Renaud [sic] et celles des autres témoins ;
Et qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter davantage à la déposition de Depert, contredite par celle du directeur du Dépôt qui, le 5 janvier 1895, était près de lui ;
Et attendu que, par application de l’article 445, il doit être procédé à de nouveaux débats oraux ;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens, etc.

J’ai fini. Qu’est-ce qu’Adrien Abauzit ? Quelqu’un qui a une thèse à défendre, qui a lu juste une toute partie du dossier et encore pas complètement. Sur cette base, et tout en mettant en avant un travail présenté comme titanesque censé faire taire ses contradicteurs, il va à la pêche dans le dossier – quand il y va et ne se contente pas de simplement, ce qu’il fait le plus souvent,  reprendre les arguments de ses prédécesseurs –, sélectionne les éléments qui soutiennent sa thèse et passe sous silence les autres… « Quand un élément du dossier est trop gênant, autant faire comme s’il n’existait pas, puisqu’aucun trouble-fête, a priori, ne viendra le relever », écrit-il à propos de Bredin (p. 229-230 de son livre)… et dans ces éléments sélectionnés, il lit vite ou lit de travers et comprend ce qu’il veut y voir. Ce qui est étonnant avec les modernes antidreyfusards, c’est qu’ils se détruisent eux-mêmes… Mais comme aujourd’hui personne n’est au courant, il faut apporter un peu d’aide. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui et je prie le lecteur de m’excuser d’avoir occupé tant d’espace sur cette chaîne. Mais j’y reviendrai… au prochain livre d’Adrien Abauzit. Maintenant, amis patriotes, ne croyez-vous pas qu’il serait temps de vous trouver urgemment un autre champion ?

Une autre vidéo commentée d’Adrien Abauzit

Une autre interview d’Abauzit et les commentaires laissés sur la chaîne Youtube.

7’30. Adrien Abauzit, sa connaissance de l’affaire Dreyfus et ses conseils de lecture. Adrien Abauzit ne connaît que très peu de choses à l’Affaire et la suite de ces posts le prouvera largement. Sinon, pour aborder l’Affaire, commencer par Figuéras ne permettra que d’avoir un échantillon de la lecture d’extrême-droite de l’Affaire…

 

7’55. Toutes les pièces ou « tous les événements de fait [sic] » établissant la culpabilité de Dreyfus sont présents au procès de Rennes. À condition, comme le fait Adrien Abauzit avec les rares documents qu’il a eus entre les mains, de ne lire que les dépositions à charge. Une lecture intégrale et continue laisse au contraire, à moins d’être de parti pris, l’impression exactement contraire.

 

8’49. Peu de lectures antidreyfusardes de qualité. Et pour cause… Et ce dernier, celui d’Adrien Abauzit, ne viendra pas relever le niveau.

 

9’54. Les dépositions de Cavaignac et de Roget au terme desquelles la culpabilité de Dreyfus ne fait aucun doute. Aucun doute pour qui ne veut avoir aucun doute. Ces deux dépositions de l’accusation sont pour le moins relativisées par de nombreuses autres et qui connaît l’Affaire peut sans mal, ligne à ligne, démontrer le vide total des eux démonstrations de Cavaignac et de Roget.

 

10’. La principale preuve contre Dreyfus : la modification d’écriture pendant la scène de la dictée. Nous renvoyons au sujet de cette énôrme farce à un compte rendu fait de l’ouvrage d’Adrien Abauzit : https://affaire-dreyfus.com/2018/10/12/un-ersatz-du-dutrait-crozon-laffaire-dreyfus-entre-farces-et-grosses-ficelles-dadrien-abauzit/

 

11’34. « On n’a jamais retrouvé le mec qui a tiré mais non seulement on n’a jamais retrouvé le3 mec qui a tiré mais on n’a jamais retrouvé la balle dans le corps de l’intéressé ». On n’a en effet jamais retrouvé « le mec qui a tiré », faute de véritable enquête. Pourtant, Labori avait quelques idées sur l’identité du « mec » en question, à en lire ses souvenirs publiés en 1947 par son épouse (un livre qu’Adrien Abauzit aurait pu lire »). Quant à la balle, on l’a bien retrouvée et on a même la radiographie qui avait été faite le jour de l’attentat et qui la montre très clairement. On peut la voir (un livre encore qu’Adrien Abauzit aurait pu aller voir) dans Cinq semaines à Rennes, Paris, F. Juven, 1899, p. 69). Et c’est parce que la blessure était sans gravité que Labori put revenir plaider au bout de quelques jours.

 

15’15. L’antisémitisme. Plus aucun historien sérieux aujourd’hui ne défend la thèse que Dreyfus fut condamné parce que juif. Mais il est indéniable que le fait qu’il fût juif retint l’attention de ceux qui donnèrent dès le début son nom comme possible coupable : trois antisémites qui avaient pour nom Bertin-Mourot, d’Aboville et Fabre. Et n’oublions pas que – réalité dont ne parle naturellement pas Adrien Abauzit – quand 15 jours après l’arrestation de Dreyfus, son nom fut livré à la presse, ce n’est pas au Figaro ou au Temps que l’information fut livrée mais bien à La Libre Parole, et, nous le savons aujourd’hui, à deux reprises et par deux hommes différents. La campagne antisémite débuta aux premiers jours de l’Affaire et ne fut pas l’œuvre de dreyfusards qui n’existaient pas encore. Elle fut provoquée et alimentée par les hommes de l’État-major qui seuls alors pouvaient connaître et transmettre l’information.

 

17’44 L’engouement populaire et le combat des pour et de contre. Le « schisme [sic] » de la société. Nous savons aujourd’hui que si les antidreyfusards furent nombreux et les dreyfusards un poignée, la grande partie de la population se désintéressa totalement de cette Affaire, considérée comme une affaire parisienne. Et s’il y eut en effet des duels, ils ne concernèrent que les acteurs.

 

19’02. « Ce ne sont que des citations, je n’invente rien. […] Je travaille pièces à l’appui, moi ». Il ne suffit pas de dire qu’une chose est pour qu’elle soit. Voir : https://affaire-dreyfus.com/2018/10/12/un-ersatz-du-dutrait-crozon-laffaire-dreyfus-entre-farces-et-grosses-ficelles-dadrien-abauzit/. Sa citation de Jaurès en est d’ailleurs une bonne indication ; elle est de décembre 1897 et reflète sa pensée du moment, que quelques mois plus tard, il révisera pour le moins. En procédant ainsi, on peut tout dire et tout « prouver ».

 

21’21. « La défense fonde son action sur une pure fabrique de faux ». À condition que les démonstrations d’Adrien Abauzit soient justes. Le problème est qu’elles ne reposent sur rien. Nous renvoyons encore à l’article précité.

 

23’51’ Le « bourrinage » des notes de bas de page. C’est touchant de puérilité et d’amateurisme. Ce n’est pas le fait de citer et de sourcer qui compte, c’est de le faire bien en ayant en mains la totalité du dossier et en excluant pas tout ce qui est gênant à la démonstration.

 

24’09. « Je cite un maximum d’auteurs dreyfusards ». 5 auteurs au total sur plus de 2 000 publications, quelques milliers d’articles et aucune source primaire (correspondances, etc.)… Allons… Et quant au matériau que constituent les procédures et qu’il a lues dans son intégralité, nous postions ailleurs cette réflexion : « Adrien Abauzit n’a pas tout lu contrairement à ce qu’il affirme avec une fierté un peu puérile : l’affaire Dreyfus ce n’est pas 7 000 pages de débats judiciaires et 9 ou 10 volumes […] mais 20 volumes et près de 14 000 pages…  A cela il faudrait ajouter les procédures non publiées et conservées dans divers centres d’archives qu’Adrien Abauzit n’a pas plus lues : instruction Pellieux, instruction Ravary, les deux instructions Tavernier, l’instruction contre de Pellieux ; et encore les procès connexes qu’il n’a toujours pas lus ; le procès Henry-Reinach, le procès Rochefort Valcarlos, le procès des ligues, le procès en Haute-Cour, le procès Grégori. »

 

24’47. Pas de parti pris… Si Adrien Abauzit en avait eu un je me demande alors ce qu’aurait été le résultat. Quelle pantalonnade !

 

25’10 Le mobile manquant de Dreyfus et sa relation avec l’espionne madame Bodson. Nous postions ailleurs : « Si la relation de Dreyfus avec Bodson est avérée, il ne fut jamais prouvé qu’elle ait été une espionne. Interviewée pour Le Journal du 6 novembre 1894, elle raconta qu’elle, qui recevait beaucoup de militaires, considérait le capitaine comme « le plus patriote », « le plus chauvin » d’entre tous et qu’ils s’étaient brouillés quand Dreyfus avait appris qu’elle fréquentait un officier allemand qu’il refusait de risquer d’être amené à le croiser un jour. Affirmer qu’elle poussa Dreyfus « à se livrer à ce qu’on appelle de l’amorçage » est une affirmation sans preuve et que rien ne peut établir. Il faudrait déjà pouvoir établir qu’elle fût une espionne ce que même Dutrait-Crozon ou l’acte d’accusation de 1894 contre Dreyfus n’osent faire… » Quant à la Déry, elle fut suspectée d’être une espionne mais rien ne put jamais en apporter la preuve. Encore une fois, ni le Dutrait-Crozon ni l’acte d’accusation de 1894 contre Dreyfus n’osent le faire. Si c’est ainsi qu’on travaille pièces à l’appui et qu’on n’invente rien…

L’affaire Dreyfus. Morts mystérieuses et autres crimes… petit dernier d’Adrien Abauzit

Adrien Abauzit, après un premier ouvrage pour le moins incertain (voir ici), et un deuxième, réponse pour le moins hypermétrope à nos critiques (voir  ici, ici puis ici), nous en donne un troisième : L’affaire Dreyfus. Morts mystérieuses et autres crimes, en partie inspiré par Les Morts mystérieuses du petit antisémite Albert Monniot, ouvrage publié en 1918 puis à nouveau en 1934. La réponse une nouvelle fois sera longue non seulement parce qu’il y a beaucoup à dire mais encore parce que la structure du livre passe, de partie en partie et de chapitre en chapitre, d’un sujet à l’autre et que tout y mérite commentaire.
Avant de commencer à passer en revue dans l’ordre ce nouvel opus et d’y apporter nos commentaires, précisions et nécessaires et très nombreuses corrections, extrayons un exemple qui se place à la fin du déroulé et qui nous semble représentatif de l’habituelle méthode ici pratiquée. Adrien Abauzit connaît un peu, juste un peu, son sujet mais ses cruelles insuffisances ne l’empêchent aucunement non seulement de se poser en fin connaisseur mais surtout de porter des jugements sur tout et tous, et ce, invariablement, au petit bonheur. Dans sa défense habituelle de l’inénarrable Bertillon (voir ici) et ses attaques répétée contre Joseph Reinach, Adrien Abauzit se perd tout à fait. Il ne sait pas, affirme, accuse, essaie de se donner l’apparence de la scientificité et tout cela avec un ton qui se veut ironique et cinglant et qui n’est ni l’un ni l’autre. Ainsi, Adrien Abauzit croit porter l’estocade en nous disant que Reinach est un menteur inventant les faits de « toutes pièces ». Citons :

 « La graphologie, c’est de l’astrologie. »
Voici la phrase que Reinach prête à Alphonse Bertillon, chef du service judicaire d’anthropométrie [sic], qu’il cherche à faire passer pour fou tout au long de sa fable. D’où Reinach tient-il cette phrase de Bertillon ? À nouveau, examinons la note de bas de page au soutien de laquelle le polémiste se moque de l’expert, si tant est bien entendu que cette note existe. Le lecteur ne sera pas surpris : il n’y a aucune note de bas de page.
Reinach, pour plaider sa cause, en est réduit à inventer des paroles à des acteurs de l’Affaire.
L’affaire Dreyfus est décidément indissociable des farces et grosses ficelles reinachiennes.

Si Adrien Abauzit avait un peu plus travaillé, s’il connaissait un peu la période et le sujet dont il parle, il aurait évité de se perdre comme il le fait ici. Et non ! Reinach n’a pas mis de note de bas de page… Et s’il ne l’a pas fait, ce n’est pas parce qu’il ment mais peut-être parce que la note en question n’était d’aucune nécessité… S’il ne l’a pas fait c’est parce que que tout le monde se souvenait, en 1901, date de la sortie en librairie de son volume, de cette sortie tonitruante de la fin de 1897 et que depuis, hilares, s’amusaient à reprendre les dreyfusards. Car bien évidemment qu’il a prononcé cette phrase, l’ahurissant Bertillon ! Comment Adrien Abauzit, qui a enfin lu la presse, et même s’il l’a lue un peu, un tout petit peu, a-t-il pu passer à côté ? On la trouve dans Le Temps, Le Figaro, Le Gaulois, Le Soleil, Le Petit Marseillais du 17 novembre, dans La Patrie, La Gazette de France, Le Moniteur universel, La Petite République du 18 novembre… et nous ne donnons ici qu’une infime sélection de la reprise de cette sortie fameuse…
Voilà toute la méthode, et le reste sera à l’avenant… Allons-y, donc, comme disait l’autre et commençons notre revue de détail, dans l’ordre exact des chapitres.
En introduction, Adrien Abauzit parle de nous et, une nouvelle fois, se satisfait de ce que nous lui ayons consacré de nombreuses pages. Nous aurions en effet « jugé opportun de lui livrer bataille » et ce faisant nous l’aurions « valid[é] […] comme un contradicteur crédible ». Nous n’avons pas jugé opportun de lui livrer bataille pour la simple raison que nous ne le considérons pas comme un adversaire. Tout d’abord, nous avons parlé de ses ouvrages comme nous parlons de tous ceux qui paraissent sur l’Affaire. Ensuite, comme nous le lui avons déjà expliqué, et qu’il a déjà oublié, nous n’avons fait, en nous intéressant à ses publications, que remplir le rôle que nous nous sommes assignés en 1994 aux termes de l’article 2 de nos statuts : « Cette association, à vocation scientifique, se veut animée par un esprit de vigilance à l’égard de la vérité historique. » Et puisqu’il la tord, cette vérité historique, nous venons la redresser. Si, aux termes de très nombreuses pages, en effet, qui montrent ce que nous pensons de son travail, Adrien Abauzit a le sentiment de se sentir crédibilisé, grand bien lui en fasse. Il suffit de lire ces nombreuses pages pour voir que si nous en parlons, puisqu’il est indiscutable qu’Adrien Abauzit existe et que ses livres aussi, nous n’accordons aucun crédit à des « démonstrations » qui montrent avant tout qu’il ne connaît que peu le sujet dont il parle et qu’il fait de l’histoire comme Procuste faisait du brigandage, en coupant ce qui gêne parce qu’il dépasse du cadre. Et le petit dernier dont il est ici question ne nous démentira pas, tant il semble gravir encore un degré d’une échelle qui semble sans fin…. Et libre enfin à Adrien Abauzit de croire que nos critiques se sont retournées contre nous, comme il l’écrit sur cette même page. La cécité n’est qu’inconvénients mais offre au moins la consolation d’imaginer la réalité telle qu’on aimerait la voir et de la voir telle qu’on se l’imagine…

L’interrogatoire de Dreyfus
Ainsi est titré le premier chapitre, ou plus exactement le chapitre 0, matérialisé par un tout à fait idoine o barré (Ø), symbole de l’ensemble vide. Adrien Abauzit donne ici le premier interrogatoire de Dreyfus à Rennes dans lequel, en un commentaire liminaire et quelques notes, il nous dit que « Dreyfus refuse de s’expliquer », que le « laconisme de ses réponses est pour le moins suspect », qu’il ment éhontément, élude les questions en ayant recours à des sophismes (un mot qu’affectionne particulièrement Adrien Abauzit), etc. Il faudrait lire ce passage (qu’on peut trouver ici) pour que chacun se fasse son idée. Nous, nous y voyons au contraire la volonté de Dreyfus de répondre le plus exactement possible, de toujours être précis, de retrouver la chronologie d’événements vieux de cinq ans (et coupés par « l’intermède » de l’île du Diable), de reconnaître ce qui est vrai et de contester ce qui est faux, de corriger aussi les imprécisions de son interlocuteur (corrections qui ne constituent aucunement des « sophismes » mais des précisions), etc.
Il est stupéfiant de voir Adrien Abauzit, et surtout parce qu’il est avocat, accuser systématiquement Dreyfus de mensonge quand il conteste un fait qu’on lui reproche et ce parce qu’un témoin de l’accusation a dit le contraire… Si la justice devait se rendre de telle manière, si l’accusation devait systématiquement dire la vérité et le prévenu mentir, les avocats ne serviraient à rien, Adrien Abauzit serait au chômage et ce serait sans doute dommage. Et c’est pourtant Adrien Abauzit, qui, p. 143 de ce livre, écrit, pour écarter le témoignage de Bruyerre, coupable de dreyfusisme : « il y a lieu de s’interroger sur la valeur probante du témoignage d’un individu de parti pris »… Passons… ce qui est valable pour les uns ne doit pas l’être pour les autres… et revenons à notre question, et à l’interrogatoire de Dreyfus. Nous ne donnerons qu’un exemple qui, encore une fois, montre la méthode (ou l’absence d’icelle) d’Adrien Abauzit. Véritable obsession, il revient sur l’histoire de la dictée dont nous avons montré déjà le peu de valeur (voir ici et ici, ctrl F : dictée) et reprend la même pauvre « preuve » qui n’en est pas une. Il a beau changer ses mots (« changer » pour « modifier »), la chose demeure la même. Dreyfus n’a pas, comme l’écrit Adrien Abauzit, « reconn[u] lui-même qu’il a[vait] changé son écriture pendant la rédaction du texte » mais, ce qui est fort différent, que son écriture avait changé. Donnons, pour une meilleure compréhension, le passage en question.

LE PRESIDENT. — Un jour, le commandant du Paty de Clam vous à fait venir au ministère sous prétexte de passer l’inspection générale. Il vous à fait écrire une lettre commençant par des choses insignifiantes, puis à un moment donné il vous a dicté, ou à peu près, le contenu du bordereau. Le commencement de cette lettre est de votre écriture ordinaire, mais à partir de l’endroit ou l’on parle du canon de 120 court, votre écriture change de caractère, elle est moins nette et moins ferme.
LE CAPITAINE DREYFUS. — Elle n’a jamais changé, mon colonel.
LE PRESIDENT. — Lorsqu’on jette un coup d’œil sur cette lettre dont voici une photographie, on constate facilement que l’écriture depuis les mots : « 1° une note sur le frein hydraulique » jusqu’à la fin est beaucoup plus grande et plus large qu’au commencement. (Le Président présente la photographie en question au capitaine Dreyfus).
LE CAPITAINE DREYFUS. — L’écriture est plus large, mon colonel.
LE PRESIDENT. — Elle change, elle est plus large, moins bien formée ; cela peut s’expliquer par une émotion…
LE CAPITAINE DREYFUS. — D’abord, je vous ferai remarquer que l’élargissement des lettres commence à « je me [sic] rappelle »; or, « je me [sic] rappelle » n’a rien qui se rapporte au bordereau.

Comme nous l’écrivions dans une précédente réponse :

Dreyfus n’a aucunement reconnu ici avoir « modifié son écriture », ce qui entend une action volontaire, moins encore d’avoir « tent[é] de modifier son écriture », ce qui aggrave la question de l’acte volontaire ! Il a reconnu qu’à tel endroit – qui d’ailleurs n’est ni celui que voit Jouaust ni celui que voit Adrien Abauzit, qui a chaussé les lunettes de Dutrait-Crozon –, non que la disposition de ses mots était différente mais que son écriture était « plus large », juste « plus large »…

Et quand bien même cette réalité – qui ne nous saute pas aux yeux – serait, en quoi cette modification dans la graphie pourrait-elle constituer « une nouvelle preuve de sa culpabilité » ? Adrien Abauzit nous le dit : « puisque cela signifie qu’il connaissait le contenu du bordereau ». Si une preuve pouvait être établie sur de telles bases, les prisons seraient pleines, elles seraient pleines d’innocents et Adrien Abauzit serait toujours au chômage…

L’assassinat de Félix Faure
Adrien Abauzit a découvert un ancien livre d’André Galabru, il l’a lu celui-là, et a été convaincu : Félix Faure a été assassiné par les dreyfusards. Syndicat d’espionnage et de trahison, syndicat d’évasion et… syndicat du crime ! Nous sommes en plein délire… Mais ne l’écartons pas ce délire, comme il mériterait de l’être d’un simple revers de main… discutons-le un peu. Avant de commencer, il est amusant de voir Adrien Abauzit qui, dans son premier volume, disqualifiait l’expert Crépieux-Jamin au motif qu’il était dentiste, foncer tête baissée dans la littérature de Galabru, ancien militaire, professeur de philosophie, employé dans l’industrie pharmaceutique et chanteur à ses heures. Adrien Abauzit a trouvé le livre de notre professeur/chanteur/marchand de médicaments « prudent et on ne peut plus rigoureux » et « particulièrement bien documenté » puisqu’il repose sur le travail qu’Adrien Abauzit n’a pas fait et ne fera pas, celui d’aller consulter les archives : « les Archives nationales, les Archives de police de la Préfecture de Paris et […] diverses archives privées ». La « démonstration » d’Adrien Abauzit, qui n’est que celle du « prudent » Galabru qu’il se contente de résumer, est la suivante : le président de la République a été empoisonné par sa maîtresse, Marguerite Steinheil, à la demande de ses amis dreyfusards et tout particulièrement de Scheurer-Kestner, et cela non seulement « en raison de son engagement antidreyfusard » mais aussi parce qu’il préparait un coup d’État avec Déroulède. Les preuves ? La thèse officielle de l’apoplexie quand les premiers soins apportés seraient ceux que l’on prodigue dans les cas d’empoisonnement, l’absence d’autopsie et l’embaumement hâtif et la présence d’une cellule d’espionnage dreyfusarde à l’Élysée !
Déjà, il faut dire pour commencer que Félix Faure ne s’est jamais « engag[é] » du côté antidreyfusard. Il ne s’est pas engagé parce que, président de la République, il ne le pouvait pas et demeura toujours, comme l’exigeait sa charge, au-dessus des partis. On sait en revanche que s’il fut longtemps convaincu de la culpabilité de Dreyfus et l’était peut-être encore à la veille de sa mort (nous l’ignorons et rien ne nous permettra de le savoir), il était, comme en témoignera à plusieurs reprises son Directeur de cabinet, Le Gall, partisan de « la révision prompte et complète ». Quant à cette histoire de coup d’État, elle ne repose que sur le témoignage d’un anonyme (et très complotiste) Quisait qui, nous dit Adrien Abauzit, était « probablement parlementaire ». Adrien Abauzit se targue, dans les premières pages de ce livre, d’avoir – enfin – utilisé la presse… Il aurait dû le faire, vraiment (trois clics sur Google), et ne pas se contenter de reprendre en les extrapolant les références fausses ou approximatives de Galabru qui parle d’un « ancien homme politique, député ou sénateur ». Quisait ne fut jamais un parlementaire mais un journaliste de L’Intransigeant (ou plus exactement une signature omnibus ; on la retrouve dans L’Intransigeant de 1905 à 1919) qui était allé voir, pour recueillir ses paroles, « un solitaire que l’on ne voit jamais aux premières ; qui paraît deux fois par an à la Chambre, les jours où il espère que le tigre dévorera le dompteur, mais qui n’en suit pas moins, d’un œil attentif, la marche de la politique et qui en connaît maints dessous » (« Le roman rouge de l’impasse Ronsin racontée par un témoin », L’Intransigeant, 18 décembre 1908). Ce solitaire – que rien ne nous présente donc comme un député ou sénateur, ancien ou probable – avait échafaudé toute une histoire, rapportée par Quisait, reprise par Galabru, et ici par Adrien Abauzit, selon laquelle Déroulède serait venu voir Faure au début de février 1899 pour lui proposer, « pendant un interrègne, [de faire] une proclamation mettant le pays en demeure de se prononcer entre l’armée nationale et ses détracteurs et une dissolution de la Chambre ». Le président aurait demandé à réfléchir et le 13 février aurait invité Déroulède à venir le revoir le 17… Faure aurait finalement accepté la proposition et aurait pour cela rédigé une proclamation (« Le roman rouge de l’impasse Ronsin racontée par un témoin », L’Intransigeant, 19 décembre 1908). Avant d’aller au fond du sujet, une petite question : ne trouvez-vous pas, Adrien Abauzit, qu’il est difficile de fonder toute la preuve sur un article de journal, de surcroît un article sous pseudonyme, et un pseudonyme omnibus, qui donne la parole à un mystérieux informateur dont personne ne saura jamais rien, ni le nom, ni la qualité ?… Un article de journal et de quel journal ? De L’Intransigeant qui, sous Rochefort ou sous Bailby, ne s’est jamais embarrassé avec la vérité ! Mais peu importe parce qu’Adrien Abauzit (ou plus exactement André Galabru) a une autre « preuve » : enfin… un autre article, plutôt, issu cette fois de L’Espérance du Peuple (de Nantes), qui parle aussi de cette proclamation, proclamation qui aurait été volée à Félix Faure (?) et dont il avait si souvent entretenu sa maîtresse. Qu’est cet article ? Un article qui contient une soi-disant lettre de Félix Faure à Marguerite Steinheil. Une lettre étonnante et qui, si elle était vraie, montrerait la légèreté, l’inconscience d’un président qui, rédigeant des proclamations de coup d’État, en entretient longuement sa maîtresse, ce qui déjà en soi serait formidable et l’est plus encore quand on sait que la maîtresse en question était liée à la famille Scheurer-Kestner… mais admettons… le cœur a ses raisons… une lettre étonnante, donc, mais surtout une lettre dont personne n’a jamais vu l’original et qui est (l’article le dit) sans signature !!! Quand on se souvient de tout ce qu’a développé Adrien Abauzit au sujet du petit bleu parce qu’il était non signé, quand on se souvient de son « coup » de la lettre à Macron dont il s’est montré si fier (voir nos précédentes réponses précitées), la chose devient plus qu’amusante… Une lettre étonnante, une lettre pour le moins douteuse mais qui a aussi, pour Adrien Abauzit, une autre importance puisqu’elle révèle qu’on avait « fait pression sur lui [Félix Faure] pour lui faire « sanctionner » une trahison ». Si Adrien Abauzit était allé vraiment voir la presse, comme il dit l’avoir fait et l’a fait un peu, un tout petit peu, il n’aurait pas fait confiance à L’Intransigeant, qu’il cite ici, et qui disait cela dans son numéro du 12 décembre. Il serait allé voir, en ligne, le numéro de L’Espérance du Peuple qui en était à l’origine, et que l’Intransigeant « résumait », et y aurait non seulement vu qu’il s’agissait d’une autre lettre (il y en a deux) que celle dont il parle (L’Espérance du Peuple du 13 décembre 1908) mais surtout que la lettre en question, la première, ne disait absolument pas ce qu’il avait appris dans L’Intransigeant, indiquant bien, si c’était nécessaire, le peu de crédit qu’il faut porter à ce journal. En effet, dans le numéro de L’Espérance du peuple du 11 décembre, on ne lit absolument pas qu’on a « fait pression sur lui [Félix Faure] pour lui faire « sanctionner » une trahison » mais, dans cette lettre extraordinairement suspecte que le journal citait en partie, que Félix Faure avait besoin de voir sa maîtresse « pour oublier quelques instants auprès de [son] petit cœur aimant cette pieuvre de la trahison dont les tentacules m’enserrent de tous les côtés et changent mes nuits en cauchemars ». Voilà qui est pour le moins bien différent…
Mais laissons la méthode qui demeure invariablement la même et venons-en au fond. Félix Faure aurait donc répondu aux instances de Déroulède et préparé un coup d’État… Tout cela est très sympathique mais n’est attesté par rien, rien d’autre que par les souvenirs d’un « témoin » demeuré inconnu et par une lettre non signée, dont l’original n’a jamais été vu par qui que ce soit, et dont l’auteur de l’article qui la citait était si peu sûr qu’il la donnait « sous toutes réserves »… Qu’en est-il alors donc ? Nous savons que Déroulède avait approché Faure une ou deux fois mais nous n’avons aucune date et rien, vraiment rien, ne nous dit que ce fût juste avant sa mort. Nous savons aussi qu’à chaque fois le président avait opposé un refus à son interlocuteur comme il l’avait fait fin 1897 quand Robert Mitchell était venu le voir, au nom de ses amis Drumont, Déroulède, Habert, Judet, Delahaye, etc., pour présenter aux législatives à venir des hommes réunis sous le drapeau plébiscitaire présidentiel afin de le faire élire président à vie. Dans son Journal, publié il y a quelques années par Bertrand Joly, Faure raconte cette entrevue et sa réponse qui fut un unique : « C’est intéressant ». Et à la suite, Faure notait :

Ces gens-là se figurent toujours qu’il est possible à un républicain de trahir la République. Ce sera peut-être une occasion de montrer au pays ce que valent les soi-disant patriotes et d’en finir une bonne fois. Pour cela il convient de les laisser marcher et il faut rester attentif à leurs agissements, mais sans se confier à personne.

Félix Faure aurait-il donc radicalement changé d’idées et de principes, entre fin 1897 et début 1899 ? Peut-être… mais ce ne sont pas les « preuves » du « prudent » André Galabru reprises par Adrien Abauzit qui nous permettront d’en être convaincus. Mais quoi qu’il en soit, nous voyons mal Faure trahir la République dont il était le représentant et la Loi dont il était le garant ; « Ma règle de conduite, c’est la Loi – Personne ne m’en fera sortir » avait-il écrit à Le Gall – de l’intérêt, encore une fois, Adrien Abauzit, de faire le travail d’archives – en septembre 1898 (lettre du 24 septembre 1898, AN 460/AP 10).
Une « preuve », Adrien Abauzit – ou encore plus exactement André Galabru – en a encore une autre, sur un autre point, relatif à cette menace qui aurait plané sur Félix Faure : une « taupe dreyfusarde » se serait introduite à l’Élysée, comme en témoigne un « document des plus intéressants » découvert par André Galabru aux Archives nationales et que, nous dit Adrien Abauzit qui affirme d’autant plus qu’il en sait moins, « les historiens dreyfusards ont préféré ne pas commenter » ! À défaut d’être dreyfusards, comme nous n’avons de cesse de le lui répéter (voir les réponses précitées), nous l’avons commenté ce fameux papier, et à deux reprises : Eric Cahm l’a fait en 1998 et Philippe Oriol en 2014 ! Adrien Abauzit n’a pas lu les « historiens dreyfusards » (qui n’ont jamais été que des historiens) et peut soutenir ce qu’il ignore non seulement parce que que personne n’ira vérifier mais encore parce que dans sa vision et sa lecture du monde les choses doivent être telles. Mais bon, passons encore et toujours et revenons au document « des plus intéressants » en question. Quel est-il ? Il s’agit d’une dépêche télégraphique signée d’un certain Sphere, en date du 18 décembre 1897 à 11h30 du matin, de Londres, et adressée à un certain Shan, demeurant à l’hôtel Burton, rue Duphot. Un document pour le moins curieux puisqu’il est sur un papier à en-tête du Service télégraphique de la Présidence et porte une seconde date, celle de son expédition, ce même 18 décembre mais à 2h25 minutes. Une dépêche qui dit :

Présidence de la
République Française
Service télégraphique
n° 162/996/45240
Expédié le 18
à 2 h 25 minutes

Londres le 18 Xbre 1897
11 h 30 du matin

Shan, hôtel Burton
rue Duphot, Paris.

Voyez Zola immédiatement. Dites-lui éditeur World assure payement de la somme qu’il demanderait, quelle qu’elle soit, s’il veut aller à la Guyane et s’assurer par lui-même de la situation du capitaine.
World croit publicité seule peut amener mise en liberté et que Zola est le seul homme pouvant accomplir ce fait.
World paiera les dépenses d’une publicité qui sera universelle : succès presque certain.
Accusez réception par télégramme de ce message. Faites connaître au plus tôt également la réponse de Zola à TUOHY, Warwick gardens.

Que lit ici Adrien Abauzit (ou plus exactement le « prudent » André Galabru) ? Citons :

Il est clair qu’une offre financière est faite à Zola par un agent dreyfusard, probablement pour qu’il publie son futur torchon, J’Accuse. Le payeur serait un éditeur anglais, « World ». Il y avait donc une taupe dreyfusarde à l’Élysée et Félix Faure avait raison de se sentir épié.

Quel scoop ! Et quelle démonstration de ce qu’on peut arriver à faire dire à un document quand on a besoin qu’il serve le propos… Soyons sérieux et interrogeons-nous sur ce qu’est réellement ce « document des plus intéressants » et, comme se le demande Adrien Abauzit, après nous avoir infligé avec assurance et sans le moindre début de preuve son histoire d’« agent dreyfusard » et de financement du « J’Accuse… ! » :

Qui est Sphère ? Qui est World ? Qui est TOUHY [sic] ? Quel est le rôle, s’il en a un de Sphère dans les événements de février 1899 [ la mort de Félix Faure] ?

Aidons donc Adrien Abauzit qui, à vrai dire, s’il travaillait un peu plus, aurait pu trouver seul ce que nous allons lui expliquer. Déjà, il est extraordinaire que, suivant docilement le « prudent » Galabru, il ne se pose aucune question, ne s’interroge aucunement sur un papier à double entête (Présidence de la République et Londres) et portant deux dates (18 décembre 1897 11h30 et 18 décembre 1897 2h25). C’est pour le moins curieux, pourtant… Cette anomalie aurait dû normalement l’intriguer et l’inviter à réfléchir. Elle aurait peut-être même pu lui faire comprendre non seulement de quoi il s’agissait mais surtout que son prédécesseur sombrait dans le grotesque et qu’il aurait eu intérêt à l’y laisser. Mais à quoi bon réfléchir puisque Galabru l’a fait pour lui et que le résultat auquel il arrive sert le refrain qu’il a envie d’entendre et de reprendre. Si Adrien Abauzit avait lu les historiens « dreyfusards » (qui n’ont jamais été que des historiens) que nous évoquions, s’il avait lu Maurice Baumont, qui évoque la question World, peut-être aurait-il pu éviter le ridicule dans lequel, à son tour, il s’enfonce ici avec des airs de triomphe. Mais s’il les avait lu, il n’en aurait rien tiré puisque par définition, aux yeux d’Adrien Abauzit, les historiens « dreyfusards » mentent puisqu’ils sont les pions du grrrand complot républicain et anti-français. À défaut de lire, Adrien Abauzit aurait gagné, aussi, à se concentrer sur le texte qu’il cite et à en essayer d’en comprendre ce qu’il dit et non ce qu’il avait envie – et besoin – d’y trouver. Expliquons-nous… et expliquons lui. Pour commencer, le World, ou New York World, n’a jamais été un éditeur anglais… Il suffit d’interroger Google pour le savoir. Le World est un journal américain, un journal de la presse dite « jaune », qui appartenait au célèbre Joseph Pulitzer. Situé à New York, ce World avait aussi des bureaux sur le vieux continent, à Londres, et plus précisément à South Kensington, au 47, Warwick Gardens (tiens, tiens), Dans sa course effrénée à la publicité pour supplanter son concurrent, le New York Journal de Hearst, le New York World eut en effet le projet de faire interviewer Dreyfus à l’île du Diable et c’est pour cela, comme le dit le texte – la chose y est dite en toutes lettres ! ; comment peut-on y lire autre chose ? – qu’il avait pensé à Zola et qu’il était prêt pour cela – et non pour qu’il écrive son « J’Accuse… ! » (allons donc !) – à payer ce que demanderait l’auteur de Germinal. À en croire le World lui-même, Zola refusa la proposition. En effet, le World, dans son numéro du 16 janvier, publia un : « France refuses to allow Zola to see Dreyfus for the World », qui explique toute l’histoire (nous le donnons en traduction ; on trouvera le texte original dans Eric Cahm, « L’affaire Dreyfus dans la « presse jaune » américaine en janvier 1898 : deux interviews, avec Zola et Lucie Dreyfus », Bulletin de la SihaD, n° 4, hiver 1997-1998, p. 25-26) :

Le gouvernement français a refusé au World d’envoyer un de ses correspondants – un homme de renommée internationale – en Guyane pour voir Dreyfus.
La défense par Émile Zola du condamné de l’Île du Diable a fait de lui l’homme dont on parle le plus en Europe. C’est dans son interview au World ​​en novembre que Zola a lancé un défi au gouvernement français de rendre publiques les preuves sur la base desquelles le capitaine Dreyfus a été condamné. Cette interview, retransmise à Paris par le World, a irrité le gouvernement français contre Zola. Zola est devenu le champion français de la « Publicité » – le mot d’ordre du World– contre les secrets officiels et l’étouffement militaire.
Le World a alors demandé au gouvernement français d’envoyer un journaliste [interviewer] Dreyfus sur l’île du Diable, en Guyane française, pour obtenir sa propre histoire. Le gouvernement, craignant la publicité, a refusé. M. Zola fut alors invité à se rendre en Guyane comme envoyé spécial du World. Sa réponse fut : « Je suis profondément redevable au World. Il défend les opprimés du monde entier, mais je mènerai plus efficacement la lutte à Paris. Personne ne peut approcher Dreyfus avec les restrictions actuelles. Voir Dreyfus serait impossible… Il est trop bien gardé, et d’ailleurs ce n’est pas nécessaire, la bataille sera gagnée ici. »

Une histoire toute simple et bien loin des fantasmes du « prudent » André Galabru que reprend Adrien Abauzit. Mais continuons. Le même Galabru écrit :

[…] tout cela fut suffisamment peu avouable pour nécessiter des prudences de Sioux, comme l’utilisation de noms de codes (Shan, Tuohy, « Sphère » dont on n’aurait pas usé s’il n’y avait pas eu « montage ».

Adrien Abauzit s’est contenté d’en rester là, prenant pour parole d’évangile les insuffisances et le délire de son « prudent » prédécesseur. Nous connaissions le World mais nous ne connaissions pas Tuohy qu’il nous a fallu à peu près 10 secondes et un unique clic sur Google pour le retrouver. James Mark Tuohy (1857-1923), journaliste irlandais, était le directeur européen du World (il l’était depuis le début de 1897 et le sera jusqu’à 1923) et donc le locataire du 47, Warwick Gardens. 10 seconde pour le retrouver et trouver même une photographie le représentant :

Shaun maintenant. Si Adrien Abauzit était allé voir aux AN le document au lieu de se contenter de le reprendre de Galabru, il aurait pu déjà constater que la cote qu’il reprend de Galabru est fausse, que l’heure y figurant n’est pas « 11h30 du matin » mais « 11h50 du m[atin] » mais surtout il aurait lu Shaw et non Shaun. Plus parfait pseudonyme encore ? Non. Shaw a bien existé, il se prénommait Stanley et signera en 1913 une biographie de Guillaume II. En 1897, il était correspondant en France de divers journaux américain, dont le World et l’Anglo-american annual, aux bureaux parisiens duquel il faisait habituellement adresser son courrier (on le verra à la suite), 26, rue Cambon. Sphere, lui, nous demeure inconnu mais il n’est pas douteux qu’il était un administratif du World à Londres….
Cela dit, il demeure une question, la question que n’a pas pensé à se poser Adrien Abauzit : comment une dépêche envoyée de Londres tel jour à « 11h50 du matin » peut-elle se retrouver sur un papier à entête du Service télégraphique de la Présidence et donnée comme ayant été envoyé à « 2h25 minutes » ? Cette question Adrien Abauzit n’a pas eu besoin de se la poser puisque le « prudent » Galabru (dans un autre ouvrage, Variations sur l’Affaire, qu’Adrien Abauzit ne mentionne pas) en a la réponse :

L’heure du télégramme, 2h25, laisse supposer que l’auteur a dû attendre d’être seul et à l’abri des regards pour envoyer son message. Cela signifie qu’il craignait d’être surpris par l’entourage du Président.

Passons sur le fait absolument extraordinaire qui serait que cette hypothétique « taupe » de l’Élysée, ayant un message pour le moins compromettant à envoyer (l’embauchage de Zola, tout de même !), l’aurait fait du service télégraphique de l’Élysée et pas de n’importe quel bureau de poste ? Impossible ! nous dirait Adrien Abauzit puisque les bureaux de poste sont fermés à 2h25… en pleine nuit ! Entendu… Admettons que notre « taupe » ait été pressée et que s’imposait à elle l’absolue nécessité d’envoyer sa dépêche à l’heure où dort le bourgeois… Admettons cela… Mais pourquoi ce 2h25 serait-il le matin ? Contrairement à ce que semble croire Adrien Abauzit – qui nous prouve un peu plus à chaque page qu’il connaît bien peu la période dont il parle –, 2h25 minutes peut tout aussi bien être le matin que l’après-midi. Si Adrien Abauzit s’était un peu renseigné, il saurait que personne à l’époque n’utilisait le système horaire sur 24 heures comme nous le faisons aujourd’hui. À la fin du XIXe siècle, quand on donnait l’heure, on le faisait comme le font les cadrans des montres et des horloges, de 1 à 12 pour le matin et de 1 à 12 pour l’après-midi. Personne ne disait à l’époque 14h25 ; on disait 2h25 (ou 2h25 de l’après-midi ou, plus souvent encore, du soir) ! Mais de toute façon la chose importe peu puisque ce 2h25 de l’après-midi s’impose par la logique et il suffit de réfléchir dix secondes pour s’en apercevoir. Comment, sinon, expliquer qu’une dépêche datée du 18 décembre à « 11h50 du matin » ait pu être envoyée (ou réceptionnée, on le verra) à « 2h25 minutes » ce même matin, soit 9 heures avant ? Il est évident qu’elle a été envoyée (ou réceptionnée, on le verra), de la Présidence, à « 2h25 minutes » de l’après-midi, soit 3 heures après son envoi de Londres et donc à un moment où tout le monde était présent, à un moment où si son auteur avait été la « taupe » imaginaire du couple Galabru/Adrien Abauzit, elle se serait pour le moins « grillée ». Mais si nous nous amusons ici à discuter pour montrer comment celui qui veut voir ce qu’il veut voir arrive à le voir, il suffit de revenir au document pour clore la question. Si Adrien Abauzit ne se contentait pas de compiler et travaillait sur les archives, comme l’historien qu’il prétend être, il aurait pu – il aurait dû – aller aux Archives Nationales et consulter le document en question. Il aurait pu voir que le « rigoureux » Galabru ne s’est pas trompé uniquement sur la cote, sur l’heure, sur le nom de Shaw mais qu’il a aussi oublié le détail qui importe à propos de cette question précise. Il n’y est pas écrit « 2h25 minutes » mais « 2h25 minutes du s[oir]» [la consultation étant soumise à autorisation spéciale des ayants-droit, la publication n’est pas permise, raison pour laquelle nous ne le donnons pas en reproduction]. De même, si Adrien Abauzit travaillait comme doit le faire celui qui prétend faire de l’histoire et allait voir les documents au lieu de les emprunter sans vérification aux autres, il aurait aussi pu consulter la liasse F7/12473 aux mêmes Archives nationales. Il aurait pu y retrouver le fameux document sous sa forme première :

Ainsi, il aurait pu y voir le n° d’ordre de la dépêche (162996 ; repris sur la dépêche à entête de la Présidence) et y voir, en annotation marginale, les copies envoyées (dont l’Élysée)… Car si Adrien Abauzit, qui se targue aussi d’avoir lu les procédures, les avait vraiment lues, ou jusqu’au bout, il aurait compris ce qu’expliquait Chamoin à l’occasion de la seconde révision :

[…] suivant les habitudes encore, on en envoyait une copie ou un décalque à chacune des administrations que cela pouvait intéresser. Cela se fait pour tous les télégrammes intéressant soit la sûreté de l’État, soit des personnages diplomatiques un peu importants ; cela se fait pour beaucoup de télégrammes de la presse. C’est ainsi que vous voyez arriver au Ministère de l’intérieur d’abord la plus grande partie de ces télégrammes, et d’autres à l’Elysée dont l’officier de service prend connaissance et qu’il signale au Président de la République.

Tout devient simple : une dépêche a été envoyée de Londres, à 11h du matin, par un certain Sphere, probablement administratif au World, à Stanley Shaw, correspondant parisien du journal, dans l’hôtel où il était descendu. Un télégramme qui l’invitait à prendre contact avec Zola pour lui proposer de partir pour la Guyane interviewer Dreyfus et, ensuite, à contacter le directeur européen du journal à Londres pour lui donner la réponse de l’écrivain. Les Postes et Télégraphes ont alors, suivant les habitudes, envoyé une copie à l’Intérieur, à la Sûreté et à la Présidence et ce à 2h25 de l’après-midi. À la présidence, le papier à entête habituel a été utilisé pour transmission au Président, papier sur lequel a été remplie la partie imprimée servant à marquer l’expédition (« expédié le ………. / à …. h. …… minutes du …. ») qui ici permettait de noter l’heure de réception. C’est cette copie que nous connaissons et qu’Adrien Abauzit a exhumé en la récupérant, sans la moindre vérification, chez le « prudent » André Galabru.
Toutefois – et continuons à faire le travail que ne fait pas Adrien Abauzit –, on peut se demander les raisons pour lesquelles cette dépêche a été transmise à la Présidence ? Si, encore une fois, Adrien Abauzit avait un peu plus travaillé, il aurait pu, aux ANOM cette fois, découvrir une correspondance qui lui aurait donné une réponse raisonnable… une réponse qu’il aurait même pu trouver – puisqu’il semble qu’il n’aime pas aller travailler sur les sources premières et préfère les sources secondaires – en lisant un tout petit peu, juste quelques lignes d’une page du livre de Maurice Baumont. Voici l’histoire : quelques jours avant cette dépêche, le 7 décembre, les Colonies avaient communiqué auprès des Affaires étrangères pour qu’ils se renseignassent à propos d’un certain Bastillac qu’un rapport de police du 26 novembre, le présentant comme ayant appartenu « au journal juif […] The World », donnait comme étant la cheville ouvrière d’un projet d’enlèvement de Dreyfus initié par « le directeur juif du « World » ». Lisant cela, Adrien Abauzit aurait sans doute été heureux mais, s’il ne s’était pas contenté de cela, aurait été finalement déçu en découvrant, quelques feuillets plus loin, un rapport du 18 décembre de Charpentier, gérant du Consulat général de France à New York, qui pouvait certifier qu’il s’agissait d’une fausse information, que Bastillac était « tout à fait inconnu au « World » », qu’il n’y avait « jamais collaboré », ni à New York ni comme correspondant à l’étranger. Et quant à cette histoire d’enlèvement, le Charpentier en question pouvait certifier, le tenant d’une « personne » sûre, que tout cela n’était que fantasme. Nous avons notre explication : branle-bas de combat autour du World et de ce projet imaginaire d’évasion et il est clair que tout ce que la France comptait de services susceptibles de renseigner colligeait tout ce qui avait trait au journal américain et que fut, dans cette optique, intercepté et transmis, comme en voulait l’usage, à diverses administration dont la Présidence le document « passionnant » évoqué, et ce le jour même où arrivait un rapport qui dégageait le World de toutes les responsabilités dans lesquelles l’avaient engagé les bavardages du dénommé Bastillac (qui semble d’ailleurs s’être appelé de Bastiac)…
Maintenant, continuons encore à faire le travail que ne fait pas Adrien Abauzit et poussons la question pour nous demander ce qu’il en fut de cette proposition faite à Zola. Si Adrien Abauzit essayait d’adopter les méthodes des historiens, et s’il avait voulu aller au bout de son sujet, il aurait trouvé, dans la presse qu’il affirme pourtant avoir dépouillée, cette interview de Robert Sherard à La Libre Parole du 5 février dans laquelle cet antidreyfusard anglais, antisémite bon teint, salarié du New York journal concurrent, certifiait que Zola n’avait jamais été contacté par le World et que tout cela n’était qu’une invention du « journal du Juif Pulitzer » ? Et pourtant… Retournons aux AN voir la liasse précédemment évoquée et lisons deux documents, eux vraiment passionnants. Le premier est la réponse de Stanley Shaw à Sphere, nouvelle dépêche interceptée par les Postes et Télégraphes et transmise à la Sûreté (pas à l’Élysée cette fois) :

Paris, 18bre 97 3 30 / Sphere / Londres Message reçu. Vais voir Zola. J’avais exactement écrit ce matin la même chose à Scheurer. / S. Shaw, 26 rue Cambon

La seconde est plus intéressante encore et nous en donnerons à la suite (non en légende) la transcription.

Paris 18/12 97 7 30
Tuohy, 47, Warwick gardens south Kensington Londres.
J’ai eu une longue et vive conversation avec Zola. Il refuse ne pouvant pas de but en blanc délaisser ses propres affaires et s’il le pouvait il ne le ferait pas : 1° parce qu’il ne lui serait pas permis d’approcher de l’île –
2° parce que sa place au combat est ici et non là-bas – 3° parce que la chance de Dreyfus n’a jamais été si grande en bon espoir que maintenant.
Lui ayant demandé pourquoi Scheurer-Kestner n’avait pas produit ses preuves, il me répondit que le sénateur n’était pas un révolutionnaire et qu’il avait été empêché par ses fonctions législatives mêmes. De plus, le gouvernement en ordonnant enquête sur Esterhazy a fait tout ce qu’il pouvait l’affaire étant poursuivie judiciairement.
Shaw, 26 rue Cambon.

Ce que Sherard avait dit à La Libre Parole, il le fera imprimer dans le New York journal. C’est pour cela que quelques jours après, Stanley Shaw écrira à Zola pour lui demander de le soutenir. Citons cette lettre qu’Adrien Abauzit aurait pu voir, de chez lui (puisqu’il ne semble pas aimer se déplacer), en allant sur CORREZ – Édition des lettres internationales adressées à Émile Zola :

Quel crédit peut-on accorder aux travaux d’Adrien Abauzit après cette petite démonstration de ce qu’est le travail d’un historien ? Car étonnante est cette méthode de nos « historiens » antidreyfusards (parce que si nous ne sommes pas des historiens dreyfusards eux, en nous désignant comme tels, affirment leur anachronique antidreyfusisme) qui nous montre bien comment on peut faire dire n’importe quoi à n’importe quoi, contre toute évidence, contre toute logique, et cela en jouant sur l’ignorance des lecteurs qui prendront pour argent comptant les montages fumeux nécessaires non à l’histoire, qui n’est plus convoquée ici si tant est qu’elle l’ait un jour été, mais à la cause à défendre…
Si toutes les « preuves » d’Adrien Abauzit (ou d’André Galabru) s’écroulent les unes après les autres, demeurent toutefois la question de la mort de Félix Faure et celle des soins qui lui furent prodigués, soins inadéquats dans les cas d’apoplexie et particulièrement recommandés dans ceux d’empoisonnement. La chose serait à vérifier mais nous ne le ferons pas, la lecture des traités de médecine nous rebutant tout à fait. Mais si cela est vrai, si en effet les soins apportés à Félix Faure étaient de ceux que l’on pratiquait habituellement dans les cas d’empoisonnement, ne peut-on tenter une simple explication ? Faure, la chose est connue, pour stimuler et satisfaire ses insatiables appétits prenait de la cantharide, aphrodisiaque réputé puissant et qui ne semble jamais l’avoir été mais dont la surdose est mortelle… N’a-t-il pas simplement, ce fameux jour, abusé de son « remède d’amour » ? Et on comprendrait alors bien pourquoi on parla officiellement d’apoplexie, façon convenable d’expliquer la mort subite d’un président de la République, et plus convenable en tout cas qu’une overdose causée par un proto-viagra !
Pour faire passer l’idée que le fameux Syndicat fut aussi celui du crime, il faudra d’autres preuves que ces coupures de presse, ces témoignages anonymes, ses lettres suspectes et anonymes que personne n’a jamais vues, ces dépêches télégraphiques montées en épingle quand elles ne sont rien du tout, ces erreurs de lecture et de compréhension… et il faudra plus aussi qu’un autre témoignage, celui du « prudent » André Galabru, obtenu d’une arrière-petite-fille de Félix Faure qui le tenait de son père qui le tenait de Maurice Martin-du-Gard qui semblait le tenir d’un quelconque allemand qui avait mis la main sur les archives d’une loge maçonnique… Et il faudra plus enfin que l’avis, qui n’engageait que lui, du général Estienne, qui avait confié sa conviction en 1920 à un monsieur, qui avant de disparaître l’avait confié à son fils, qui l’avait confié à André Galabru…. L’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours…

Les Cinq morts mystérieuses
Il est vrai que les décès de Laurenceau, de d’Attel, de Lemercier-Picard, de Chaulin-Servinière et de Syveton sont, dans leurs circonstances, extraordinaires. Mais de là à en faire des assassinats dreyfusards… et de là à le faire avec aucun commencement de début de preuves, juste sur une hypothèse et sur la base d’un pauvre système : leur mort est mystérieuse, ils sont antidreyfusards, donc ils ont été assassinés… Et s’ils le sont, extraordinaires, ces décès, ils le sont tout autant que ceux d’Henry, du commandant Bayle ou de Zola qui ne furent certainement pas assassinés par les dreyfusards même si l’inénarrable – quoique prudent – Galabru, dans son second ouvrage (Variations sur l’Affaire), nous explique, semble-t-il en y croyant, que Zola fut assassiné par « ceux qui, étant au pouvoir, avaient le plus à craindre d’un témoin au courant de pas mal de choses touchant l’Affaire et la mort de Félix Faure » !!!! En termes de prudence on a vu plus prudent…
Nous n’allons pas prendre ici ces décès un à un ; la démonstration serait longue, fastidieuse et à vrai dire d’un intérêt relatif. Nous n’en prendrons qu’un : celui de d’Attel. On se souvient que ce témoin des pseudo-aveux fut retrouvé mort, dans un compartiment de train, en octobre 1895. Les dreyfusards l’auraient donc assassiné et ce qui est extraordinaire c’est qu’ils l’auraient assassiné à un moment où ils n’existaient pas. Car en effet, qui était dreyfusard en 1895 ? La famille Dreyfus, Forzinetti et Bernard Lazare. C’est tout ! et il serait extraordinaire qu’un de ceux-là aient tué un « témoin » des soi-disant « aveux » à un moment où les soi-disant « aveux » ne représentaient rien du tout. L’affaire des « aveux » était sortie au lendemain de la dégradation et s’était aussitôt évanouie dans l’air. Ce n’est qu’à partir d’octobre 1897 que les aveux deviendront un des fondements de l’accusation ! Faut-il, pour rappeler à Adrien Abauzit ce qu’il oublie, ou lui expliquer ce qu’il ignore, dire ce que furent ces fameux aveux dont les quelques rapports rédigés immédiatement après la dégradation sont pour le moins troublants ? Faut-il rappeler celui de Lebrun Renaud (qui s’écrit bien comme ça et non comme l’écrit Adrien Abauzit en corrigeant avec assurance ce qu’il croit être une faute ; voir note 58, p. 66), qui, consignant son service, les heures d’arrivée et de fin, se contenta, dans la colonne « observations », de porter un simple : « Rien à signaler » ? Curieux, après avoir reçu des aveux… Faut-il rappeler celui du commandant Guérin, qui avait été mis à disposition du général Darras pour la parade, et qui faisant à son tour son rapport au général Saussier, se contenta d’écrire dans son télégramme : « Parade terminée, Dreyfus a protesté de son innocence et a crié : Vive la France ! Pas d’autre incident » ? Curieux encore… Faut-il rappeler l’état signalétique de Dreyfus, repris par Le Matin daté du 5, et qui concluait toute l’affaire d’un simple : « Dreyfus n’a exprimé aucun regret, fait aucun aveu, malgré les preuves irrécusables de sa trahison ; en conséquence il doit être traité comme un malfaiteur endurci tout à fait indigne de pitié » ?
Quant à dire que la mort de Chaulin-Servinière, lui aussi vecteur des fameux aveux, permettait de se débarrasser d’un témoin gênant tout en envoyant « au passage un message aux membres de la classe politique susceptibles de vouloir s’engager du mauvais côté », c’est aller bien vite en besogne et prendre ses rêves pour la réalité. Sur les 581 députés de 1898, il y avait en tout et pour tout un dreyfusard déclaré : Joseph Reinach… Du coup, si l’idée était de passer un message, il semble qu’il ne fut guère entendu ! Il en restait encore 579 à assassiner ! Quant à l’empoisonnement de Krantz, il est tout aussi extraordinaire. Officiellement, l’utilisation d’une casserole mal rétamée avait été à l’origine du malaise qui avait frappé le ministre et sa famille et les avait obligés à garder la chambre quelques jours. S’il s’était agi d’un empoisonnement de l’extraordinaire syndicat du crime, il eût été bien mal venu de le faire à ce moment-là. Krantz n’était plus ministre et ne le serait plus puisqu’on savait depuis quelques jours qu’il avait refusé les propositions qui lui avaient été faites. Pourquoi, s’il avait existé, ce syndicat du crime, aurait-il alors tenté de se débarrasser d’un homme précisément à un moment où il n’avait plus aucun pouvoir ? Et si Krantz était en effet agacé par la campagne dreyfusarde, s’il croyait probablement Dreyfus coupable, s’il n’était pas partisan de la révision, il était aussi convaincu de la lourde responsabilité des grands chefs et avait peu avant fait incarcérer Du Paty et avait sanctionné Cuignet… Pour La Libre Parole, il n’était que « l’extraordinaire ministre de la Guerre qui n’a de sympathies que pour les insulteurs de l’armée » (Drumont, « Récit succinct mais exact de ce qui s’est passé à Grenoble », 22 mai 1899)… Qui aurait donc eu le plus intérêt à se débarrasser de lui, dans ce monde criminel que se plaît à rêver Adrien Abauzit ?
Et je me demande bien pourquoi Adrien Abauzit n’a pas ajouté dans sa liste le lieutenant-colonel Henry ? Mais non bien sûr puisque les dreyfusards n’auraient pu le tuer dans sa cellule. Elle est bien mystérieuse, pourtant, la mort de ce lampiste, retrouvé sans vie dans sa cellule, la gorge tranchée, un rasoir fermé dans sa main gauche, lui qui était droitier ?

La dépêche Panizzardi
Nous doutons que le lecteur non averti puisse comprendre quelque chose au propos que développe ici, en l’embrouillant à loisir, Adrien Abauzit. Nous n’allons pas tout reprendre, ce qui nous entraînerait trop loin, et nous allons nous contenter d’aller à l’essentiel sur cette question intéressante et qui prouve l’exact contraire de ce qu’Adrien Abauzit essaie d’y voir. Le 2 novembre 1894, deux jours après la révélation de l’arrestation d’Alfred Dreyfus, les Postes et Télégraphes interceptaient une dépêche chiffrée émanant de l’ambassade d’Italie et destinée à Marselli, commandant en second de l’état-major italien. Le texte en était le suivant :

Commando stato maggiore Roma
913 44 7836 527 3 88 706 6458 71 18 0288 5715 3716 7567 7943 2107 0018 7606 4891 6165
Panizzardi.

Le Baravelli, clé de lecture, permettait de le décrypter ainsi :

Autrement dit, et en traduction :

Si le capitaine Dreyfus n’a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l’ambassadeur de publier un démenti officiel, afin d’éviter les commentaires de la presse.

Toutefois une première version, quelques jours plus tôt, avait été transmise au ministre Mercier qui, lors de sa déposition devant la Cour de cassation, le 20 janvier 1899, en parlera en ces termes :

24 ou 48 heures après la décision prise en conseil de cabinet de déférer Dreyfus à la justice militaire, on m’apporta de la part du ministère des Affaires étrangères la traduction d’un télégramme adressé par B à son chef hiérarchique ; cette traduction était-à peu près conçue ainsi : « Dreyfus arrêté, précautions prises ; prévenu (ou prévenez) émissaire ». On me donna en même temps avis que la traduction de la fin de ce télégramme était incertaine ; un ou deux jours après, je reçus du ministère des Affaires étrangères une nouvelle version de cette traduction, à peu près ainsi conçue : Dreyfus arrêté, si vous n’avez pas relations, démentez officiellement pour éviter polémiques. » En conséquence, je donnai l’ordre de ne tenir aucun compte de ce télégramme et de n’en faire aucun usage dans le cours du procès : cet ordre fut exécuté.

Un fait est donc indiscutable : la fameuse dépêche ne fut pas retenue ; ni dans sa première version, douteuse, ni dans sa seconde qui déchargeait Dreyfus de tout rapport avec l’Italie, document qui n’aurait guère été utile, voire tout à fait contreproductif, à l’accusation en 1894. Quand il s’est agi, en 1898, de corser le dossier, ces deux traductions n’ayant pas été conservées (et certainement pas du fait de Picquart, comme l’affirme avec aplomb et sans le début du commencement d’une preuve Adrien Abauzit, mais probablement de celui de Sandherr, comme le pensait Gonse – voir la citation un peu plus bas), on demanda à Du Paty de Clam de retrouver le texte de la dépêche… À trois ans et demi de distance, Du Paty put citer de mémoire ce document qu’il n’avait que peu vu et en donner le texte suivant, tel qu’il fut consigné au dossier secret :

Un autre texte mais qui en fait ne disait rien du tout de la culpabilité de Dreyfus. Car quoi d’étonnant, en effet, que venant d’apprendre l’arrestation d’un officier traître au sein de l’armée française, l’attaché militaire écrivît à son chef d’état-major :

Capitaine Dreyfus arrêté. Le ministère de la Guerre a eu les preuves des révélations offertes à l’Allemagne.
La cause est instruite avec le plus grand secret.

Un propos (le capitaine Dreyfus vient d’être arrêté, il est accusé d’avoir trahi au profit de l’Allemagne ; l’enquête demeure secrète) qui ne disait rien d’une quelconque culpabilité et n’était que celui de la presse aux premiers jours de la révélation de l’arrestation de Dreyfus. C’était, pour seul exemple, exactement ce que disait L’Intransigeant du 2 novembre 1894. Il est vrai que manque ici le dernier segment, problématique indiscutablement, seule notation qui pouvait indiquer quelque chose : « Du reste, l’émissaire est prévenu ». Mais qu’on regarde le document reproduit au-dessus (folio 2) et nous verrons que la traduction du segment concerné est donnée, entre parenthèse, comme incertaine ! Importante précision, n’est-ce pas ?, et que se garde bien, comme à son habitude, de nous donner Adrien Abauzit ! Et une précision qui a son poids puisque, nous le répétons, ce n’est que ce segment qui pouvait en effet laisser entendre la culpabilité de Dreyfus ! Après ce petit bricolage avec la vérité, Adrien Abauzit accuse Picquart d’avoir étouffé les deux versions pour sauver Dreyfus au service duquel, dans la narration habituelle depuis Dutrait-Crozon, il est censé être. Cette accusation, même les hommes de l’État-major n’avaient pas osé la porter ! Pour un Gonse, il était clair que si les télégrammes, écartés en 1894, avaient disparu c’est que Sandherr lui-même, chef de la Section de statistique à l’époque, ne les avait pas conservés. C’est ce qu’il dira lors de l’enquête de la Cour de cassation :

Au mois de mai 1898, le ministre de la Guerre, M. le général Billot, prescrivit de réunir, en un dossier unique, tous les documents, tous les renseignements, toutes les pièces, en un mot, secrètes ou autres, que le Service des renseignements pouvait posséder au sujet de l’affaire Dreyfus. En faisant ce travail, la dépêche dont il vient d’être question me revint à la mémoire, et j’en demandai le texte au colonel Henry. Il me dit ne plus l’avoir ; le colonel Sandherr n’en n’avait pas laissé de traces ;

Un Gonse d’ailleurs qui, à la différence d’Adrien Abauzit, avait su se montrer plus que prudent au sujet de la traduction de Du Paty :

les officiers du Service des renseignements ne pouvaient pas davantage reconstituer ce texte ; j’eus l’idée d’en parler au colonel Du Paty, qui venait quelquefois dans mon bureau ; celui-ci, recueillant ses souvenirs, me donna, de mémoire, un texte qui se rapprochait sensiblement du premier texte communiqué au colonel Sandherr par les Affaires étrangères. Je l’écrivis sous sa dictée, mais je ne considérais ce texte, à aucun titre, comme authentique ; un texte, écrit ainsi de mémoire, à distance des événements, n’avait à mes yeux qu’une valeur absolument inférieure.

… et tellement prudent même qu’il enverra plus tard Henry à Paléologue pour en récupérer le texte original.
S’il l’avait su, Adrien Abauzit aurait aussi pu nous dire autre chose. Il aurait pu nous raconter qu’une fois cette nouvelle traduction, due à la prodigieuse mémoire de Du Paty, récupérée, elle avait été jointe par Gonse au dossier secret (rapport Wattinne). Pourtant, au moment de la clôture du rapport et avant de le transmettre au ministre, Gonse décida, bien maladroitement et en un superbe aveu, d’en biffer la mention (« copie d’un télégramme chiffré adressé par Panizzardi au chef d’État major à Rome ») pour la remplacer par une plus prudente : « Remplacé par une note spéciale ». Une note spéciale qui était une note signée d’Henry, tout juste écrite, note dans laquelle la dépêche était devenue pour le moins accessoire. Henry y « certifi[ait] » que Sandherr lui avait rendu, « le 15 ou le 16 » décembre 1894, les « documents relatifs aux affaires d’espionnage, qui [lui] avaient été demandés au mois de novembre précédent, à propos du procès Dreyfus » et lui avait déclaré à cette occasion posséder un dossier « plus important » dont il ne lui avait montré qu’une pièce qu’il « gard[ait] par devers [lui] », comptant s’en « serv[ir] si besoin est ». Voilà bien une nouvelle confirmation du peu de crédit que Gonse accordait à cette traduction de Du Paty. Une prudence qui n’était pas que de l’honnêteté mais était aussi, sans doute, nécessaire pour éviter de se faire opposer un démenti. Paléologue, qui se souvenait du texte et l’avait donné à Henry à plusieurs reprises (« au mois de septembre ou d’octobre », le 17 novembre et à « diverses reprises » encore « pendant l’hiver 1897-1898 »), aurait pu trouver curieuse cette autre traduction, sortie d’un chapeau ?
Pour démontrer l’indémontrable, Adrien Abauzit bricole et oublie tout ce qui va contre sa démonstration et qui pourtant émane des hommes de l’État-major. Ainsi aurait-il dû lire ce qu’en dit le chef-d’escadron Matton, ancien de la Section de statistique et non suspect de dreyfusisme, et qui savait de quoi il parlait puisqu’il avait été un de ceux qui avaient travaillé au déchiffrement de la fameuse dépêche ? Devant la Cour de cassation, en 1904, il n’aura de cesse de répéter que cette première traduction, telle que l’avait restituée de mémoire Du Paty, n’existait pas, pas autrement que dans sa débordante et obéissante imagination :

M. Le Procureur général : La première traduction qu’on avait faite au Ministère de la Guerre, pour la porter au Ministères des Affaire étrangères, était-elle relative à Dreyfus ?
Le témoin [Matton] : Non, il n’y était en aucune façon question de Dreyfus. C’était excessivement vague… […]
M. Le Procureur général : On ne pouvait pas en conclure qu’il s’agissait du capitaine Dreyfus ?
Le témoin [Matton] : On ne pouvait rien en tirer du tout à mon avis.
M. Le Procureur général : Même avec la traduction qu’on avait apportée ?
Le témoin [Matton] : Non.
M. Le Procureur général : C’est que vous savez que le colonel Du Paty de Clam a prétendu que cette première traduction qu’on a portée au Ministère de la Guerre portait ces mots :
« Arrestation capitano Dreyfus… »
Est-ce cela ?
Le témoin [Matton] : Non, du tout. Cela n’avait rien à voir avec cela.
[…]
Le témoin [Matton] : je répète que cette traduction n’a aucune espèce de valeur.
M. Le Procureur général : Et en aucun cas on ne peut en tirer quoi que ce soit contre le capitaine Dreyfus ?
Le témoin [Matton] : Absolument pas ; même avec la traduction qu’on avait apportée tout d’abord et qui n’était pas du tout certaine, parce que, je le répète, il y avait aux mots plusieurs sens différents.
M. Le Procureur général : Et quant à celle que je viens de vous lire, vous n’en avez jamais eu connaissance ?
Le témoin [Matton] : Non.

Une déposition qui clôt la fable de Du Paty et à propos de laquelle on ne peut que se demander comment il est possible qu’Adrien Abauzit, puisqu’il affirme avoir lu les procédures, ait pu passer à côté… Mais le plus beau – parce qu’il peut y avoir encore plus beau –, dans ce chapitre, est le document qu’exhume Adrien Abauzit et qu’il n’a pas trouvé chez André Galabru, cette fois, mais chez un autre moderne antidreyfusard, Yves Amiot. Donnons-en le texte :

Cher ami,
Je crois que l’arrestation du capitaine Dreyfus cause ici un peu d’émotion. Avant-hier, le colonel Pannizardi [sic] est arrivé à sept heures le soir et tout bouleversé, puis il s’est entretenu secrètement avec l’ambassadeur. […] L’ambassadeur tient sans doute à ce que j’ignore la trahison de Dreyfus car, depuis hier, il cache soigneusement ses journaux. Je ne vois pas autre chose à vous signaler […].

Avant tout, contrairement à ce que dit encore et toujours Adrien Abauzit, qui une nouvelle fois nous accuse d’avoir dissimulé ce document, il faut lui apprendre qu’il a été intégralement cité et commenté par un historien au moins : on le trouve en effet dans le livre d’Oriol, en 2014. Mais que dit ce document ? Selon Adrien Abauzit, cette pièce prouve que Dreyfus « était connu à l’ambassade italienne. Et il ne pouvait l’être que pour fait d’espionnage ». Déjà, cette pièce n’est pas du 31 octobre, comme le dit Adrien Abauzit, mais du 2 novembre. Mais peu importe ici… La vraie question est de savoir ce qui peut permettre à Adrien Abauzit de dire que si Panizzardi était bouleversé à la nouvelle de l’arrestation de Dreyfus, c’est parce qu’il le connaissait ? Rien ! Si Panizardi était bouleversé, c’était plutôt parce quand avait été donné le nom du « traître », le 31, par Le Soir, les Italiens avaient dû être pour le moins stupéfaits et inquiets. Qui était ce Dreyfus dont ils ignoraient tout et que pourtant de nombreux articles donnaient comme trahissant à leur profit ? On serait bouleversé à moins… et c’est pour cela que Panizzardi était allé voir son ambassadeur et, sans doute après la discussion qu’il avait eue avec lui, avait écrit au général Marselli la fameuse dépêche dont il a été précédemment question pour dire qu’il ignorait tout de ce Dreyfus et que, si on ne le connaissait pas à Rome, s’imposait un démenti. Un Panizzardi tellement bouleversé même, que cette dépêche du 2 venait reprendre et insister les propos qui avaient été les siens, la veille, dans un rapport au même, rapport bien connu qu’Adrien Abauzit a, encore et toujours, oublié :

L’arrestation du capitaine Dreyfus a produit, ainsi qu’il était facile de le supposer, une grande émotion.
Je m’empresse de vous assurer que cet individu n’a jamais rien eu à faire avec moi.
Les journaux d’aujourd’hui disent, en général, que Dreyfus avait des rapports avec l’Italie ; trois seulement disent, d’autre part, qu’il était aux gages de l’Allemagne. Aucun journal ne fait allusion aux attachés militaires. Mon collègue allemand n’en sait rien, de même que moi.
J’ignore si Dreyfus avait des relations avec le commandement de l’État-Major.

Quand on a toutes les pièces et qu’on se contente de lire ce qu’il y a d’écrit, on arrive, curieusement, à des résultats bien différents…

Les témoignages confondants
Voici convoqués les témoins de l’inénarrable Quesnay de Beaurepaire. Cela semble une blague… Les commenter n’aurait d’autre intérêt que de montrer comment Adrien Abauzit arrive à faire de la prestidigitation avec leurs contradictions. Il suffit de renvoyer au mémoire de Mornard qui, pour chacun et l’un après l’autre, a montré la vacuité de leurs fameuses révélations. On lira ici les chapitres qui nous intéressent.

Tentatives de corruption
Lazare, tout d’abord, qui, selon l’extrait de la déposition de Rochefort devant la Cour de cassation que cite Adrien Abauzit, serait venu, avec Forzinetti, le voir et lui aurait laissé entendre à mots à peine couverts qu’il pourrait être grassement payé s’il se mettait à la tête de la campagne. Puisqu’il est avocat, Adrien Abauzit, aurait pu laisser la parole à la défense et écouter Lazare qui racontera ainsi cette fameuse entrevue :

Je me décidai à aller voir Rochefort, j’avais pensé au Journal, à l’Écho de Paris, mais je préférais m’adresser à l’Intransigeant. Quand ma visite fut décidée, Mathieu qui m’avait souvent parlé de Forzinetti et qui m’avait dit quelle avait été sa conduite me demanda si je voulais que Forzinetti m’accompagna [sic]. J’acceptai et vis pour la première fois Forzinetti, le matin d’Octobre 96 où il vint avec moi chez Rochefort. Je vis Rochefort, causai avec lui, lui demandai s’il voulait voir Forzinetti que j’avais laissé dans la voiture qui attendait devant la porte. Rochefort reçut très bien Forzinetti, écouta tout avec grand intérêt. Je ne trouvai chez lui qu’une résistance médiocre. Toute sa croyance en la culpabilité de Dreyfus reposait sur les racontars [jeu, femmes, etc.] qu’on lui avait rapportés. Il était cependant assez disposé à croire que Charles Dupuy avait commis d’abominables gredineries. Somme toute il se demandait intérieurement de quel côté il polémiquerait. Il me promit cependant qu’un compte rendu impartial de ma brochure serait fait dans l’Intransigeant. J’ai su depuis qu’un homme avait empêché Rochefort de marcher contre les bourreaux de Dreyfus : c’est Vaughan qui lui conseilla de ne pas défendre le condamné. L’Intransigeant aussi publia une analyse plutôt malveillante. Cependant Rochefort n’était pas convaincu de la culpabilité de Dreyfus. Quelques jours après la publication de ma brochure je le vis à la réunion du Comité pour Cuba libre dont je faisais partie et qu’il présidait. À la fin de la séance Bauer [sic] et Cipriani qui étaient là me dirent toute leur sympathie pour moi et pour la cause que je défendais. Bauer [sic] interpella Rochefort et celui-ci dit qu’il trouvait très courageux de ma part d’avoir marché, mais ajouta-t-il : « jamais on ne remontera ce courant » et comme Bauer [sic] insistait, il s’éclipsa très gêné.

Il est clair qu’un des deux ment et ment effrontément. Pourtant, nous voudrions poser une question qui ne nous semble pas sans intérêt. Pourquoi Rochefort, s’il disait vrai, ne parla-t-il de cette tentative d’embauchage pour la première fois qu’en 1904 ? Pourquoi, en novembre 1897, quand il parla la première fois de la visite de Forzinetti, ne pipa-t-il pas mot de la démarche tentée et ne cita pas même le nom de Lazare ? Citons ce texte de Rochefort, qu’ignore encore Adrien Abauzit :

De là ces démarches dont j’ai été moi-même l’objet dans de rares conditions d’insistance et de ténacité. Oui, j’ai reçu, un jour, à mon excessif étonnement, la visite de qui ? Vous ne le devineriez jamais : du directeur de la prison du Cherche-Midi, où Dreyfus avait été en prévention ; il venait, au nom de tous les parents du condamné, me supplier de m’associer à la campagne qui se préparait en faveur de la révision du procès.
Par quels arguments avait-on ouvert les yeux de ce chef de bataillon ? Je n’ai pas à le rechercher, et je ne mentionnerais pas son intervention, quelque étrange qu’elle m’ait paru, si ce défenseur d’un homme qu’il était chargé de garder, n’avait pas été révoqué dernièrement de ses fonctions, qu’il exerçait si singulièrement.
J’éconduisis ce solliciteur, non sans lui avoir adressé cette observation : « Puisque vous croyez à son innocence, pourquoi, lorsqu’il était entre vos mains, ne l’avez-vous pas fait évader ? »
À quoi il riposta, avec l’accent d’un homme qui connaît la puissance de la juiverie, sous notre ploutocratie républicaine :
« J’avais la conviction qu’il serait acquitté. » (« Un bail de trois ans », L’Intransigeant, 1er novembre 1897).

Imagine-t-on Rochefort laisser passer ainsi l’occasion d’édifier ses lecteurs sur les mœurs du « syndicat » et de donner un exemple précis, pour varier les couplets qu’il aimait tant, « de la puissance de la juiverie » ? Encore et toujours, passons…
Oublions, à la suite, le ridicule Mertian de Muller et l’improbable Teyssonnières et attardons-nous pendant quelques lignes sur le cas Sandherr. Adrien Abauzit reproduit le rapport de Sandherr sur la tentative de corruption dont il aurait été l’objet de la part des frères de Dreyfus. Adrien Abauzit aurait pu, s’il les connaissait et pour agrémenter son propos, ajouter les « témoignages » de la veuve de Sandherr et de quelques amis (Stackler, Thesmas). Il aurait même pu citer un autre ami, Penot, qui ira jusqu’à se souvenir du montant proposé – 150 000 francs – pour « étouffer » l’affaire ! Cordier, à qui Sandherr en avait parlé, démentira absolument qu’il se fût agi d’une tentative de corruption… Mais Cordier n’est pas recevable pour Adrien Abauzit puisqu’il eut le grand tort de devenir dreyfusard. Pourtant, son témoignage sera confirmé, à Rennes, et le sera par un homme dont Adrien Abauzit ne remettra pas en question la parole : le général Mercier :

Je dois à la vérité de dire que je suis d’accord, avec le colonel Cordier. Je me rappelle que le jour où cet entretien a eu lieu, le colonel Sandherr est venu m’en rendre compte et je lui ai demandé quelle était l’impression générale qui était résultée pour lui de son entrevue avec Mathieu Dreyfus. Il m’a répondu: « Mon Dieu, il m’a fait l’effet d’un brave homme disposé à tous les sacrifices pour sauver son frère ».

Intimidation de témoins
Nous ne parlerons pas des cas Paumier et Depert-Durlin, ici présentés, et qui ne représentent aucun intérêt. Nous noterons juste que, concernant le premier cas, soutenir que la Préfecture fut au service des dreyfusards est un doux rêve complotiste et, concernant le second, qu’est pour le moins problématique de n’avoir pour unique source que les souvenirs du greffier Ménard, souvenirs qui ne sont qu’une succession de délires. Comment donner une quelconque valeur au témoignage du greffier quand on sait qu’il y raconte, par exemple, qu’en octobre 1898, René Waldeck-Rousseau, futur président du Conseil, serait venu le voir, lui, greffier, pour lui « parler de l’affaire Dreyfus, dont vous allez avoir à vous occuper » : « Ce n’est pas que Dreyfus nous intéresse, lui aurait-il dit, mais nous voulons profiter de cette circonstance pour faire une armée républicaine et démolir l’État-major qui n’est composé que de cléricaux, de jésuites et de réactionnaires. Nous sommes sûrs de réussir, ceux qui seront avec nous auront ce qu’ils voudront, tant pis pour les autres. » Et on pourrait ainsi citer chaque page ou presque de ces souvenirs pour voir à quel degré d’incohérence était arrivé le fameux greffier.

Marcel Thomas
Là encore, et non pas uniquement parce que l’exercice auquel nous nous livrons commence sérieusement à nous lasser, nous irons vite sur ce chapitre. Voir Adrien Abauzit se permettre d’ainsi insulter Marcel Thomas est rigoureusement intolérable… et d’autant plus intolérable que pour se permettre d’ainsi critiquer le travail d’un tel historien, il faut avoir une envergure qui n’est pas celle d’Adrien Abauzit. Quelle bassesse, quelle facilité que d’ainsi insulter un homme qui n’est plus là pour répondre (Marcel Thomas nous a quitté en 2017).
Sur quelques pages, Adrien Abauzit s’essaie à prendre les arguments de Marcel Thomas sur les pièces énumérées au bordereau et à les retourner. Il s’y essaie et s’y essouffle… Et il accuse, avec sérieux, l’historien d’être un sophiste (encore) et vient couper un pauvre petit cheveu en quatre en un style triomphant, de micro-Léon Daudet, qui vacille entre le risible et le pathétique. Prenons un exemple, et un seul exemple, qui suffira amplement : le premier, celui au sujet du 120. Adrien Abauzit reproche, sans doute en y croyant, à Marcel Thomas, sa « construction purement artificielle, sans apparence de crédibilité », ses « grossiers sophismes et inventions », d’être « obligé de quitter la réalité et d’inventer une véritable fiction », de « distord[re] le réel », « d’invent[er] […] des faits pour plaider sa cause » et de faire « preuve d’une grave incompétence »… Pourquoi ? Pour deux raisons : la première est liée au témoignage de Bruyerre – disqualifié pour Adrien Abauzit parce que dreyfusard, démissionnaire de l’armée, sans doute antimilitariste et depuis devenu auteur dramatique – la seconde à celui de Carvallo. Non seulement, explique Marcel Thomas, le canon 120 avait été vu en action en mai à Châlons (Bruyerre) mais encore une description complète était entre les mains d’officiers subalternes depuis le 7 avril (Carvallo) ; Esterhazy, présent à Châlons en mai, aurait ainsi pu se la procurer. Mensonge !, s’écrie Adrien Abauzit. Impossible ! Non seulement Carvallo témoignait de ce qui s’était passé dans son régiment, qui était à Poitiers, et ce qui est à Poitiers n’est pas Châlons mais encore le bordereau étant de fin août, son auteur ne pouvait y parler des essais de mai mais nécessairement de ceux de la mi-août : « le bon sens nous indique que l’espion a transmis des informations sur les derniers tirs en date. » Bah non ! le bon sens nous indique que l’espion a pu parler de ce qu’il avait à dire, et en l’occurrence des essais de mai auquel il avait assisté s’il n’avait pu assister à ceux d’août (ce qui est le cas d’Esterhazy, parti de Châlons juste avant les essais en question), comme le bon sens nous indique que l’auteur du bordereau aurait pu se procurer un exemplaire de la description complète du frein, distribuée à Poitiers ou nous ne savons où et l’avoir avec soi au camp de Châlons… nous ne savons où, écrivons-nous parce que les fameux 300 exemplaires du 7 avril n’avaient pas été seulement distribués à Poitiers, bien évidemment. Ils l’avaient été partout et justement dans la perspective des écoles à feu de mai, écoles à feu dont était Châlons. Le général Deloye l’avait dit, clairement, lors de sa déposition devant la Cour de cassation (encore un témoignage à côté duquel Adrien Abauzit est passé) :

Le 7 avril 1894, 300 exemplaires d’un nouveau projet de règlement provisoire imprimés par l’Imprimerie nationale ont été répartis dans certains corps de troupe pour servir aux essais à faire aux écoles à feu de 1894.

Et tout le reste est à l’avenant : de petits pinaillages, décorés d’insultes, sur des détails infimes qui reposent tous sur des arguments de la faiblesse de ceux que nous venons de voir… et quand Adrien Abauzit s’aventure sur le fond, c’est pour opposer un témoignage à un autre, sans recul ni esprit critique, et ne retenir que celui qui correspond au postulat de départ : seuls les témoins de l’accusation disent la vérité…

L’altercation Picquart-Esterhazy
Puisque nous venons de parler d’argumentation faible, en voici un nouvel exemple. Pour parler de cet incident sans intérêt qui n’est qu’un tout petit épisode de l’Affaire, Adrien Abauzit met en regard deux articles, un de la presse dreyfusarde et un de la presse antidreyfusarde et constate, avec une rare lucidité qui pourtant semble l’étonner, que les versions sont différentes. Plutôt que de comprendre que la presse dit la plupart du temps n’importe quoi – ce qui lui aurait permis de ne pas aller se perdre sur la question Félix Faure –, il se contente de dire que « cela n’a aucune espèce d’importance » puisque Picquart et Esterhazy étaient de mèche ! Adrien Abauzit y voit même précisément la confirmation de cette certitude ! Nous n’allons pas nous étendre sur cette question après un tel argument. Pourtant nous pourrions revenir, comme nous l’avons fait précédemment (voir ici) sur la question de la dénonciation de Picquart par Esterhazy dans l’article Dixi… mais à quoi bon ?

Peguy/Reinach
Passons les petites considérations philosophico-mystico-politiques sur Péguy, catholique « très particulier », « vivant en état de péché mortel » puisque concubin (il était marié mais civilement uniquement), n’allant pas à l’église et n’ayant pas fait baptiser ses enfants, et intéressons-nous au dernier chapitre consacré à Reinach. On se doute de ce qu’on y trouve, dans ce chapitre qui, au final, ne fait que reprendre et développer quelques pages de son premier. Reinach, nous dit celui qui croit au syndicat et à une vaste entreprise de la République qui « a besoin que la France soit coupable » (et pourrait donc méditer Matthieu, VII,3), était un complotiste ; il était aussi un anticatholique et tout son travail sur l’Affaire repose sur une « argumentation victimaire » : l’antisémitisme. Et Reinach va tellement loin sur ce dernier point, nous apprend Adrien Abauzit, que personne n’y échappa, pas même « les juifs ou les personnes d’origine juive ». Rendez-vous compte, Meyer et Pollonnais, « deux hommes de presse juifs, sont eux aussi qualifiés d’antisémites par Reinach » ! On ne peut quand même pas, Adrien Abauzit, reprocher à Reinach de dire que sont antisémites des antisémites… Reinach les présente comme tels parce qu’ils furent tels. Et c’est à la suite que se place la petite sortie sur Bertillon et l’imaginaire mensonge de Reinach que nous citions au début.
Il n’est que temps de conclure. Nous avons conscience, comme pour nos précédentes critiques et réponses, qu’Adrien Abauzit ne changera pas de point de vue. Mais peu nous importe parce qu’il est bien évident que ce n’est pas pour lui que nous écrivons ces pages. Nous les écrivons pour ceux qui, l’esprit ouvert et de bonne foi, connaissant peu la question, pourraient se laisser berner par ces « vérités » assénées à grand coups d’interprétations forcées, de documents oubliés, par quelqu’un qui se pose en fin connaisseur, ayant beaucoup travaillé, sur un sujet qu’en réalité il connaît à peine. Adrien Abauzit est dans la droite ligne de quelques-uns de ses pères, qui savaient se montrer plus retors toutefois : un Maurras, par exemple qui, le 14 juillet 1906, deux jours après la réhabilitation de Dreyfus, pouvait écrire à Maurice Barrès : « combien cette affaire était et est vitale pour nous ? […] Nous allons la réviser, n’est-ce pas ? » La révision continue mais peut-être serait-il bon que nos révisionnistes s’aperçoivent que procédant comme ils procèdent, il ne font, quand la chose est démontrée, que renforcer une vérité qui est la vérité judiciaire, mieux même la vérité historique et qui ne fait guère de doute pour qui sait lire : l’innocence de Dreyfus, la culpabilité d’Esterhazy et la complicité de l’état-major…

Er pour prolonger, une émission à propos de ce livre, commentée et corrigée : ici.