Pèlerinage de Médan 2017. L’hommage à Pierre Bergé par Martine Le Blond-Zola

Un superbe hommage que nous donnons ici en attendant sa publication l’année prochaine dans les Cahiers Naturalistes :

Monsieur le Sous-Préfet, Madame la sénatrice, Madame le Maire de Médan, Madame la Directrice Régionale des Affaires Culturelles, mesdames, messieurs, mes chers amis, bonjour et bienvenue chez Emile Zola.
Merci pour votre fidélité, merci beaucoup d’être ici en cette  journée si particulière du Pèlerinage Littéraire de Médan, puisqu’endeuillée par la disparition le 8 septembre dernier de Pierre Bergé, notre cher Président, sauveur de la Maison de Zola.
Sans doute, dire simplement ce que chacun d’entre nous ressent au fond de son âme : la reconnaissance, l’admiration, l’émotion et la peine immense qui nous étreignent en cet instant.
Cher Madison Cox, en nous associant pleinement à la douleur qui vous frappe, nous vous présentons toutes nos condoléances attristées.
Chers amis, je vous invite à observer une minute de silence et de recueillement. Je vous remercie.
C’est avec une profonde émotion, qu’en ma qualité de vice-présidente, je prends la parole à l’emplacement où Pierre Bergé s’est adressé à vous pendant vingt ans dans le cadre de ce rendez-vous annuel de la mémoire, le Pèlerinage Littéraire de Médan fondé en 1903 par Maurice Le Blond, mon grand-père.
Pierre Bergé  aimait ce moment unique de convivialité, de partage des mêmes valeurs, toujours admiratif de votre fidélité. Chaque année, il exprimait sa joie de vous voir toujours aussi nombreux.
J’associe à mon hommage Charles Dreyfus, vice-président, Louis Gautier, secrétaire général, Joël Rochard, trésorier, les administrateurs, la Société Littéraire des Amis d’Emile Zola, la famille d’Emile Zola avec une pensée particulière pour mon frère Bernard Le Blond-Zola et la famille d’Alfred Dreyfus.
Par cet hommage, je voudrais vous faire partager le temps du souvenir et du recueillement.
Comme il est difficile de placer des mots sur des silences.
Pierre Bergé, homme de culture et de convictions au service du Bien et du Beau, n’est plus.
Nous n’entendrons plus sa voix, celle par laquelle d’un ton direct et franc il défendait la mémoire humaniste de notre pays et apportait son soutien là où souffre aujourd’hui la société : Faut-il le rappeler ? : SOS racisme, SOS homophobie, Sidaction pour ne citer que quelques exemples.
Sa plume et ses paroles, parfois ciselées mais toujours assumées, donnaient une véritable force à des propos dont l’intelligence et la densité résonnaient dès lors, non seulement dans l’oreille des politiques, mais aussi dans celles de tous ceux qui croyaient au progrès humain.
Homme libre, Pierre Bergé n’hésitait pas à bousculer, avec cette rigueur  et cette méticulosité propre aux Grands Hommes qui savent traduire en actes leur engagement moral au service de cette vision, résolument universelle, de tout combat humaniste.
Tel est l’homme, qui tout naturellement et parce qu’il se battait avec passion pour la justice, a rejoint Zola.
Pierre Bergé partageait les convictions d’Emile Zola et admirait ses actes dans l’Affaire Dreyfus et ses autres combats
Par-delà la profonde affection que je lui portais, les mots qui me viennent donc à l’esprit pour évoquer la mémoire de Pierre Bergé sont ceux de la gratitude, du sens de l’engagement et de la fidélité à une cause.
En effet, nous partagions les mêmes valeurs républicaines, véritables socles à toute espérance : la laïcité, la fraternité, le respect des institutions, la lutte contre toute forme d’extrémisme.
Les mêmes valeurs que celles incarnées par feu mon père Jean-Claude Le Blond-Zola, fondateur de l’Association du Musée Emile Zola présidée en son temps par Maître Maurice Rheims.  En 1985, la maison de Zola ouvra au public.
Nos enfances ont été baignées par l’image de Léon Blum. Pierre Bergé ne scandait-t-il pas sur les épaules de son père en 1936 « Blum. Blum… » ?
Rappelons justement le témoignage de Léon Blum à la lecture de J’Accuse… ! : « A mesure que je lisais, je sentais remonter en moi la confiance et le courage. Allons, ce n’était pas fini, la défaite subie n’était pas sans remède, on pouvait encore se battre, on pouvait encore vaincre ».
Pierre Bergé, comme Emile Zola, incarnait les valeurs de courage dans le combat des justes causes.
Pierre Bergé resta fidèle aux paroles qu’il prononça ici même le 6 octobre 1996 : «  J’ai toujours considéré comme un engagement formel vis-à-vis de François Mitterrand et vis-à-vis de Zola ce souhait que je formule devant vous de prendre en charge le destin de cette maison chargée d’histoire et d’espoir ».
En effet, François Mitterrand qui prit la parole à cette tribune le 10 octobre 1976, avait demandé à Pierre Bergé le 31 décembre 1995 à Latché de sauver la Maison de Zola.
Pierre Bergé a été la providence de ce haut lieu patrimonial, symbole si puissant du génie  littéraire et du courage civique.
Il prit le relais à l’époque de l’Association du Musée Emile Zola qui s’était battue corps et âme sans aide aucune.
Pierre Bergé mena sa tâche avec persévérance, patience et déterminisme.
Il permit ainsi de développer cette relation de confiance  qui inspira les grandes instances du pays. L’Etat,  le Conseil Régional d’Ile de France et le Conseil Général des Yvelines se sont mobilisés en faveur de notre association pour notre magnifique projet « Maison Zola-Musée Dreyfus ».
Aujourd’hui, nous témoignons de nouveau à ces hautes institutions notre profonde gratitude.
C’est ainsi que nous avons obtenu du Ministère de la culture et de la communication l’appellation « Musée de France » et le label « Maisons des Illustres ». Réjouissons-nous de ces distinctions qui nous honorent.
Certes, nous avons rencontré des difficultés et des retards. Pierre Bergé ne s’est jamais découragé face à l’adversité. Et lorsque nous gagnions, il ne triomphait pas car il pensait comme Zola que la raison finit toujours par l’emporter.
La vaste campagne de restauration de la Maison de Zola aura duré cinq ans. Cinq années durant lesquelles je fus le témoin quotidien de l’accomplissement d’une œuvre scrupuleusement restituée dans les règles de l’art et suivant les normes les plus contraignantes.
Cerise sur le gâteau : la restitution de la toiture en terrasse et de la balustrade de la Tour Germinal ainsi que la galerie de faîtage et les lambrequins sur le bâtiment central.
La maison de Zola est sauvegardée pour un siècle.
La Bruyère eut cette réflexion [i]: « Il n’y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance ». Un excès, dit Le Petit Robert, est ce qui dépasse la mesure moyenne. Il est donc en tout critiquable sauf lorsqu’il s’agit de manifester sa reconnaissance. Et, nous serions donc ingrats si nous n’étions pas excessifs dans les remerciements que nous devons à Pierre Bergé.
L’an dernier, le 2 octobre, Monsieur François Hollande, Président de la République, nous a fait l’honneur d’inaugurer la Maison de Zola restaurée.
Monsieur François Hollande a rappelé avec gravité le devoir de chacun de s’inspirer des combats de Zola, de sa vision humaniste et résolument moderne, pour faire face, pour « ne pas – je cite –  s’abandonner à la fatalité, à la facilité ».
L’intervention du Président de la République est venue avec éloquence insuffler la poursuite de la quête de l’idéal républicain.
Une quête encore nécessaire mais plus subtile, plus complexe à mener, car elle devrait tous nous rassembler, au-delà des segmentations traditionnelles et souvent conflictuelles de notre société.
Les dangers réels, incarnés par la haine, le repli ou la croyance illusoire aux bienfaits d’un instinctif retour en arrière, sont en effet toujours latents et s’expriment parfois là où on ne les attend pas.
Le leitmotiv du progrès : Ce n’est pas la glorification béate de la nouveauté ni d’ailleurs l’expression d’une perpétuelle méfiance à l’égard du passé. Ce serait un comble !
Non. Dire que nous pourrons ensemble, vivre mieux demain qu’aujourd’hui, c’est plutôt fixer un horizon émancipateur, une ligne directrice basée sur « l’Espérance » et sur laquelle pourra dès lors se construire toute action collective.
C’est le fondement même de ce rêve, presque vital, qui a traversé tant d’époques tumultueuses en éclairant nombre d’ individus, qui, quel que soit leur statut, ont su s’appuyer sur la sagesse des « Grands Penseurs »   pour insuffler ou accompagner les révolutions sociétales, et ainsi contribuer à ce que notre pays devienne et demeure, malgré tout, un exemple de démocratie, de paix et de lumière pour le Monde.
La création du Musée Dreyfus chez Zola contribuera oui avec force et dignité à entretenir et à faire partager cette tenace « Espérance ».
Le Musée Dreyfus trouvera sa place à votre droite dans le bâtiment Charpentier-Lazaret  qui sera agencé selon les normes en vigueur.
L’arrêté accordant le permis de construire vient de nous être délivré au nom de la commune de Médan. Nous remercions Madame le Maire, d’avoir pris à cœur l’étude de notre dossier.
Nous renouvelons notre reconnaissance à la Direction régionale des Affaires culturelles d’Ile-de-France d’avoir donné son accord sur ces travaux portant sur cet immeuble inscrit au titre des monuments historiques.
La Maison de Zola restaurée, le Musée Dreyfus créé, le jardin rénové, notre objectif est aujourd’hui d’accueillir les visiteurs à l’aube de 2019.
Pierre Bergé, notre cher Président, sauveur de la Maison de Zola,  s’est endormi en nous envoyant un message d’espoir confiant dans la création du Musée Dreyfus qu’il ne verra malheureusement pas, mais en faisant sienne « l’Espérance »  que Zola à la fin de son combat pour Dreyfus formulait au Président de la République « de voir beaucoup de vérité et beaucoup de justice nous arriver des champs lointains où pousse l’avenir ».[ii]

[i] Jean de La Bruyère, Les Caractères, Du cœur, 1688

[ii] Lette à M. Loubet, Président de la République, publiée le 22 décembre 1900 dans L’Aurore

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