Le faux ami du capitaine Dreyfus. Picquart, l’Affaire et ses mythes, Grasset, sortie le 23 octobre 2019, 18 €.
Dans la mémoire collective, l’affaire Dreyfus est l’histoire d’une victime : Dreyfus, et d’un héros : Picquart.
Picquart ? Un jeune et brillant lieutenant-colonel, qui, découvrant l’erreur qui avait fait condamner un innocent, mit tout en œuvre pour la faire réparer. Une volonté qui était devenue, face aux résistances de sa hiérarchie, une obstination et bientôt un sacrifice. Pour n’avoir pas voulu se taire, pour avoir pensé que la justice et la vérité ne pouvaient s’incliner devant la Raison d’État et les intérêts particuliers des grands chefs de l’armée, Picquart avait été finalement emprisonné (324 jours de prison !) et mis hors l’armée. En 1906, après la victoire du droit, il sera réintégré, nommé général, et bientôt ministre de la Guerre dans le cabinet présidé par Georges Clemenceau.
C’est ce que nous dit la mémoire de l’Affaire. Elle ne correspond pourtant pas à la vérité historique que ce petit livre, sur la base d’une nombreuse documentation inédite, veut rétablir.
Présenter le « vrai » Picquart, c’est présenter un homme qui avait participé à la condamnation de Dreyfus en conseillant l’illégalité qui sera commise à son procès, et qui, s’il tenta en effet un moment de faire réparer l’erreur judiciaire, le fit plus pour sauver l’honneur de l’armée que celui d’un innocent. Présenter le « vrai » Picquart, c’est aussi présenter un homme qui, quand commencèrent à s’abattre sur lui les représailles, fit rapidement marche arrière, entrava par la suite l’action des partisans de l’innocent, pour assurer sa propre sauvegarde et répondre aux avances de pardon qui lui avaient été faites, et qui ne se lança à proprement parler dans l’action que quand il eut la pleine conscience qu’il n’avait plus rien à perdre. C’est à ce moment qu’il devint un héros dont ce livre tente d’exposer la logique stratégique qui en fut à l’origine. Enfin, présenter le « vrai » Picquart, c’est présenter un homme qui, après la grâce de Dreyfus, s’acharna sur lui, faisant courir dans le camp de ses partisans les plus injurieuses rumeurs, l’accusant de pusillanimité, de se satisfaire de la grâce pour ne pas engager de nouveaux frais, de pratiquer la politique de la « peau sauve ». Un homme qui l’attaqua dans la presse en développant des propos qui n’étaient que peu différents de ceux du camp adverse et qui, une fois ministre, refusera de réparer la dernière injustice dont il avait été victime. On le verra ainsi, quand Dreyfus demandera réparation de l’erreur commise dans le calcul de son ancienneté au lendemain de sa réhabilitation, erreur qui bloquait sa carrière, refuser d’intercéder en sa faveur en usant du pouvoir que lui donnait son statut de ministre. Un refus qu’il avait accompagné de ce mot, dit à un de ses amis : « Figurez-vous […] qu’il veut être nommé Lt-Colonel, cet animal-là » !
Un comportement qui, sous prétexte de conceptions différentes de ce que devait être la stratégie à adopter, s’explique en grande partie par un antisémitisme obsessionnel qui pourra le faire considérer qu’au final l’engagement de beaucoup de dreyfusards n’avait été guidé que « par des considérations de personnes, de caste, de parti » qui avaient pour but d’assurer « l’hégémonie israélite ».
A faire lire à Roman Polanski !
Et aussi à Robert Harris ! https://affaire-dreyfus.com/les-livres/2014-2/d-le-dreyfus-de-robert-harris/
Ping : Le J'accuse de Polanski, adaptation du D de Robert Harris. Compte rendu | L'affaire Dreyfus